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Illustration réalisée par Julie Omri

​​Si le Japon ne voulait pas des Jeux, il suffisait qu’il le dise…

Bien sûr, on savait pertinemment que ces Jeux Olympiques seraient particuliers. La situation sanitaire rendait inaccessible le rêve d’avoir des Jeux à Tokyo aussi festifs que ceux de Londres en 2012 et de Rio en 2016. Pour autant, l’Euro 2020 nous a montré en juin et juillet qu’il était à nouveau possible d’organiser un grand événement sportif en gardant quasiment toute la magie et l’attractivité malgré les contraintes actuelles… Le gouvernement japonais aurait dû, au vu de ce que l’on peut voir depuis quelques semaines, en prendre bonne note, car leurs JO ont perdu beaucoup de leur superbe.

Accepter d’accueillir les jeux, c’est aussi accepter les inconvénients qui vont avec …

Alors oui c’est vrai, organiser une grande manifestation sportive en temps de COVID peut effrayer, car si elle est mal gérée que ce soit du point de vue des contacts entre sportifs ou des déplacements de public inhérents à la compétition dans le pays, elle peut entraîner une hausse des contaminations. Il est vrai aussi que le taux de vaccination demeure aujourd’hui extrêmement faible au Japon qui enregistre de plus depuis quelques semaines une hausse des contaminations. Mais avait-on besoin d’en arriver à des extrémités telles que celles proposées par les organisateurs nippons ?

Le premier coup de massue est tombé le 20 mars dernier, lorsque le comité d’organisation des jeux annonça ce que beaucoup craignaient depuis longtemps : les supporters étrangers ne seraient pas accueilli en raison de la situation sanitaire aux différentes épreuves proposées aux Jeux. Jamais même en raison de tensions diplomatiques ou d’épidémies une telle décision n’avait été prise dans l’histoire. Elle est d’autant plus problématique que l’idée de grande fête mélangeant les peuples est inscrite dans l’ADN même de cette manifestation sportive depuis l’Antiquité où il s’agissait d’un puissant vecteur de paix et d’amitié entre les différentes cités grecques. La notion de fraternisation entre les pays était aussi au cœur de la démarche de Pierre de Coubertin, pionnier des Jeux Olympiques modernes, à la fin du XIXème siècle. Mais ici le Japon a décidé que la fête pluriculturelle deviendrait une fête nippone. Tant pis pour la magie, tant pis pour les belles histoires, tant pis pour les belles rencontres… De nombreux sportifs se sont d’ailleurs élevés en faux contre une telle décision. C’est le cas du champion de tennis Novak Djokovic, actuel numéro 1 mondial incontesté en tennis, qui a même à un moment jeté le doute sur sa participation aux Jeux avant de finalement confirmer sur le tard sa présence à Tokyo.

Et puis quatre mois plus tard, début juillet, un nouveau cap dans l’affligeant fut franchi : non seulement il n’y aurait pas de public venu de l’étranger aux JO, mais il n’y aurait finalement… pas de public du tout ! Le 8 Juillet, le ministre japonais délégué aux Jeux Olympiques Tamayo Marukawa décrétait un huis clos pour l’évènement. Ironie de l’histoire, la veille le stade de Wembley avait accueilli 60 000 personnes venues assister à la demi-finale de l’EURO entre l’Angleterre et le Danemark, parmi lesquelles 8000 danois (comme quoi avec un peu de bonne volonté le public peut être présent dans les stades, même venu de l’étranger…)

