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Illustration par Kim Provent pour KIP.

Pourquoi la situation sanitaire actuelle nuit aussi à notre santé mentale

Depuis le premier confinement, les alertes des conséquences psychologiques de la crise sanitaire se multiplient. Troubles de l’anxiété et du sommeil, états dépressifs, etc. augmentent drastiquement. Force est de constater que les chiffres l’illustrent de manière patente, et ce, avant même le confinement de novembre et décembre. De fait, même en période de déconfinement, la morosité et l’inquiétude causée par la situation sanitaire ont continué d’envenimer la situation : selon Santé publique France, la santé mentale des Français s’est de nouveau dégradée entre fin septembre et début novembre et, au mois de novembre, le taux de symptômes dépressifs en population générale atteint 20 %1https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-la-sante-mentale-des-francais-s-est-significativement-degradee-depuis-fin-septembre-selon-olivier-veran_4188071.html.

Nombreux sont les professionnels de santé à prévenir, comme António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, dans un message vidéo présentant un rapport sur l’impact de l’épidémie de coronavirus sur la santé mentale, qu’à l’échelle mondiale, « le virus de la Covid-19, n’attaque pas seulement notre santé physique, elle augmente également les souffrances psychologiques ». Le Secrétaire général des Nations Unies a également souligné que « la détresse psychologique au sein des populations est répandue et qu’une augmentation à long terme du nombre et de la gravité des problèmes de santé mentale est probable ».

D’aucuns ont assimilé le fait d’être contraint, de voir nos libertés restreintes à un emprisonnement, non choisi, et parfois même incompréhensible voire contreproductif. Ainsi, la mesure de restriction de sortie à 1km a, pour beaucoup, pris la forme d’une réclusion injustifiée par la situation sanitaire : pourquoi ne pas pouvoir courir à 5km ? quel argument épidémiologique pour le justifier ? Heureusement, l’arrangement des mesures de restrictions de ce mois de décembre semblent laisser plus de liberté et promettent un allégement prochain de la situation même si l’incompréhension demeure pour beaucoup.

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En un sens, cette crise a un caractère universel, puisque nous sommes tous touchés au niveau micro et au niveau macro, tant notre vie, nos habitudes, mais aussi tout notre entourage, notre société, notre monde sont bouleversés par les éléments sanitaires. Un tel changement de paradigme implique nécessairement une phase d’acclimatation, d’acceptation, de transformation. Le changement est si inédit et violent qu’il est naturel de ne pas le vivre aisément et qu’il affecte notre santé mentale.  Or, lors d’un changement, il est naturel, comme l’a notamment montré Elisabeth Kübler-Ross dans ses travaux sur les étapes du deuil, de constater ce que l’on perd avant ce qu’il nous reste. Il y a une perte de normalité. Ainsi, nous avons tous fait, plus ou moins consciemment et intensément, face à la perte. En particulier, la perte du lien social et la solitude s’inscrivent comme des facteurs marquants dont les conséquences peuvent être profondes. Les relations sociales sont limitées au minimum et garder contact n’est pas toujours évident, demande parfois un effort. Des relations naissantes sont déchirées par le confinement, à l’origine d’un sentiment de perte, qui s’ajoute à tout ce que cette crise semble nous enlever. A cela s’ajoute le chagrin par anticipation, qui est ce sentiment que nous avons vis-à-vis de ce que nous réserve l’avenir lorsque nous sommes dans l’incertitude. A cet égard, se rappeler les mots d’Ernest Hemingway peut apporter une dose de sagesse même si les mots n’ont pas le pouvoir de compenser toutes les pertes : « Maintenant, ce n’est pas le moment de penser à ce que tu n’as pas. Pense à ce que tu peux faire avec ce que tu as ».

Or, il règne, concernant « ce que l’on a », une terrible incertitude sur les mois, les années à venir, ce qui crée un manque de perspective qu’il est difficile de pallier. De fait, certains ont perdu des êtres chers, d’autres ont vu leur situation professionnelle et économique s’anéantir, d’autres ne savent pas combien de temps ils auront les ressources pour affronter cette crise. Surtout, cette crise, par essence inédite, est imprévisible. Les perspectives qu’offre le vaccin pourraient lever ce voile, mais seulement en partie. La possibilité qu’une telle crise se reproduise est loin d’être nulle et l’on souffre certainement, du fait de cette pandémie d’un biais rétrospectif. Ce dernier est la tendance à surestimer, une fois un événement survenu, comment nous le jugeons probable. Depuis l’arrivée de cette crise, nous sommes amenés à considérer que l’apparition d’une nouvelle crise de la sorte est plus probable que ce n’était le cas il y a deux ans. Cela s’explique bien plus parce que nous avons pris conscience de sa possibilité et de sa réalité que parce que les risques de pandémies mondiales auraient été accrus par les événements mêmes de l’année 2020. En outre, l’incertitude travaille nombre d’étudiants qui s’inquiètent d’entrer dans le monde du travail en période de crise et du fait que ce type de crise puisse devenir récurrent. Le contexte économique étant loin d’être optimal, les conditions d’apprentissage parfois extrêmement compliquées par la situation, le monde du travail est loin de présenter son meilleur jour.

