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Illustration de Martin Terrien pour KIP.

Immigration : prenez garde, M. Macron

Depuis la décision du président de la République d’ouvrir le débat sur l’immigration en septembre afin, selon lui, de discuter frontalement et de manière apaisée d’une thématique on ne peut plus sensible, il semble difficile au vu des dernières polémiques de croire que ce noble objectif ait été atteint. Il est tout aussi difficile de se laisser convaincre que c’est ce dernier qui a réellement guidé l’initiative du jeune président, élu face à la candidate de l’extrême-droite en 2017 pour porter des valeurs libérales, européennes et d’accueil — beaucoup l’ont oublié depuis. Devant ce jeu dangereux, la mise en garde devient nécessaire.

En effet, prenez garde, M. Macron, car en vous laissant embarquer dans la controverse contemporaine sur l’immigration, vous vous laissez dicter les termes du débat par le Rassemblement National et la droite dure, ceux-là même que vous érigez en adversaires absolus de votre mouvement. Comment pourrait-on possiblement avoir une discussion saine, apaisée et rationnelle quand le cadre de celle-ci est mal posé, quand l’immigration n’est abordée qu’avec un point de vue négatif, caricatural, mal informé — les contre-vérités de votre conseillère Sibeth Ndiaye ne sont pas passées inaperçues — et totalement décontextualisé historiquement ? La République en Marche (LREM) se présente comme le parti du pragmatisme appuyé sur des valeurs, mais comment y croire lorsqu’on s’attarde sur la désinvolture avec laquelle le droit d’asile semble remis en cause ? Bien sûr, la question de l’immigration n’est pas consensuelle ; bien sûr, des problématiques et tensions incontestables ont été allumées et réveillées par les récents flux migratoires ; mais ne l’aborder qu’à travers les préjugés qui ont été instillés pendant de longues années dans les esprits des Français, et ce par tous les bords politiques, voilà une erreur, voire même une faute — indigne de ce qu’affirme promouvoir LREM.

Prenez garde, M. Macron, car en reprenant certaines idées du Rassemblement National, et certaines formulations nauséabondes — il faudrait « se réarmer » contre l’immigration —, vous jouez avec le feu. [1] En pensant battre Mme Le Pen avec ses propres armes, vous ne faites qu’amplifier et légitimer ses idées dans le débat public ; il n’y a pas si longtemps, nombreux étaient encore ceux qui pensaient qu’on ne pouvait affronter M. Zemmour et sa pensée qu’en lui offrant une plateforme et en débattant d’égal à égal avec lui, sans voir le risque de légitimation et de propagation que cette stratégie pose. Un discours digne des pires idéologues d’extrême-droite du XXème siècle diffusé en direct sur des millions d’écrans plus tard, on voit bien où cela nous mène. Ce n’est pas en calquant son discours sur celui qui propage la haine et en prétendant lui couper l’herbe sous le pied en le modérant un peu que l’on combat activement et efficacement les inclinations malsaines de notre société ; d’autant plus que les électeurs ont souvent tendance à préférer la copie à l’original, et que vous-même avez préalablement fait le choix d’instaurer Marine Le Pen en unique opposante, la légitimant totalement par la même occasion. Il faut savoir dire non. Il faut savoir affronter ce que vous appelez régulièrement une menace. En combattant le feu par le feu, vous prenez sciemment le risque d’allumer vous-même l’incendie.

Prenez garde, M. Macron, car vous ne faites pas seulement du mal aux membres de notre société issus de l’immigration, qui déjà subissent régulièrement mépris et injures de toute part ; en durcissant ainsi votre discours pour des raisons que beaucoup devinent sans peine, vous commettez des dommages bien plus grands, et vous divisez. Vous divisez votre camp : comment continuer de croire vos belles paroles de réunion par-delà les clivages politiques et d’humanité de 2017 lorsqu’aujourd’hui, l’aile gauche de votre parti se demande si elle pourra encore se regarder dans la glace après cette étape de votre quinquennat ? [1] Vous divisez le pays, comme l’ont fait nombre de vos prédécesseurs avides de se refaire une santé électorale grâce à une thématique payante avant vous — le nouveau monde tend décidément à s’estomper singulièrement depuis votre élection. Vous endommagez le débat public, en le focalisant encore une fois sur un thème qui certes importe, mais qui n’est finalement pas si central que cela dans l’analyse des problèmes concrets que rencontrent aujourd’hui la France et l’Europe. Vous prétendez avoir entendu les millions qui manifestent sur les pavés pour demander qu’on écoute enfin les scientifiques sur le sujet de l’écologie et réclamer des actes, des actes et encore des actes ; mais vous ne faites que détourner à nouveau le regard et engagez la conversation sur l’immigration, bien moins contraignante au niveau des actions et bien plus propice à une accélération du déversement des voix de droite vers votre parti. L’insertion de votre part, si peu subtile, de cette même question des étrangers dans votre lettre aux Français au début de Grand Débat national aurait dû nous alerter sur les tentations électoralistes qui déjà ne vous étaient plus aussi repoussantes que ce que vous nous aviez promis. Ne croyez pas qu’il s’agisse d’un jeu et que les Français se tourneront systématiquement vers votre camp face au chaos — pour reprendre les termes avec lesquels vous avez choisi de définir le face-à-face LREM / RN —, comme vous avez par trop souvent pu le faire.

Prenez garde, M. Macron, à ce que votre rejet de la « naïveté » ne vous fasse pas rejeter par la même occasion l’humanité que vous brandissez à chaque occasion et les valeurs sur lesquelles se fondent la République pour laquelle vous proclamez vous battre. Ce sacro-saint pragmatisme n’a de sens que lorsqu’il n’est pas une paresse et qu’il s’inscrit dans la continuité des desseins et devoirs de la France, et non pas lorsqu’il nous fait bifurquer sans que nous ne l’ayons voulu vers la mauvaise direction. Nul doute que vous ne partagez pas les convictions de l’extrême-droite sur l’immigration et sur la bonne manière d’aborder cette question ; mais en agissant comme vous avez agi au cours des derniers mois, vous vous faites le meilleur complice de Mme Le Pen.

Prenez garde, M. Macron, car à trop vouloir éviter d’être celui qui ne fait rien, vous pourriez finir par vous retrouver sur le banc d’accusation de l’Histoire, au même titre que ceux que vous prétendiez combattre avec leurs propres armes.

Martin Terrien

Martin Terrien

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Ancien président de KIP (2020-2021) et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Former president of KIP (2020-2021) and regular contributor.