Et enfin, malgré ces mesures aussi drastiques qu’inacceptables, il convient de signaler que beaucoup de japonais sont demeurés opposés à l’organisation des JO dans leur pays, craignant une explosion des contaminations. Ainsi, dans les travées du stade olympique de Tokyo (vides pour l’occasion cela va sans dire, mis à part 950 personnalités politiques ou sportives) résonnaient pendant la cérémonie d’ouverture les chants de contestations de manifestants venus de l’extérieur de l’enceinte. A défaut d’entendre ceux du public, ça avait au moins le mérite de mettre l’ambiance… Quand on se souvient de la merveille de cérémonie d’ouverture qu’avaient concoctée les Britanniques il y a neuf ans, nécessairement la comparaison est douloureuse…  Les athlètes sont enfermés dans le village olympique, coupés de leurs fans, les stades sonnent creux, les sites sont recouverts de bâches pour éviter tout attroupement autour d’eux. Bref, la magie des Jeux est bien loin et on peut se demander si Istanbul, Madrid, Bakou et Doha, les autres villes qui avaient montré de l’intérêt pour l’organisation de l’évènement, n’auraient pas mieux assuré le spectacle.

Un événement qui oublie ses principaux acteurs : les athlètes, premières victimes de ces Jeux au rabais

Quand vous arrivez aux JO en tant qu’athlète, il s’agit souvent d’une expérience unique dans votre vie de sportif. Vous représentez votre pays dans la plus grande compétition internationale. Plus que votre compétition, qui se concentre la plupart du temps sur une journée et où 80% des athlètes vont au combat avec le célèbre adage de Coubertin bien en tête, il s’agit de deux semaines qui correspondent souvent à une grande fête du sport. Vous vous êtes battus pour atteindre ce moment pendant quatre (voire cinq ans dans le cas cette olympiade) où vous portez haut les couleurs de votre pays et pouvez vous mélanger avec d’autres athlètes de toutes nationalités et de toutes disciplines. Sachant que les athlètes sont testés quasiment quotidiennement et enfermés avec leur encadrement dans une bulle sanitaire des plus hermétiques, n’aurait-il pas été possible de revoir à la baisse les mesures drastiques d’isolement au sein du village olympique afin qu’ils puissent vivre, même de manière atténuée, cette expérience unique ?

Pire encore : alors que la fête est censée battre son plein lors de la cérémonie d’ouverture durant laquelle toutes les nations défilent dans le stade olympique derrière leurs porte-drapeaux respectifs, cet honneur à la base des Jeux est devenu un privilège, la faute à une nouvelle décision du gouvernement japonais : seuls quelques 6000 athlètes sur les plus de 11 000 engagés ont eu la chance de défiler le 23 Juillet dernier… Résultat, devant tant de restrictions gâchant leurs plaisirs, les athlètes ne restent que le minimum de temps possible à Tokyo, multipliant les stages d’entraînement à l’extérieur de la bulle sanitaire où ils n’arrivent finalement que deux jours avant leur épreuve, pour en repartir dès la fin de la compétition. Ainsi l’escrimeur Romain Cannone, divine surprise avec son titre olympique à l’épée totalement inattendu, annonçait quelques heures seulement après la fin de sa dernière épreuve par équipe directement quitter Tokyo pour aller profiter avec sa famille n’ayant pas pu se rendre au Japon. Peut-on encore dire que les Jeux sont une fête dans de telles conditions ?

Si encore il ne s’agissait que de cela, de désagréments concernant l’ambiance générale des Jeux, on pourrait dire que les sportifs ne sont pas à plaindre et ont déjà de la chance de participer à une telle manifestation. Certes, mais ce serait oublier un élément beaucoup plus important qui pose des problèmes bien plus graves pour la bonne santé des sportifs : cet isolement peut être très néfaste. De nombreuses figures de leur sport se sont plaintes depuis deux ans de la détresse psychologique que pouvait provoquer cet isolement permanent. C’est le cas de la numéro 1 mondiale de tennis Naomi Osaka, qui a expliqué avoir été considérablement fragilisée par cette situation sur le plan psychologique qui l’a conduite à se retirer de plusieurs tournois majeurs durant la saison, notamment Roland Garros. A quoi bon de la part de l’organisation japonaise lui faire l’honneur d’être celle qui enflamme la vasque olympique au début des Jeux si c’est pour ensuite la cloîtrer dans un village olympique où les conditions de son succès et même de son bien-être ne sont pas réunies, et où elle finira par dire qu’elle était déjà « surprise » de ne pas avoir été éliminée dès le premier tour d’une compétition dont elle était annoncée comme l’une des favorites ? Et ce cas est loin d’être isolé. Sous la pression accentuée par l’isolement, les craquages se multiplient chez les athlètes. Pensons à Simone Biles, la gymnaste américaine qui nous avait enchantés aux Jeux de Rio en 2016 et obligée de se retirer du concours par équipe ainsi que du concours général à cause de la trop grande pression qu’elle a ressentie devant les attentes placées en elle. De même la joueuse australienne de basketball Liz Cambage a annoncé qu’elle ne participerait pas aux JO, la faute aux difficultés psychologiques liées à la bulle sanitaire.

