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La France agonisante
Illustration de Radja Kahoul pour KIP

La France agonisante

La France décline.

La France disparaît du monde[1]. Elle devient une nation de second rang. Elle qui, hier, prônait une politique d’indépendance à l’égard des superpuissances, brade désormais sa souveraineté à qui veut s’en emparer. Sa voix, naguère forte et singulière, s’est tue.

La France devient atlantiste[2]. Elle s’aligne sur Washington. Retour dans le commandement intégré de l’OTAN, alignement sur les positions étatsuniennes dans les dossiers syriens et ukrainiens, risible bromance entre Emmanuel Macron et Donald Trump… Les exemples ne manquent pas. Le Quai d’Orsay et l’Élysée, gangrenés par l’influence grandissante des néo-conservateurs à la française, dont Bernard Henri-Lévy, Laurent Fabius, Bernard Kouchner et le think tank Terra Nova sont les chefs de file, sont vassalisés. Exit les discours de Phnom Phen[3] ou la formule mitterrandienne « amis, alliés mais pas alignés ». La France devient l’exclave de Washington en Europe. La diplomatie française, elle, coule.

La France délaisse les peuples opprimés et oppressés. Elle était la championne du Tiers-Monde. Elle se faisait la porte-parole de ceux qui ne pouvaient se défendre par eux-mêmes. Pourtant, son Afrique est abandonnée à son sort et partagée de nouveau. Cette fois-ci entre firmes chinoises. Cancún[4] est bien loin derrière nous.

La France se sépare de l’Union Européenne. La France, qui a pourtant fait l’Europe communautaire, y est dorénavant moquée, laissée pour compte et marginalisée. Dans une union en voie de désunion, la France n’est plus qu’un État parmi tant d’autres. Un État bien incapable de prendre en main le destin des Vingt-Huit. Emmanuel Macron, à Paris, à Berlin, à Bruxelles ou ailleurs, s’agite et s’active. Il propose son plan pour sauver l’Europe. Mais ses discours sont classés sans suite : personne n’en veut, de son Europe. Un budget et un ministre des Finances de la zone euro ? Non merci répond Berlin. Des géants industriels européens ? Atteinte à la concurrence rétorque la Commission[5]. Des listes transnationales au Parlement ? Hors de question proteste Bruxelles. Paradoxale France qui est à la fois une force motrice et un frein à la construction européenne. Paradoxale France qui se veut la sauveuse de l’Europe alors qu’elle en est la mauvaise élève. Paradoxale et impuissante France qui s’évertue à défendre un astre mort à l’heure même où elle est humiliée par ses plus proches partenaires[6].

La France dégringole. Et une, et deux, et trois places de perdues dans les classements économiques internationaux. La voilà septième puissance économique mondiale. Dans une dizaine d’années, elle n’en sera que la neuvième. Un déclassement sans précédent. La France est reléguée en seconde division. Elle s’enferme dans un modèle social inefficace qui allie dirigisme économique, bureaucratie à l’excès et surabondance de normes, de règles et de taxes. La faute à un libéralisme débridé ? Certainement pas : « sur le plan économique, la France est une Union Soviétique qui a réussi » (Jacques Lesourne). La faute donc à l’immobilisme de la société française, à la fois figée et dogmatique. Depuis le Mal français d’Alain Peyrefitte, rien ou presque, n’a changé. L’État français, tentaculaire, dépense, dilapide et brade. La France, championne du monde des dépenses publiques[7], vit à crédit, au delà de ses moyens. Le crédo étatiste a la cote. Les privilégiés se reproduisent pour conserver leurs privilèges. Les petites et moyennes entreprises ne prospèrent pas, contrairement aux sociétés du CAC40, monopolistiques. Le chômage ne se résorbe pas. La dette, elle, croît. La croissance demeure atone. Les Français, eux, voient leur portefeuille s’amoindrir et paient l’addition. Ils s’accrochent désespérément à leur rhétorique de « lutte des classes » : ils blâment le succès, crachent sur ceux qui réussissent et voient dans l’hyper-taxation de leurs compatriotes les plus fortunés la solution à tous leurs maux. Une chose est sûre : le divorce entre les Français et l’économie est bel et bien acté, à croire que « la France a épousé la mondialisation pour le pire mais pas pour le meilleur » (Philippe Manière). La mondialisation sauvage ne peut pas réussir à la France car elle n’est rien d’autre qu’un obstacle à l’égalité, véritable lubie de nos compatriotes. Les inégalités, pensent-ils, ne peuvent être corrigées que par l’intermédiaire de l’État, seul capable d’établir une justice sociale. « Les Français veulent l’égalité, et quand ils ne la trouvent pas dans la liberté, ils la souhaitent dans l’esclavage » (Alexis de Tocqueville).

