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La coupable lâcheté des libéraux face à l’extrême droite

Avant de se lancer à la conquête de l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron confiait dans son livre Révolution que l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle le 21 avril 2002 avait été ce qui l’avait poussé à se lancer en politique. La défense de la République et le combat contre le Front national, affirmait-il, serait son objectif prioritaire. Cinq ans plus tard, à défaut d’avoir obtenu des résultats tangibles sur ce front, il est indéniable que la volonté aussi a parfois manqué. Le président français n’est pourtant pas, loin s’en faut, celui qui a la main la plus tremblante sur le vieux continent. Force est de constater qu’au sein de la grande famille libérale européenne, dont Emmanuel Macron se réclame, un nombre croissant de ses membres multiplie les petits arrangements avec l’extrême droite tandis que les autres préfèrent regarder ailleurs. Le centre-droit a-t-il baissé la garde face à ceux qu’il présentait encore il y a peu comme des ennemis politiques ? 

L’exemple suédois : un cas d’école ?

À la sortie de la réunion du groupe Renew Europe (qui rassemble l’ensemble des formations politiques de sensibilité libérale au Parlement européen) du mardi 18 octobre, son président, Stéphane Séjourné, est inhabituellement nerveux. Il attend les questions désagréables de la presse et sait qu’il ne pourra pas les éviter. Depuis le week-end, les ultimes illusions se sont dissipées : les libéraux suédois ont conclu avec les Démocrates de Suède de Jimmie Akesson un accord de gouvernement aux allures de capitulation sans condition. Même si l’extrême droite n’hérite d’aucun portefeuille ministériel, sa victoire est quasi-totale sur le plan programmatique. Réduction drastique des quotas de réfugiés, possibilité d’utiliser des témoins anonymes lors des enquêtes policières, examen d’un projet de loi relatif à l’interdiction de la mendicité, relance du nucléaire et révision à la baisse des objectifs de réduction d’émissions de CO2 (là où jusqu’ici la Suède faisait exemple de modèle dans la prise de conscience de l’urgence climatique). 

Pour un groupe qui a fait de la lutte contre l’extrême droite son ciment idéologique, la pilule est difficile à avaler. Mais rien d’impossible, visiblement. Si Stéphane Séjourné assure que l’exclusion des libéraux suédois du groupe Renew Europe est bien évidemment sur la table, il s’empresse de complimenter sa collègue Karin Karlsbro (seule représentante des libéraux suédois au Parlement européen) dont il loue le travail ainsi que « les valeurs et les convictions ». Stéphane Séjourné chercherait-il une porte de sortie qui lui permettrait de se dédire sans susciter l’indignation ? Certes, il serait possible de lui accorder le bénéfice du doute. Mais, malgré les protestations d’Iratxe Garcia, la cheffe de file des sociaux-démocrates au Parlement européen qui n’a pas manqué de souligner l’hypocrisie des libéraux européens et le danger à banaliser l’extrême droite, deux semaines plus tard, aucune décision n’a été prise. Et alors que la pression médiatique retombe, l’absence de sanction à l’encontre des libéraux suédois apparaît l’issue la plus probable. Curieusement, cette situation a un air de déjà-vu.

