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Contre la défiance, revalorisons les métiers de la politique

« Je mange pas mal de pâtes », déclarait une députée anonyme de la République en Marche, dans les colonnes de l’Opinion, en 2017, à la suite d’une réforme visant à contrôler les frais de mandat des députés, appliquée la premier janvier 2018. De cette déclaration éclata une polémique acharnée, stigmatisant la majorité marcheuse fraîchement élue quant à son sens des réalités. Les hommes et femmes politiques de notre pays l’auraient perdu, ce sens des réalités, après de longues années passées dans le microcosme parisien du pouvoir. Nos élites ne seraient plus aptes à comprendre les vraies inquiétudes des petites gens. Au-delà de ces condamnations stériles et caricaturales, il faut s’attaquer au cœur du problème soulevé par cette citation : la rémunération de nos politiques ne reflète plus leur niveau de responsabilités. 

« Tous pourris »

Ils s’appellent Fillon, Sarkozy, Cahuzac ou Thévenoud.  Ils s’appelaient jadis Balladur, Pasqua ou Nucci. L’histoire politique française est jonchée de scandales financiers. Cela est d’autant plus vrai depuis les années 2000, depuis lesquelles on assiste à une inflation de révélations fracassantes pour des affaires de corruption, de détournements de fonds, d’évasion fiscale. Certains diront que le pouvoir corrompt les hommes et les rend incapables de faire la distinction entre le bien et le mal, le licite et l’illicite. D’autres résumeront simplement cette situation par le raccourci incarné par le slogan « tous pourris ». Quoi qu’il en soit, ces affaires ont fragilisé la politique française, répandu la défiance, et figurent parmi les premières causes de la vague actuelle d’abstention. La population a perdu confiance en ses responsables, menace alarmante pour une démocratie fondée sur le truchement du Législateur. 

Pour lutter contre ces abus, il faut commencer par les comprendre. On pourrait croire que ces hommes et femmes politiques n’ont aucune excuse, jouissant de salaires confortables et de fortunes personnelles. Il est vrai que par rapport au salaire médian français, 1 940 € en 2021, les salaires des hauts responsables de l’Etat peuvent paraître mirobolants : 7 239,91 € bruts mensuels pour les sénateurs et députés en 2021, auxquels s’ajoutent des indemnités complémentaires pour toute fonction supplémentaire dans des commissions à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Mais il faut remettre ces salaires dans leur contexte : ces fonctions, parmi les plus hautes de la République, ne valent pas uniquement 5 000 € nets, car rémunérer un parlementaire, c’est rémunérer la République, rémunérer la représentativité pour laquelle les Français ont lutté depuis la Révolution. 

Manque d’attractivité

La complexité et le niveau de responsabilités des postes de député, sénateur, ou ministre de la Nation requièrent des hommes et des femmes hautement qualifiés pour les occuper. Les élites de la République sortent souvent des universités et grandes écoles les plus prestigieuses du pays et du monde. Alors bien sûr, le diplôme ne fait pas forcément la compétence. Mais cette expertise est un gage de confiance et de stabilité démocratique. Mais cette population surdiplômée est-elle encore encline à servir l’Etat ? Rien n’est moins sûr, lorsque l’on compare les salaires à la sortie des plus grandes écoles de notre pays et ceux des parlementaires. Le salaire moyen, en première embauche, d’un polytechnicien est aujourd’hui d’environ 5 000 € bruts mensuels, lorsque son équivalent pour un diplômé d’HEC est d’environ 7 400 € bruts mensuels, soit plus que le salaire d’un parlementaire. Comment alors attirer l’élite intellectuelle de notre pays dans ces conditions ? L’on objectera que les salaires des responsables politiques ne sont comparés ici qu’à ceux des citoyens les plus aisés de notre pays. Mais, lorsque la plupart des diplômés des grandes écoles de commerce servent les intérêts d’une entreprise, les hommes et femmes politiques représentent ceux de l’ensemble du peuple français, et sont les garants du respect des valeurs de la République. Mieux rémunérer ceux-là revient à assumer, à tort, que les prérogatives de l’entreprise sont supérieures à celles de l’Etat. Dans ces conditions, la République n’est plus démocratique et sociale. 

