Fin août 2021, la Chine annonçait des mesures drastiques de contrôle du temps d’écran des enfants et des adolescents. Ainsi, la limite est désormais fixée à 3 heures hebdomadaires, celles-ci étant concentrées le week-end. Fait notable, le TikTok chinois (Douyu) a pris l’initiative de limiter à 40 minutes par jour l’utilisation de l’application pour les moins de 14 ans, et de proposer un contenu plus éducatif. L’accès est également bloqué aux heures où les enfants sont supposés dormir (22h-6h). Cette mesure est éminemment politique mais répond avant tout à un problème de santé publique endémique, qui concerne également la France. Nous aurions donc tout intérêt à suivre l’exemple chinois.
Pour le régime chinois, la limitation des temps d’écran répond à des considérations politiques et économiques…
Tout d’abord, il semble pertinent de s’intéresser aux motivations politiques de telles mesures. Celles-ci semblent en effet remplir plusieurs objectifs, guère réjouissants pour la liberté économique et l’esprit critique de l’internaute chinois.
Premièrement, la décision semble s’inscrire dans le prolongement des mesures de rétorsions prises par Pékin à l’encontre des géants du net. Le secteur des jeux-vidéos connaît en effet un rythme de croissance affolant, ce qui alimente les profits déjà colossaux des entreprises de la tech. Or le poids économique incontournable qu’occupent désormais des firmes comme Tencent n’est pas du goût de Pékin, et celui-ci craint de perdre la main sur ces mastodontes. Avec ces limitations d’utilisations, couplées à des restrictions d’achats de jeux-vidéos, la Chine tape directement dans le portefeuille de ces grandes entreprises, et fait varier à loisir les cours de bourse. Les firmes sont donc sous-pression et cherchent à tout prix à faire belle face devant le gouvernement. Et cela fonctionne, puisque le plus souvent, ce sont elles qui annoncent spontanément des restrictions d’utilisation des écrans.
De plus, ces mesures semblent représenter un moyen supplémentaire pour Pékin de s’insinuer dans la vie privée de sa population et de parfaire ses méthodes de surveillance. En effet, les bases de données des joueurs seront probablement accessibles aux autorités en raison des liens entre les firmes chinoises et la puissance publique. Et il sera impossible aux jeunes joueurs de cacher leur identité, puisqu’il leur faudra rentrer leur carte d’identité pour accéder aux plateformes. Fait intéressant, c’est dans certains cas la reconnaissance faciale qui sera utilisée pour vérifier l’âge des enfants. Il s’agit donc d’un pas de plus vers le contrôle des loisirs de la population chinoise.
Enfin, et c’est probablement le plus alarmant, il semble que la propagande sera au cœur de ces restrictions, puisque le contenu éducatif que proposera Douyu à la jeunesse prendra notamment la forme de « cours d’éducation patriotique », même si des cours traditionnels seront aussi proposés. On ne peut que craindre les répercussions de telles mesures sur les jeunes chinois.
…Mais elle est aussi une réponse à un problème de santé publique
Alors certes, réduire le temps d’écran des enfants chinois est une mesure très politique, et loin d’être totalement positive. Mais elle répond avant tout à un grave problème de santé publique : la population chinoise est la plus accro au monde. Par exemple, 52% des adultes passent plus de 6h hebdomadaires à jouer aux jeux-vidéos (à titre de comparaison, c’est 34% en France). L’armée avait même exprimé ses inquiétudes face à l’addiction de ses soldats à un jeu appelé « King of Glory », au point d’en faire un « problème de sécurité ». Elle trouvait en effet que ses recrues étaient déconcentrées lors des missions, car elles restaient focalisées sur le jeu qu’elles venaient de quitter. La Chine est donc l’un des premiers pays à avoir pris au sérieux le problème de la dépendance aux jeux-vidéos de sa jeunesse, bien avant les pays occidentaux. Par conséquent, elle fut la première à ouvrir des « centres de désintoxication » à l’attention des jeunes concernés (centres aux méthodes néanmoins très décriées, puisqu’ils sont notamment soupçonnés d’abus corporels envers les enfants…). Le régime a de plus considéré l’addiction aux jeux-vidéos comme un « trouble clinique » dès 2008, soit près de 10 ans avant que l’OMS ne fasse de même !
