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Concorde : c'était mieux avant
Montage d'Hugo Sallé pour KIP

Concorde : l’aviation, c’était mieux avant

Concevoir Concorde : il a fallu remuer ciel et terre

Années 1960. Sous la présidence de Charles de Gaulle, la France est un pays pionnier en matière d’aéronautique. Cette industrie, capitale pour la puissance française, intrigue le Général. Il y voit à juste titre un fort potentiel. Il se met en tête de mener à bien un projet particulièrement ambitieux : celui de faire voler le premier avion civil supersonique, baptisé Super-Caravelle, en l’hommage du célèbre biréacteur de la Sud-Aviation. De l’autre côté de la Manche, les Britanniques, avec le Bristol 223, partagent les mêmes aspirations. Les deux projets sont présentés au salon aéronautique du Bourget en 1961. Entre eux, tout concorde. Fuselage longiligne, aile delta, nez acéré. Le Concorde y est déjà. Seul le rayon d’action sépare le 223 de la Super-Caravelle : les Français veulent un moyen-courrier, les Britanniques un long-courrier. Des discussions sont néanmoins ouvertes entre les deux gouvernements. Les convergences finissent par l’emporter sur les divergences. Un traité de coopération est signé entre Geoffroy de Courcel et Julian Amery, respectivement ambassadeur de France au Royaume-Uni et ministre des Transports de la Grande-Bretagne, le 29 novembre 1962. Les deux Nations construiront ensemble un appareil capable de voler à deux fois la vitesse du son : Concorde.

Le cahier des charges est renversant : capacité de 100 passagers, vitesse de croisière de 2 200 km/h , plafond de 20 000 mètres, traversée de l’Atlantique en 3 heures 30 chrono. Le travail qui attend les ingénieurs français et britanniques est conséquent. Ils doivent construire un avion capable de voler pendant plusieurs heures à vitesse supersonique alors que les meilleurs chasseurs de l’époque peinent à dépasser la vitesse du son pendant plus d’une dizaine de minutes. Pour donner naissance à Concorde, ils multiplient donc les prouesses techniques et conçoivent ensemble un avion remarquable. Ils y intègrent un nez basculant, à 5 ou à 12 degrés, pour que les pilotes puissent mieux voir la piste à basse vitesse, quand Concorde roule ou est cabré. Ils améliorent l’aile delta en créant l’aile néo-gothique, qui porte davantage et facilite le décollage et l’atterrissage. Ils inventent le pilotage automatique et les commandes de vol électriques, dites fly-by-wire . Sur le papier, Concorde est un bijou de technologie. Il ne reste plus qu’à le produire et à le faire voler.

Conformément à l’accord passé, Français et Britanniques se répartissent la production de Concorde. Les premiers héritent de la partie centrale du fuselage, des ailes, des élevons et des trains d’atterrissage ; les seconds de la gouverne de direction, des parties avant et arrière du fuselage et du nez. Les moteurs sont réalisés conjointement par les firmes françaises Snecma et britanniques Rolls-Royce. Par soucis d’équité, chaque pays dispose de sa propre chaîne d’assemblage et construit son propre prototype. Cependant, la production n’est pas exempte de difficultés. Concorde, c’est faire coopérer la France et le Royaume-Uni, deux États qui n’ont pas la même langue et qui n’emploient pas les mêmes systèmes de mesure. En outre, le projet est miné par de futiles débats orthographiques : faut-il écrire Concord, comme le voudraient les Britanniques, ou Concorde, comme le voudraient les Français ? Le débat est clôt en 1967 par le Ministre de la Technologie anglais, Tony Benn, qui valide l’orthographe Concorde, arguant que le e signifie “Excellence, England, Europe and Entente”.

Concorde en vol / en l’air : le roi du ciel

2 mars 1969. Concorde s’apprête à prendre son envol. Devant une foule de journalistes, le bel oiseau blanc s’élance sur le tarmac de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Il atteint rapidement sa vitesse de rotation et s’arrache du plancher des vaches. Concorde vole désormais de ses propres ailes. Ce baptême de l’air dure à peine 29 minutes : il est écourté en raison de la panne de deux des trois systèmes d’air conditionné. À sa descente de l’avion, le pilote d’essai André Turcat commente sobrement : « la machine vole et je peux rajouter qu’elle vole bien ». Un mois après le 001, Concorde 002 s’envole en Grande-Bretagne. Le 1er octobre 1969, Concorde franchit le mur du son. Le 4 novembre 1970, Concorde franchit Mach 2. Français et Britanniques sont aux anges.