Des conditions pour les épreuves souvent loin d’être idylliques

Surtout, qu’on ne nous dise pas que toutes les critiques qui se sont élevées contre les Jeux japonais sont liées à la crise du COVID. Dans plusieurs sports, les athlètes se sont élevés contre les conditions climatiques dans lesquelles se déroulent les épreuves auxquelles ils participent. En effet, les épreuves se déroulent souvent au plus fort de la chaleur qui est étouffante à cette période de l’année au Japon du fait de la forte humidité qui règne dans l’archipel. Problème : le continent asiatique et l’Amérique du nord représentent aujourd’hui à l’exception de l’Europe deux des plus grands foyers de téléspectateurs durant les Jeux Olympiques. Le comité d’organisation japonais est donc parti sur les épreuves finales dans la matinée ou au milieu de journée pour que tout ce petit monde puisse bien confortablement devant son écran assister aux compétitions les plus attendues et que les droits télévisés soient les plus hauts possibles (ce qu’on ne ferait pas pour de l’argent…) Et tant pis si l’on voit des images aussi choquantes qu’à l’Ariake Coliseum où se déroulent les épreuves de tennis avec Danil Medvedev au bord de l’évanouissement ou Paula Badosa se sentir si mal qu’elle a dû quitter le terrain sur un fauteuil roulant. Les mêmes scènes se sont également répétées dans d’autres épreuves notamment en triathlon où le champion olympique norvégien Kristian Blummenfelt a pu fêter dignement son titre… en vomissant dès la ligne d’arrivée passée. Si sous la pression de l’ITF et de certains des plus grands joueurs du plateau, la situation des tennismen a pu s’améliorer avec un report du début des matchs plus tard dans la journée (mais pas trop non plus, vous comprenez le tennis subit à Tokyo un couvre-feu à minuit, ça serait trop bête de lui donner une dérogation pour une semaine le temps d’accueillir la plus grande manifestation sportive du monde…)

Comme toute bonne compétition sportive se termine par son podium, terminons donc cet article par un petit mot sur la fameuse remise des médailles. Et là aussi le comité olympique japonais a décidé de taper toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort (devise qui n’appartient pas aux JO mais à un autre programme de France Télévisions donc bon…) dans le ridicule : les athlètes qui passent la journée en rang serré parfois même avec des contacts répétés entre eux doivent remettre le masque pour monter sur le podium. Sur quels fondements scientifiques s’appuie le gouvernement japonais pour décider que des judokas au corps à corps pendant toute une journée risquent de se contaminer sur un podium où ils peuvent conserver une distance entre eux des plus correctes. Le summum du ridicule fut certainement atteint lorsque finalement au vu des plaintes des sportifs le comité d’organisation annonça que les masques pourraient être retirés sur le podium… pour trente secondes (la fameuse pause-café du corona sans doute…) Finalement, ces jeux seront à l’image des visages dissimulés des champions dont cela aurait dû être la plus belle heure de gloires : rapidement oubliés… A Paris, Los Angeles et Brisbane de relever le niveau et de faire renaître la magie.

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.