Il faut y ajouter, de surcroît, l’incertitude des élections et le risque de plus en plus prégnant d’attaques médiatiques dévastatrices à l’égard de nos politiciens ? Si nous étions tous des homo economicus, les bancs de l’Assemblée nationale seraient sans soute à moitié vides, ou peuplés de députés incompétents. 

Qui plus est, la rémunération de nos politiciens est bien inférieure à celle des dirigeants de puissances comparables. La rémunération brute mensuelle d’un député au Bundestag allemand s’élève, par exemple, à 10 012,89 €. D’autant que le coût de la vie à Berlin n’est pas équivalent à celui d’un parisien. Il se trouve d’ailleurs que les fonctionnaires travaillant à Paris bénéficient d’une rémunération complémentaire, pour faire face à ces coûts supplémentaires. L’on rétorquera que les comptes de l’Allemagne permettent de mieux rémunérer les politiciens. Continuons alors la comparaison : lorsque le Président de la République française touche 15 204 € bruts mensuels, le Président de la Commission européenne gagne 34 149 €, plus du double, pour un niveau de responsabilités inférieur. Cette comparaison est éloquente, surtout lorsque l’on sait que le budget de l’Union Européenne est négligeable par rapport au budget français. Pire encore : étant donné les avantages fiscaux des députés européens, leur rémunération nette dépasse celle du chef de l’Etat. Ainsi, lorsque l’on sait que les plus vifs détracteurs des hauts salaires des hommes politiques sont aussi ceux qui vilipendent la délégation de la souveraineté française à l’Union européenne, cette différence en termes d’attractivité devrait paraître insupportable. 

Les critiques quant à une soi-disant sur-rémunération des hommes et femmes politiques français procèdent donc plus de comparaisons erronées que d’une analyse approfondie du sujet. Il faut dire que rien ni personne n’aide les Français à y voir clair. 

Gagner plus pour voler moins

Allons plus loin, et inversons la causalité : c’est peut-être parce que les politiciens sont peu payés au vu de leur qualification et de leurs responsabilités que certains d’entre eux sont enclins aux détournements ou à la corruption. Cette position est osée, mais tentons de la défendre. En tant que hauts responsables politiques, nos élus sont amenés à négocier avec les plus importants responsables internationaux, qui, nous l’avons vu, sont éminemment mieux payés. De surcroît, être politicien, en particulier à Paris, demande de rencontrer des responsables du secteur privé, qui sont, même à niveau de qualification ou d’expérience plus faible, plus à l’aise financièrement. Alors, comment ne pas tomber dans les bras des lobbies, qui offrent des avantages que les politiciens ne peuvent pas se payer avec leurs indemnités ? Repas fins, costumes de haute couture, séminaires luxueux sont donc monnaie courante pour amadouer nos représentants et tenter d’influencer nos représentants et leurs votes. C’est déjà ce que tentait de dénoncer Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique du gouvernement Philippe, en annonçant sa démission, sur l’antenne de France Inter, le 28 août 2018. Non que les abus commis par certains hommes et femmes politiques puissent être justifiés, voire excusés, par leur rémunération, mais, pour reprendre une expression populaire, « il ne faut pas tenter le diable »