La France se déchire. Elle n’est pas qu’une société de classes : elle est aussi une société de castes. Chacun œuvre pour maintenir son statut et conserver ses avantages. Gare à celui qui n’est pas de mon clan. Celui là, je le haïrai et l’invectiverai. Ainsi, les patrons deviennent des salauds d’exploitants tricheurs et cyniques qui s’assoient confortablement sur des « revenus indécents ». Les ouvriers, des cons syndiqués qui ne comprennent rien à l’économie et qui beuglent en permanence. Les banquiers, des grippe-sous cravatés, costumés et hautains dont l’argent est la seule préoccupation. Les fonctionnaires enfin, des mous, des dilettantes, des planqués sans cesse en grève. Il n’y a plus une société française, mais des sociétés françaises qui vivent à l’écart les unes des autres, dans l’entre-soi et qui cohabitent. La fraternité meurt-elle ?

La France souffre d’hypertrophie. Son État est partout. Ses réformes et ses décisions, nulle part. « La France est un pays sur-étatisé mais sous gouverné » (Jean-François Revel). Les gouvernements sont rendus incapables par les multiples blocages auxquels ils sont confron[1]tés, qu’ils viennent de la rue, des monopoles ou des lobbies. Pourtant, gouverner n’est pas plier, mais décider. Le courage d’être pendant un temps impopulaire, le courage de se faire des ennemis, d’arracher des bénéfices non pas sur le court-terme pour être réélu mais sur le long-terme pour transformer la nation, n’est pas une qualité qu’a notre président, qu’ont nos ministres ou nos parlementaires.

La France est en crise. La Vème République n’est plus qu’un régime d’opérette. Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron endossent le costume de Président mais n’incarnent pas la fonction présidentielle. Un Louis, un Bonaparte ou un de Gaulle, un dirigeant au pouvoir exécutif fort, en relation directe avec le peuple, chantre d’un projet, d’un avenir et d’une vision pour la France, prêt à restaurer sa gloire et à la rétablir sur la scène internationale nous font cruellement défaut. La démocratie représentative sombre : les Français ne se sentent plus représentés par une classe politique déconnectée des réalités quotidiennes. Ils rechignent à voter par défaut. Ils dénoncent le « vote utile ». Le spectre politique se restreint et l’offre politique s’amenuise.