En France aussi les pouvoirs publics doivent agir !
On peut évidemment critiquer les motivations des mesures chinoises, mais il est indéniable qu’elles pourraient malgré tout avoir des répercussions très positives sur la jeunesse chinoise, compte tenu des difficultés considérables posées par les jeux-vidéos. En effet, la surexposition aux écrans pose de nombreux problèmes de santé publique : les enfants sont davantage exposés au risque de contracter certaines maladies (diabète, obésité), mais aussi d’être victime de harcèlement. Ils développent facilement des comportements agressifs, et peuvent être touchés par des troubles du sommeil. Leurs capacités d’attention sont également fortement affectées, et leurs performances scolaires s’en trouvent dégradées. Les conséquences peuvent être encore plus graves si l’enfant est très jeune, puisque l’usage régulier des écrans chez les plus petits (entre 1 et 3 ans) peut causer des problèmes de retard mental. Il est à ce titre frappant de noter que les dirigeants d’entreprises de la Silicon Valley envoient leur progéniture dans des écoles spéciales comme la Waldorf school, où ils ne côtoient presque pas la technologie jusqu’à l’adolescence : même les enfants de Steve Jobs n’ont pas le droit d’utiliser un Ipad à la maison ! En ce qui concerne la France, fait alarmant, 45% des enfants de 0 à 2 ans sont exposés à des tablettes ou des téléphones. Et le nombre d’adolescents dont on considère l’utilisation des jeux-vidéos comme addictive ne cesse de progresser, pour concerner près d’un jeune sur huit aujourd’hui. Notre pays aurait donc tout intérêt à légiférer également pour limiter leur utilisation, d’autant plus que, trop souvent, les parents sont démunis face à cette situation.
Évidemment, il faudrait trouver des solutions adaptées au cas français. Aujourd’hui, malheureusement, la France semble faire montre d’un vrai désintérêt pour ce problème : les pouvoirs publics offrent peu de solution à l’addiction aux jeux-vidéos, et les contrôles parentaux sont généralement peu opérants face à des « geeks » bien mieux formés que leurs ainés à l’informatique. Par exemple, elle n’a même pas donné suite à la reconnaissance du « gaming disorder » par l’OMS en 2018, bien que le gouvernement ait été interpelé à ce sujet. Recherchez « addiction aux jeux-vidéos » sur le site du ministère des solidarités et de la santé, et vous serez renvoyés directement à la page de l’addiction aux jeux d’argent, sans mention faite des jeux-vidéos. Compte tenu des problèmes massifs que nous avons évoqués, il semble pourtant urgent que la France fasse de ce sujet une véritable préoccupation de santé publique. La meilleure solution semble encore d’inciter les créateurs de jeux-vidéos à modifier leurs produits, pour que ceux-ci soient moins addictifs, et pour éviter que les enfants jouent pendant des heures sans interruptions. À ce titre, un projet de loi de 2010 proposait de faire signer une « charte des bonnes pratiques » aux entreprises du secteur. Celle-ci visait à inciter les firmes à changer leur offre, pour favoriser des sessions de jeu plus courtes et des pauses plus fréquentes. On ne peut que déplorer que cette mesure ait été retoquée, d’autant plus qu’il est fort probable que cela répondait surtout à un impératif très économique : le jeu-vidéo est désormais le bien culturel le plus vendu en France. En d’autres termes, ce secteur représente un poids économique trop considérable pour qu’on mette des bâtons dans les roues de ses fleurons, à savoir l’entreprise leader du secteur (Ubisoft) et les nombreuses licornes qui gravitent autour.
Ainsi, soyons réalistes : les jeux-vidéos ont encore de beaux jours devant eux, et leur utilisation devient d’autant plus attractive que les technologies ne cessent de se perfectionner. Mais il ne faut pas rester passif face à ce qui est en passe de devenir un problème massif de santé publique, et inciter les pouvoirs publics à protéger les enfants d’une surexposition aux écrans.
Sources