Les politiques eux-mêmes se contentent de dénoncer les malversations de leurs collègues, espérant, pour certains d’entre eux, échapper aux filets du Canard Enchaîné. Mais la plupart ne se rend pas compte de la nature du problème, se piquant ainsi d’hypocrisie. C’est le cas du regretté François de Rugy, qui n’est malheureusement plus de ce monde politique, après avoir subi la polémique née des révélations de Mediapart concernant des repas personnels luxueux consommés au ministère de la Transition écologique. Ce même François de Rugy, alors président de l’Assemblée nationale, fut à l’origine de la réforme parlementaire visant à mieux encadrer les dépenses des députés. Et ce alors que, dans son livre intitulé Du pouvoir, des homards… et surtout de l’écologie, il montre le caractère secondaire des affaires concernant son train de vie au regard du progrès politique accompli en termes de défense de l’environnement. Cette hypocrisie est le signe que le débat sur le train de vie des politiques est tronqué. Si le débat existe pour une diminution de ce train de vie, pourquoi n’en existe-t-il pas un semblable pour une augmentation, du moins pour un maintien de ce dernier ? Pour une raison, principalement : électoralement parlant, la démagogie va dans le sens inverse. Dans la doctrine communicationnelle dominante, les électeurs ne pourraient plébisciter un candidat prônant une revalorisation de ses propres rémunérations. Les stratégies électoralistes privilégient, encore une fois, l’hypocrisie à la franchise. Mieux vaut donc, dans notre démocratie, acquérir un train de vie décent par la triche et le vol, plutôt que par l’honnêteté et les réformes.

C’est ainsi que l’on retrouve, dans la défense de François Fillon à la suite des accusations du Canard Enchaîné1Le 25 janvier 2017, le Canard Enchaîné publie les résultats d’une enquête accusant François Fillon d’avoir monté un système d’emplois fictifs sur la personne de sa femme, Pénélope, faussement employée comme assistante parlementaire..Le candidat, alors en tête dans les sondages pour l’élection présidentielle, avait pâti de ces affaires en termes de popularité, au point de ne pas accéder au second tour de cette même élection. un air des déclarations de Frank Underwood, héros de la série à succès House of Cards : « Oui, je suis coupable, mais vous l’êtes aussi. Oui, le système est corrompu »2Citation tirée de l’épisode 12 de la saison 5 de la série américaine House of Cards.

« Payez, vous serez considérés »

Au-delà de ces scandales, qui restent marginaux lorsque l’on compare leur nombre à celui des hommes politiques dans l’histoire de la République, cette diminution des avantages et des indemnités des hautes fonctions de l’Etat contribue, elle aussi, à la défiance des Français au sujet de leurs représentants. Le pouvoir et l’autorité sont constitués de symboles. Sans ces symboles, l’Etat et ses représentants voient leur pouvoir s’écrouler. Or, cette tendance à la critique du train de vie des hommes et femmes politiques tend à détruire l’un des plus importants de ces symboles : les ors de la République. Être député, sénateur, ministre ou Président de la République, c’est exercer ses fonctions dans des hôtels historiques et somptueux, entourés de pièces artistiques exceptionnelles tirées de la collection nationale. Tout du moins, c’était le cas auparavant. C’était le cas avant que les gouvernements aient conscience des ressources potentielles que représente ce patrimoine. Avant que des centaines de pièces du mobilier national ne soient liquidées dans des ventes aux enchères. Avant que les charges de personnel d’apparat, de frais de bouche ou de déplacement soient drastiquement réduites dans les ministères et assemblées. 

Au-delà des petites économies – les frais de réception et de représentation d’un haut représentant de l’Etat comme le président de l’Assemblée nationale représentent 400 000 € en 2019, une broutille lorsqu’on les compare au budget de l’Etat – la réduction drastique de ces frais de représentation nuit à l’autorité étatique. Le prestige des plus hautes fonctions de l’Etat fait l’objet d’une normalisation – thème cher au candidat Hollande en 2012 – à tel point que certains de nos concitoyens trouvent acceptable de gifler le Président de la République, dans un déplacement dans la Drôme en 2021, ou de forcer délibérément l’entrée de ministères ou de préfectures, comme cela a eu lieu durant la crise des Gilets Jaunes, en 2018. Les symboles de la République, bradés et normalisés, perdent leur sens, leur portée contraignante, pour les Français. 

Le train de vie de nos représentants est un de ces symboles : y porter atteinte revient à brader la République. Il est donc démagogique de proposer, comme le programme de la France Insoumise le suggère, de diminuer encore et toujours ces indemnités et avantages déjà trop limités. Redonner du crédit à la politique française n’est donc possible qu’en lui redonnant des moyens suffisants pour qu’elle soit attractive et respectée. 


Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.