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Débat des têtes de liste européennes organisé par le Mouvement ETHIC au Cercle de l’Union Interalliée
Yann Sassi, Aymeric Azéma et Victor Asso-Roudières au Cercle de l'Union Interalliée

Europe et entreprises : le clash des listes européennes

08h30. Vendredi 20 avril 2019, au Cercle de l’Union Interalliée, à deux pas de l’Elysée. Le beau temps rend l’atmosphère légère, presque autant que le petit déjeuner qui s’annonce. L’objectif de cette journée ? Réunir les têtes de liste européennes pour un débat de deux heures, organisé et modéré par le Mouvement ETHIC (Entreprises à Tailles Humaines, Indépendantes et de Croissance), fondé en 1976 visant à représenter le monde de l’entreprise (PME, ETI et grandes entreprises du CAC 40) et présidé par Sophie de Menthon.

Avec si peu de temps et tellement de protagonistes (douze), il faut élaguer, et c’est la contrainte que s’est fixée ETHIC : se concentrer sur la place qu’accorde chacune des listes à l’entreprise au sein de l’Union Européenne. Pas de « politique politicienne » (comprendre les jeux rhétoriques de mauvaise foi auxquels les téléspectateurs acceptent de consentir, non sans amertume).

Les sujets traités avaient donc pour ambition de susciter des discours techniques (au sens noble du terme : il faut bien à un moment verser dans la précision quand on gouverne, car c’est aussi ça la démocratie). Taxe pollueur/payeur, bilan de l’UE, de l’euro, du libre-échange, des institutions européennes, des coopérations économiques entre pays et entreprises européennes… tels étaient les sujets abordés cette matinée.

Cette matinée regroupait des leaders politiques très différents, comme avec la récente liste créée par Hamon Génération.s (dont le représentant était Eric Pliez), des écologistes (EELV avec Yannick Jadot), des membres de partis déjà bien connus (François-Xavier Bellamy chez les Républicains, Jean-Christophe Lagarde chez l’UDI, Pierre Larrouturou chez Place Publique-PS, Younous Omarjee chez LFI, Marie-Pierre Vedrenne chez Renaissance) mais avec cette fois une proportion non négligeable d’eurosceptiques (François Asselineau pour l’UPR, Marine Le Pen pour le RN, Jean-François Barnaba pour Jaunes et Citoyens, Florian Philippot pour Les Patriotes, Nicolas Dupont-Aignan pour Debout La France)…

Débat entre les têtes de liste,
Débat entre les têtes de liste, KCS Presse

Le Procès de l’UE

Nombreux furent les intervenants qui manifestaient des réticences, sinon du dégoût, à louer l’UE telle qu’elle est. Mais certains exprimaient leur rejet avec plus de crédibilité et de style que d’autres.

François Asselineau, fort de sa longue carrière de haut fonctionnaire en France et dans les institutions européennes, estime que la France et les autres pays européens n’ont au fond aucun intérêt à coopérer économiquement. Revient la vieille idée selon laquelle les entreprises sont en concurrence sur le globe, et à travers elles, leurs pays d’origine.

Florian Philippot a quant à lui axé son propos autour de l’euro, qui aurait été une grosse erreur. C’est ici le thème de la Zone Monétaire Optimale [1] qui est abordé : l’euro est sous-évalué pour un pays comme l’Allemagne, et surévalué pour un pays comme la France. Il ne faudrait pas caricaturer le dirigeant des Patriotes en disant qu’il propose simplement un retour à la guerre des monnaies : il ne fait que constater, à juste titre, que la zone euro est hétérogène, et que l’intégration monétaire s’est faite trop rapidement (plus pour des motifs politiques, comme achever la construction européenne le plus vite possible avec des pays sortant de régimes autoritaires, qu’économiques). Mais la sortie de l’euro ne fragiliserait-elle pas les bonds du trésor français sur les marchés financiers ? Ne réduirait-elle pas les échanges commerciaux intra-européens à cause du risque de change ?

Florian Philippot (Les Patriotes)
Florian Philippot (Les Patriotes)

Marine Le Pen : « Vous, chefs d’entreprises, qui êtes habitués à dresser des bilans, vous voyez bien que celui de l’UE n’est pas bon ». « Ça fait des années qu’HEC professe le libre-échange, force est de constater que ça n’a pas vraiment marché ». Aux questions cruciales sur les droits de douane ou le protectionnisme, Marine Le Pen est restée muette quant aux précisions qu’on attendait d’elle, et a préféré le jeu rhétorique à la bonne foi. A une époque où le taux d’ouverture de la France avoisine les 30 %, Marine Le Pen ne parle que des producteurs et de la concurrence déloyale sans évoquer les consommateurs qui sont bien contents d’avoir des produits importés à bas prix. C’est l’arbitrage entre la perte induite par le libre-échange du côté des producteurs et le gain donné aux consommateurs qui doit guider le décideur politique. Mais visiblement pas pour Marine Le Pen.

Marine Le Pen (RN)
Marine Le Pen (RN)

Nicolas Dupont-Aignan : Les propos sont ici plus modérés. Evidemment que sortir de l’UE, de l’euro, que dire non à tout serait exagéré. Oui à l’Europe, mais tout dépend de quelle Europe. C’est chez Debout La France surtout la gouvernance qui est montrée du doigt, un peu comme chez Jaunes et Citoyens (mené par Jean-François Bernada, cherchant à donner une traduction politique au mouvement des Gilets Jaunes). Celle-là est trop prompte à tendre vers la technocratie, l’inflation réglementaire, et un supranationalisme autoritaire.

Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) Louis Giscard
Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France)
Louis Giscard

Les autres candidats (Bellamy, Jadot, Lagarde, Larrouturou, Pliez, Vedrenne) portaient sur l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui un regard plus tempéré et plus bienveillant (avec toujours des critiques : il faut bien que leur candidature serve à quelque chose). Européistes pour la plupart, beaucoup de choses restent encore à être améliorées : lutte contre le dumping social et fiscal, amélioration des normes écologiques sans nuire à la compétitivité de la France. Autant de questions qui sont plus des écueils que des problèmes… Bref, ça promet, l’avenir de l’Union est en tout cas très flou, l’euroscepticisme étant désormais répandu dans beaucoup de listes !

Sources et renvois

[1] La Zone Monétaire Optimale est une théorie économique développée par Robert Mundell en 1962 cherchant à comprendre sous quelles conditions une région peut adopter la même monnaie sans heurts : il faut qu’elle soit suffisamment homogène pour que la politique monétaire puisse avoir les mêmes effets sur toute la zone. Si la zone est hétérogène, à un taux d’intérêt donné, certains endroits seront en surchauffe (l’Allemagne aujourd’hui) et d’autres en refroidissement.
Yann Sassi

Yann Sassi

Étudiant français en Master in Management (Promotion 2021) à HEC Paris.
Contributeur régulier.

French student in Master in Management (Class of 2021) at HEC Paris.
Regular contributor.

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