Le concurrent direct de Concorde, le ridicule Tupolev Tu 144, surnommé Concordsky par la presse, ne parvient pas à lui voler la vedette. Tout le monde sait pertinemment qu’il n’est qu’une pâle copie largement issue de l’espionnage industriel. S’il coiffe au poteau Concorde, en volant dès décembre 1968, sa carrière sera rapidement écourtée. Il s’écrase une première fois en 1973 au Bourget alors que ses pilotes essayaient d’égaler la prestation de Concorde, puis une seconde fois en 1978. Son service commercial ne dure que sept mois. Après quoi, il est cantonné à du transport de fret en subsonique.

Année 1970. Concorde fait les yeux doux aux compagnies aériennes. Ses performances suscitent l’enthousiasme général. 74 commandes sont passées notamment par les prestigieuses Pan Am, TWA ou encore Quantas. Malheureusement, Concorde devient vite un « Viêtnam industriel ». À la suite du choc pétrolier de 1973, le prix du baril quadruple, ce qui ne rassure pas les compagnies tant Concorde s’avère excessivement gourmand en kérosène. De plus, les Américains, jaloux de cet appareil qu’ils ne sont jamais parvenus à imiter, brandissent toutes les menaces pour interdire le survol du territoire étatsunien par le bel oiseau blanc. Ils invoquent à la fois des nuisances sonores et environnementales. Enfin, Concorde, de part sa complexité, est un avion à l’exploitation bien plus coûteuse que ses contemporains. Conséquence : quasiment toutes les commandes sont décommandées. Seuls Air France et British Airways l’exploiteront.

Fin 1975. Après quelques 5 000 heures de vol, Concorde obtient son certificat de navigabilité. Le 21 janvier 1976, son exploitation commerciale commence. Air France rallie Paris à Rio de Janeiro via Dakar, British Airways Londres à Bahreïn. Il faut attendre novembre 1977 pour que le mythe Concorde prenne toute son ampleur. Les autorités américaines consentent à lever l’interdiction de survol de New-York. Cinquante années après Charles Lindbergh, Concorde franchit l’Atlantique en solitaire et sans escale. À une différence près : il ne l’a traverse pas en 33 heures et 30 minutes, comme l’avait fait l’illustre aviateur américain, mais en 3 heures 30.

Années 1980. La desserte de New-York étant la seule rentable, Air France abandonne ses vols vers les autres destinations. Elle utilise cependant Concorde pour des tours du monde ou des vols charters . L’oiseau blanc est un symbole, une expérience hors du commun et hors du temps. Vous souhaitez aller à New-York mais vous êtes pressé ? Prenez Concorde, le seul appareil rendant possible la traversée aller retour de l’Atlantique en une journée. Décollage à 11H00 à Roissy, arrivée à 08H45 à l’aéroport John Fitzgerald Kennedy. Une limousine ou un hélicoptère vous attend pour vous conduire de l’aéroport à Manhattan. L’avion du retour quitte les États-Unis à 13H00 et atterrit à Roissy à 22H45. En une journée, vous aurez parcouru plus de 11 000 km, toute en ayant le temps de faire vos affaires. Invraisemblable ? Non, juste Concorde.

L’oiseau blanc attire les hommes d’affaires, les vedettes de cinéma et de la chanson, ou encore les chefs d’États. Parmi ses habitués, Michael Jackson, Elton John, Georges Pompidou, François Mitterrand ou la reine Elizabeth. À son bord, un service de première classe est de mise. Les repas, raffinés, font le plaisir des babines des passagers. Concorde est destiné à une clientèle fortunée : il faut compter environ 35 000 francs dans les années 1990 pour espérer traverser deux fois l’Atlantique, soit l’équivalent de 5 500 euros. Un tarif qui n’a jamais cessé de grimper, avoisinant les 8 000 euros au début des années 2000, ce qui décourageait certains passagers de l’emprunter. Résultat : les taux de remplissage de Concorde se dégradent. Chez Air France et British Airways, il est remis en cause. Un accident va l’achever.