L’influence du contexte exacerbe aussi des troubles. Par exemple, la peur de pénurie alimentaire a notamment pu aggraver des troubles du comportement alimentaire avec un stockage pathologique de nourriture. Dans d’autres cas, l’alimentation a pu être envisagée de manière émotionnelle, avec des aliments appétissants réconfortants afin d’alléger sa détresse. Tout cela alors que nombreux sont maintenant ceux qui ont souffert ou souffrent directement de la Covid-19 et de ses conséquences à plus long terme.

Au total, cela requiert de développer une résilience, individuelle et collective. Il est, à ce sujet, intéressant de remarquer que la personnalité peut aussi jouer un rôle dans le confinement. Par exemple, les types introvertis, vivent, en moyenne, plus aisément le confinement que les types extravertis pour lesquels le mode de ressourcement par le biais des relations sociales a une importance primordiale. Toutefois, cela n’est qu’une moyenne. Quoi qu’il en soit, le confinement touche à toutes les personnalités et nous modifie tous en un sens. En effet, les traits de personnalité, s’ils restent relativement stables, ne sont pas totalement immuables : ils évoluent en fonction des épreuves que nous traversons, des rencontres que nous faisons, des événements que nous vivons. En tant que phénomène total, le confinement, la pandémie, nous change tous, à des degrés différents. Cela est accentué par l’introspection à laquelle cette période incite une grande partie d’entre nous. A l’échelle des individus, il est plus juste de parler de confinements au pluriel, tant l’expérience que nous en faisons est différente d’une personne à l’autre. Nous avons tous été brutalement coupés de nos routines et conditions de vie habituelles.

Néanmoins, si nous n’avons peut-être pas développé une « personnalité de confinement » collective, certaines découvertes antérieures laissent entrevoir des façons dont nous aurions pu être changés de manière idiosyncrasique, c’est-à-dire en fonction de nos circonstances spécifiques. Par exemple, l’enfermement peut avoir amplifié un phénomène connu sous le nom d’« effet Michel-Ange ». Il s’agit d’une d’une référence à la façon dont nous sommes plus susceptibles de devenir le type de personne que nous voulons être si nous sommes avec un partenaire proche qui nous soutient et nous encourage à nous comporter conformément à nos aspirations. Cette personne agit sur nous un peu comme un sculpteur, tel Michel-Ange, qui aide à révéler notre moi idéal. Ainsi, pour les personnes ayant un partenaire qui les soutient, la période intense de confinement peut offrir une opportunité bienvenue de croissance personnelle. En revanche, pour les personnes enfermées pendant des mois dans une relation malheureuse, ou harcelées, les effets sur leur personnalité ont certainement été négatifs et la difficulté de la période aura été exacerbée par cette relation envenimée.

Le message de la littérature scientifique générale sur le changement de personnalité est positif. Les individus s’adaptent – par exemple, leur conscience a tendance à augmenter lorsqu’ils assument un rôle exigeant, et leurs traits de caractère rebondissent de manière positive après avoir quitté une relation difficile, ce qui suggère que nous trouverons un moyen de faire face à tout ce que l’avenir nous réserve. L’enjeu semble être à présent d’en ressortir plus fort en tant que société. Il est indéniable que les inégalités ont été exacerbées, mises en lumière par la pandémie. Cela a certainement favorisé la prise de conscience à l’égard de certaines d’entre elles et de nombreuses initiatives prises dans cette période pour y remédier ou, du moins, agir pour les atténuer, sont plus qu’amplement dignes d’éloge. Il s’agit donc de rester conscients qu’au-delà de nos difficultés individuelles, nous avons tous passé une année particulière, certains en ayant payé des frais particulièrement amers voire violents, et que, si le futur est loin de sembler simple et tracé, « l’avenir, ce n’est pas ce qui va arriver, c’est ce qu’on va en faire » (Bergson). Personne ne peut contrôler ce que nous aurons à affronter dans les prochains mois et années mais chacun peut participer à la construction d’une société plus solidaire et d’un monde plus durable.

Sources

https://www.caducee.net/actualite-medicale/15240/sante-mentale-et-covid-19-l-academie-de-medecine-tire-la-sonnette-d-alarme.html

https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychotherapie/un-outil-daide-en-ligne-pour-mieux-supporter-le-confinement-19390.php

https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie-sociale/confinement-comment-surmonter-la-solitude-18968.php

https://www.bbc.com/future/article/20200603-how-covid-19-is-changing-the-worlds-children

https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/E2826D643255F9D51896673F205ABF28/S0924933820000358a.pdf/consequences_of_the_covid19_pandemic_on_mental_health_and_implications_for_clinical_practice.pdf

https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2020/04/29960-ce-sentiment-dinconfort-qui-vous-habite-se-nomme-le-chagrin/

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Noémie Gélis

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Contributeur pour KIP.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Contributor to KIP.

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