Le précédent Ciudadanos et la trahison de Draghi 

En 2019 après des élections locales remportées par les sociaux-démocrates, les centristes espagnols de Ciudadanos avaient choisi de s’allier avec le PP (centre droit) et Vox (l’extrême droite espagnole) dans de nombreux exécutifs régionaux (dont Madrid) pour barrer la route à l’union de la gauche. Malgré la colère d’Emmanuel Macron et un courrier adressé au siège du parti à Madrid, Ciudadanos n’a pas dévié de sa ligne (le parti dirige encore certaines régions main dans la main avec les héritiers de Franco). Et ce, tout en continuant à siéger au sein du groupe Renew Europe au Parlement européen ! Son poids (presque 20 députés européens) avait visiblement dissuadé les autres partis libéraux de se montrer trop regardants vis-à-vis de leur allié espagnol. Cet exemple traduit une certaine hésitation vis-à-vis de l’extrême droite qui semble traverser un nombre toujours plus grand de personnalités européennes libérales. Nul exemple plus probant que celui de Mario Draghi. Adulé (à juste titre sans doute) pour son rôle dans le sauvetage de la zone euro lors de la crise des dettes souveraines en 2012-2013, l’ex-chef du gouvernement italien, dont l’équipe ministérielle comprenait des membres issus de l’ensemble des formations politiques à l’exception de  Fratelli d’Italia (même si c’était ces derniers qui avaient préféré ne pas y participer), pouvait légitimement apparaître comme un des meilleurs représentants du combat contre l’extrême droite. C’était sans compter sur son attitude, qui en a surpris plus d’un, lors de la campagne électorale qui a suivi la chute de son gouvernement. Alors que Giorgia Meloni n’avait pas ménagé sa peine pour le renverser et provoquer des élections législatives anticipées, celui-ci n’a pas eu une parole de mise en garde à son encontre. Pas plus qu’il n’a eu de geste de soutien vis-à-vis de son « ami » Enrico Letta, chef du Parti démocrate (centre-gauche), qui avait pourtant refusé de nouer une alliance avec le Mouvement 5 étoiles (antisystème) au nom de sa loyauté vis-à-vis de Mario Draghi. Pire encore, comme l’a souligné à maintes reprises la presse italienne, Mario Draghi a littéralement « coaché » Giorgia Meloni au cours de la campagne, l’appelant à plusieurs reprises pour lui prodiguer conseils et lui expliquer à quoi devait ressembler « un bon » président du conseil. Il convient peut-être de rappeler que si madame Meloni prétend avoir rompu avec le fascisme ses déclarations ne sont pas toujours dénuées de toute ambiguïté. Dernier exemple en date le soir de sa victoire, qu’elle a dédié à «  toutes les personnes qui ne sont plus là et qui méritaient de vivre cette nuit ». En ce qui concerne son programme électoral, si elle se présente comme pro-européenne et résolument atlantiste, son positionnement actuel en termes de droits humains reste extrêmement réactionnaire et ses projets institutionnels pour le moins discutables (volonté d’affaiblir le Parlement et plus généralement tous les contre-pouvoirs au profit de l’exécutif et plus précisément du Président de la République). Cette trahison n’est pas sans en rappeler une autre, plus subtile mais non moins réelle. 

Le fourvoiement de Macron

Soyons clairs : Emmanuel Macron a toujours refusé toute alliance avec l’extrême droite et la digue entre son parti et le Rassemblement national reste étanche. Il est également important de souligner que la gauche n’a pas toujours été à la hauteur de l’enjeu. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, a refusé par deux fois, aussi bien en 2017 qu’en 2022, d’appeler explicitement à voter pour Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. Et les déclarations récentes d’Éric Coquerel enjoignant les députés lepénistes à voter pour la motion de censure déposée par LFI à la suite de l’application du 49.3 par l’exécutif sur le budget de la Sécurité sociale ont jeté le trouble y compris chez certains insoumis. Il n’empêche que l’absence de consigne claire de la part du camp macroniste lors de l’entre-deux-tours des élections législatives apparaîtra peut-être a posteriori comme le coup de grâce porté au front républicain. Les déclarations de Jean-Michel Blanquer qui n’a pas hésité à affirmer, toute honte bue, que « l’extrême gauche représente un danger aussi important pour la République que l’extrême droite » (qualificatif d’extrême-gauche vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon qu’au demeurant l’écrasante majorité des politistes conteste) a incontestablement conduit, au vu des résultats, à banaliser au sein de l’électorat de centre-droit l’idée selon laquelle il était possible de mettre un signé égal entre la NUPES et le Rassemblement national. Le refus des candidats de la majorité de se désister en faveur des candidats de gauche dans des triangulaires serrées (alors que les écologistes et socialistes n’ont pas rechigné à le faire, notamment dans la Nièvre) a fini d’achever tout espoir de reports de voix massifs pour faire barrage à l’extrême droite. Le front républicain n’est peut-être pas définitivement mort. L’histoire le dira. Mais comment convaincre à l’avenir les innombrables électeurs de gauche qui ont dans l’ensemble toujours joué le jeu et ce à de nombreuses reprises (régionales et départementales de 2015, présidentielles de 2017, régionales de 2021, présidentielles 2022) de le faire encore si le camp d’en face est incapable de rendre l’ascenseur ne serait-ce qu’une seule fois ? Il incombe à Emmanuel Macron de réparer cette faute et de faire en sorte que la prophétie d’Édith Cresson « À droite ils disent : “Avec Le Pen jamais” ; ils diront demain “Nous avec Le Pen, pourquoi pas ?…” » ne se réalise jamais.

Illustré par Constance Leterre-Robert

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Odysseas-Dimitrios Théodorou

Étudiant français en Master in Management (promotion 2026).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management (Class of 2026).
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