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Illustration d'Albane Toussaint pour KIP

Activist Short Sellers : héros du capitalisme ou tueurs d’entreprises ?

Bien que la vente à découvert soit considérée comme aussi ancienne que les marchés boursiers, l’avènement des médias sociaux a permis l’apparition d’un mouvement d’activistes qui révolutionne cette pratique. Ces derniers tentent de révéler les dysfonctionnements financiers des entreprises cachées aux yeux de leurs actionnaires. Les entreprises ciblées considèrent quant à elles ces attaques comme des tentatives de manipulation du marché pour générer du profit.

Les campagnes de ventes à découvert ont considérablement augmenté depuis 2010, donnant lieu à une véritable guerre entre activist short sellers et gestionnaires d’entreprises dont les visions sont totalement opposées.

Le rôle des short activists

Les short activists considèrent qu’ils permettent aux investisseurs de comprendre ce qui se passe dans certaines entreprises où des problèmes peuvent être dissimulés et ne pas apparaître dans les états financiers. Ils ont une approche historique car il est alors plus facile de révéler une mauvaise gestion sur des faits avérés et prouver par ce biais une fraude ou la présence de dettes dépassant les capacités de remboursement de l’entreprise. En plus de la publication de leurs recherches, qui peut considérablement faire baisser le cours de l’action, ils vendent à découvert des actions de l’entreprise de façon à générer du profit.

Ce que risquent les short activists

La parole des short activists est souvent impopulaire puisqu’elle va à l’encontre des présupposés du marché et est par conséquent beaucoup plus scrutée par les gestionnaires des entreprises visées : elle débouche souvent sur des poursuites judiciaires pour tenter de maintenir artificiellement le cours des actions. Les short activists rapportent de ce fait une quantité importante d’avertissements, de menaces de mort ou même de peines d’emprisonnement dans certains pays comme cela a été le cas pour Kun Huang en Chine. Ils sont aussi les victimes de tentatives d’infiltration dans leurs locaux comme le relate Carson Block, figure de proue du mouvement. De plus, les entreprises ciblées disposent souvent de ressources bien supérieures aux personnes et entités qui les attaquent et peuvent donc avoir recours à beaucoup plus de moyens pour les contrer (communication, juridique etc.). Pour ces raisons, certains short activists choisissent d’avancer anonymement tandis que d’autres  le font à visage découvert et mettent en jeu leur personne, leur réputation et leur entreprise. Dans tous les cas, il s’avère assez facile de retrouver leur identité car les régulateurs financiers ont accès aux échanges et peuvent demander au broker ayant assuré la transaction l’identité du short seller.

Ce que risquent les entreprises

Le cours des actions d’entreprises ciblées par ces campagnes continue de baisser, dans la majorité des cas, après l’impact initial. Les entreprises accusent certains militants de diffuser de fausses informations pour faire baisser le prix de l’action mais les poursuites contre les short sellers sont rares, et ce en raison du droit à la liberté d’expression en vigueur aux Etats-Unis sur les médias tels que Twitter ou Seeking Alpha (blog fondé en 2004 spécialisé dans les billets d’opinion et d’analyse traitant de finance) par exemple mais aussi car ces entreprises craignent une vérification de leurs comptes par les organismes de réglementation.

Une étude [1] portant sur les messages publiés sur Seeking Alpha entre 2010 et 2017, menée par Joshua Mitts, professeur à l’Université de Columbia, a révélé que 86 % des messages avaient été précédés par des transactions « extraordinaires » sur des options des entreprises concernées. Il a également découvert des modèles commerciaux inhabituels dont certains présentaient des cas d’usurpation et de stratification (passer et annuler des ordres pour créer une fausse impression de la demande et de l’offre). Les activistes importants nient cependant ces méthodes.

La France en guerre pour protéger ses entreprises nationales

La France cherche des moyens pour sévir contre les short sellers alors qu’une vague croissante d’activistes ciblent des entreprises des plus connues. Une commission gouvernementale a publié au début du mois d’octobre 2019 des recommandations visant à empêcher les activistes de déstabiliser les compagnies françaises. Cette décision fait suite à l’intensification de l’activité militante en France et au fait que Muddy Waters ait clôturé sa position courte sur Casino en 2016 (objet d’une enquête de l’Autorité des Marchés Financiers). En effet, en décembre 2015, le fonds américain publiait un rapport sur son site internet dans lequel il soulignait un manque de transparence dans les comptes de Casino masquant une forte détérioration de l’activité du groupe et un endettement démesuré. 

La commission a vu le jour après la suggestion du ministre Bruno Le Maire de prendre des mesures pour réprimer les activistes notamment en utilisant des fonds publics pour défendre les entreprises attaquées. Les mesures discutées consistent à limiter et contrôler les prêts d’actions et examiner si les fonctions du marché sont menacées lorsque certains volumes sont atteints. Il a également été question de l’accélération de la procédure qui permet aux sociétés de saisir l’autorité des régulations.

Quel bilan ?

L’activité des short activists fait polémique et divise : il y a d’un côté ceux qui perçoivent leur action comme essentielle pour rendre justice aux actionnaires, limiter les problèmes de mauvaise gestion ou de mauvaise gouvernance et encourager à avoir des états financiers qui font preuve de transparence ; de l’autre côté, il y a ceux qui considèrent qu’ils dévaluent souvent la valeur d’une entreprise à tort jusqu’à parfois la pousser à sa perte et avec des motivations purement financières. 

La réponse doit probablement se trouver entre les deux car l’action des short activists est bénéfique et permet d’avoir une économie saine et transparente. On pourrait même considérer qu’elle a un rôle de contrôle complémentaire à celui de l’Etat assuré par l’administration fiscale par exemple.  L’Etat se doit donc de leur laisser une marge de manœuvre tout en mettant en place des mécanismes qui permettent de s’assurer rapidement que les actions menées par les shorts activists et que leurs effets sont mérités et ne mènent pas à la perte d’une entreprise de façon injuste. Malheureusement, les actions menées jusque là par le gouvernement français et le ministère des finances telles que la mise en place de fonds publics sont purement protectrices des entreprises et ne prennent pas suffisamment en compte les bienfaits apportés par les short activists

Hicham Bel Melih

Hicham Bel Melih

Etudiant marocco-allemand en double diplôme à HEC Paris
Membre de KIP et contributeur régulier

Moroccan and german student in double degree at HEC Paris
Member of KIP and regular contributor