La France néglige ses enfants. L’exception démographique française n’est plus qu’un lointain souvenir : le taux de fécondité se tasse. La faute à une politique familiale aussi hasardeuse que désastreuse. Conséquence : l’âge moyen des Français augmente. La France vieillit : aujourd’hui 25 % de la population française a plus de 60 ans ; en 2050, 32 %. Il sera de plus en plus difficile de financer les retraites avec un actif cotisant par inactif. Peut être est-ce d’ailleurs mieux qu’il y ait moins d’enfants à la lumière de la catastrophe que sont les écoles de France. L’égalité des chances n’est définitivement pas à l’ordre du jour. La méritocratie non plus. Trop nombreux sont les jeunes Français exclus de l’enseignement[8]. À l’école, rien ne va plus : l’ère de l’élève roi commence. Plus de note, plus d’évaluation. Les générations se succédant souffrent d’un nivellement par le bas criant. Un exemple : le baccalauréat qui ne cesse de se simplifier. Ce diplôme se retrouve vidé de son essence : il est proprement inutile. Une fois en poche, direction les études supérieurs. Certains s’y perdent, rejoignant des filières qui n’offrent aucun débouché : lettres, psycho’, socio’… Ils sont bernés en cela par l’Éducation Nationale, qui ne cesse d’en faire la promotion, et se retrouvent, à vingt-cinq ans passés, à la rue, un master dans la poche. Les temps ne sont plus à l’effort. L’école républicaine devient l’école du moins-disant intellectuel.

La France n’est plus que l’ombre d’elle-même. Que sera-t-elle demain ? Un musée à ciel ouvert ? Que restera-t-il d’elle demain ? Des témoignages, des souvenirs et des récits dépeignant des temps immémoriaux, glorieux et meilleurs ? L’histoire de France est-elle encore en train d’être écrite ou est-elle sur le point de s’achever ? La France est-elle sur le point de disparaître ?

Nous autres, Français, vivons une période déterminante. La France est confrontée à un déclassement qui pourrait bien avoir raison d’elle. Chacun y va de son événement pour dater le début du déclin. 1789, chute du millénaire royaume de France. 1815, défaite de Waterloo et fin de la parenthèse napoléonienne. 1870, débâcle de Sedan, effondrement du Second Empire et relégation de la France au rang de puissance secondaire. 1940, soumission à l’Allemagne nazie. 1968, révolte sociale et étudiante, crépuscule des Trente Glorieuses et renversement des mœurs. Et si la vérité était tout autre ?

31 mai 1793. À l’appel de Maximilien de Robespierre, des sans-culottes encerclent la Convention et revendiquent à la mise en accusation des députés girondins, alors aux affaires. Deux jours plus tard, le 2 juin 1793, le commandant de la Garde nationale parisienne, François Hanriot, fait arrêter vingt-deux députés. Les Girondins sont évincés. Ils seront guillotinés le 2 octobre 1793 à la suite d’une parodie de procès. Leurs crimes : étendre le message de la Révolution aux peuples d’Europe, repousser les frontières de la France républicaine jusqu’au Rhin, appeler à la modération, être les adeptes d’un pouvoir décentralisé, exécrer le jacobinisme et la bureaucratie parisienne, privilégier la liberté à l’égalité.

En cette année 1793, la France est devenue montagnarde. Pas girondine. Et elle a signé son arrêt de mort.

Sources et renvois

[1] Quand la France disparaît du monde, Nicolas TENZER, Grasset, 2008
[2] La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie, Hadrien DESSUIN, Cerf, 2017
[3] Charles de Gaulle a prononcé à Phnom Penh en 1966 un discours dans lequel il dénonce ouvertement la guerre que mènent les États-Unis au Viêt-Nam.
[4] À Cancun, en 1981, François Mitterrand a fait un discours insistant sur la nécessité de modifier les termes de l’échange au profit des pays en voie d’industrialisation.
[5] L’exemple en date est celui du projet de fusion de Siemens et d’Alstom, soutenu par Paris et Berlin, mais refusé par Bruxelles.
[6] Les Pays-Bas entrent sournoisement dans le capital d’Air France sans en informer Paris, Matteo Salvini insulte ouvertement Emmanuel Macron et ses équipes…
[7] http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2017/03/06/29006-20170306ARTFIG00258-la-france-championne-europeenne-des-depenses-publiques.php
[8] Les invisibles de la République, Salomé BERLIOUX et Erkki MAILLARD, Robert Laffont, 2019
Maxence Martin

Maxence Martin

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2022).
Rédacteur en chef de KIP (2019-2020)

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2022).
Chief Editor of KIP (2019-2020)