Concorde tombe du ciel : quand le rêve vire au cauchemar

25 juillet 2000. Milieu d’après-midi. Le Concorde Sierra Charlie du vol AF4590 s’aligne sur la piste 26 droite de l’aéroport Charles de Gaulle. Ses moteurs rugissent à mesure que l’appareil dévore le bitume. Il s’arrache de la piste. Quand soudain, l’alarme incendie retentit dans le cockpit. Les pilotes perdent le contrôle de l’avion, qui s’écrase sur un hôtel de la ville de Gonesse. Le bilan est lourd : 113 morts, soit l’ensemble des passagers et des membres d’équipage ainsi que quatre employés de l’hôtel. Ce crash sonne le glas de l’épopée Concorde. Son certificat de navigabilité est immédiatement suspendu. L’enquête démontrera que l’accident s’explique par une ridicule lamelle en titane perdue sur le tarmac par un vieux DC 10 de Continental Airlines. En roulant dessus, un des pneus de Concorde a éclaté et ses débris ont perforé un réservoir de l’appareil, qui s’est instantanément enflammé.

7 novembre 2001. Concorde rejoint le ciel. Mais le cœur n’y est plus. La fréquentation des avions s’écroule, l’accident de Gonesse et les attentats du 11 Septembre aidant. Air France et British Airways annoncent en avril 2003 le retrait de Concorde de leur flotte. Les raisons qui les poussent à agir sont nombreuses. Les dirigeants des deux compagnies invoquent des problèmes de maintenance, une absence de rentabilité, des coûts d’exploitation trop élevés, un impact lourd sur l’environnement et un ralentissement de trafic vers les États-Unis. L’annonce de sa retraite suscite une immense tristesse. 15 000 personnes assistent à l’arrivée du dernier vol commercial d’Air France reliant New-York à Paris le 31 mai 2003. Tous sont venus rendre un dernier hommage à l’oiseau blanc. En octobre 2003, British Airways expédie ses derniers vols, mettant définitivement un terme à l’aventure Concorde. Après quoi, les Concordes rejoignent leurs dernières demeures : des musées. Ils deviennent des légendes que l’on peut désormais contempler et les souvenirs d’un passé perdu.

Y a-t-il un avenir pour le supersonique ?

Aujourd’hui, que reste-t-il de Concorde, si ce n’est des souvenirs émus ? D’abord, Concorde est à l’origine de la coopération européenne en matière d’aviation puisqu’il a signé les prémisses d’Airbus. Ensuite, certaines de ses innovations se sont standardisées, à l’image des freins carbones ou des commandes de vol électriques. Mais il est surtout le plus bel échec de l’histoire de l’aviation. Il est le témoin d’une époque révolue où les progrès techniques primaient sur le profit économique. Une époque où l’ambition n’avait pas de limite. Concorde alliait avec brio puissance, célérité et beauté. Aucun avion moderne ne l’égale.

Qu’en est-il de l’avion de demain ? Sera-t-il supersonique, à l’instar de Concorde ? Force est d’admettre que la vitesse n’est pas la priorité des avionneurs, qui poursuivent davantage la réduction des coûts, qu’ils soient économiques ou environnementaux, que la réduction des temps de vol. Peut être serait-il temps d’inverser la matrice et de retrouver notre esprit de conquête en proposant des projets d’appareils qui vont plus loin, plus haut et plus vite. C’est notamment ce que fait la jeune start-up américaine Boom Technology. Son slogan : “The future is supersonic” . Son appareil sera capable de transporter 55 passagers à la vitesse de Mach 2,2. Voilà qui est ambitieux ! Néanmoins, Boom envisage un avion d’affaire, réservé à des privilégiés, comme l’était Concorde en son temps. À quand un avion supersonique ouvert à tous, pour que chacun puisse avoir la chance et la fierté de voler à plus de Mach 1 ?

Maxence Martin

Maxence Martin

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2022).
Rédacteur en chef de KIP (2019-2020)

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2022).
Chief Editor of KIP (2019-2020)