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Illustration de Kim Provent pour KIP.

L’économie de demain | Révolution digitale : quel avenir pour les professions comptables ?

Intelligence artificielle, blockchain, mobilité, transformation digitale… Dans un contexte de renforcement des pressions concurrentielles, il est des professions dont l’avenir se fait incertain. L’expertise-comptable se dresse alors comme le parangon de ces laissés-pour-compte, Philippe Gattet (directeur d’études du cabinet Xerfi) rappelant que « tous les ingrédients sont réunis pour que cette profession soit balayée par la vague technologique actuelle ».

Une situation politique et économique singulière

Ce bouleversement annoncé de la profession s’inscrit dans une série de mesures politiques aux répercussions fortes sur la stabilité et la pérennité des métiers d’expertise-comptable et de commissariat aux comptes. La première d’entre elles est la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, qui, à travers plusieurs articles, pousse à un changement en profondeur du métier. Cette loi vient notamment acter le relèvement des seuils d’audit légal des comptes. Ainsi, la nomination d’un commissaire aux comptes n’est désormais obligatoire que si la société commerciale dépasse 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, contre 3,1 millions d’euros précédemment. Cette évolution a fait l’effet d’une véritable bombe au sein de la profession, conduisant même les commissaires aux comptes à battre le pavé en plein Paris, situation ô combien rare dans ce milieu très traditionaliste. 

À cette mesure majeure et inédite s’ajoutent une farandole d’évolutions réglementaires et une incessante escalade des obligations administratives qui placent les professions comptables face à un nouvel océan d’incertitudes. Citons par exemple la dématérialisation des factures avec l’extension de l’obligation aux micro-entreprises en 2020, la mise en place du prélèvement à la source ou encore la libéralisation progressive de la profession avec l’évolution de l’ordonnance de 1945 sur les conditions d’exercice de l’expertise comptable.

A fortiori, les modifications légales affectant cette ordonnance sont fondamentales, car elles viennent toucher au cœur ce qui fait l’essence même de l’expertise-comptable : le monopole.

Vers la fin du monopole ?

Il est impensable de discuter de l’avenir des experts-comptables sans aborder la frémissante question du monopole. S’il s’agit en réalité d’une « prérogative d’exercice exclusif », le monopole fait aujourd’hui figure de secret de polichinelle. Sa définition n’est pas sans faire débat. Une copieuse jurisprudence est venue apporter, au fil des ans, des précisions, parfois contradictoires, quant au périmètre des missions réservées.

Il existe pourtant certaines certitudes. L’intégralité des missions réalisées par les experts-comptables ne relève pas de ce privilège d’exercice. Bien que faisant partie de l’arsenal classique de l’expert-comptable, la paie ou les déclarations fiscales et sociales ne sont pas encadrées par ce monopole. La sempiternelle question de la saisie de comptabilité par un tiers n’est, quant à elle, pas vraiment tranchée, même si un récent arrêt de la cour de cassation (24 juin 2014)1Cour de cassation, chambre commerciale, 24 juin 2014 (pourvois n° 11-27.450 et 13-26.332) semble réduire assez considérablement son spectre. Les nouvelles technologies et la révolution digitale qui suit son cours ne font qu’accentuer l’opacité de la question. L’évolution des technologies qui permettent de scanner les documents comptables et de les imputer automatiquement bouleverse indéniablement les règles historiques. La numérisation et la reconnaissance de caractères n’étaient pas envisagées dans l’ordonnance de 1945 ! Ainsi, l’ordonnance se retrouve toujours dépassée par les nouvelles pratiques et les nouveaux outils.  Comme toujours, le droit met plus de temps à s’adapter que les comportements, surtout quand ils sont liés à des révolutions technologiques.

L’expertise-comptable étant une profession réglementée et assermentée – « je jure d’exercer ma profession avec conscience et probité, de respecter et faire respecter les lois dans mes travaux » – le monopole peut être vu comme un rempart éthique et technique. Il permet de garantir la sécurisation des comptes ainsi que l’assiette fiscale. Il n’est donc pas un fortuit legs de la République à l’Ordre des Experts-comptables, mais une sécurité mûrement réfléchie. Ce monopole, qui profite bien évidemment à l’ensemble de la profession, est donc surtout une garantie pour l’État. Ainsi, peu de chance de le voir disparaître dans les années à venir.

Pour autant, les évolutions technologiques laissent penser que, dans quelques années, la comptabilité à l’ancienne ne sera plus. Comment douter de la disparition des écritures passées à la main dans un monde digitalisé ? De facto, si l’on peut bel et bien affirmer que le monopole sera encore là dans dix ans, il portera, la belle affaire, sur un marché amorphe. 

Au vu des mutations déjà en marche dans l’environnement de la profession, il est pressant de s’adapter. « Muter ou mourir » : voilà un nouveau crédo que l’Ordre ferait bien d’adopter. 

L’espoir d’un New Deal ?

Le mot est lancé : New Deal. Et c’est loin d’être un hasard si c’est le terme choisi en 2018 par le syndicat ECF (Experts-comptables et Commissaires aux comptes de France) pour animer son congrès national. Ces métiers n’ont jamais été si menacés. Mais si ces changements représentent de nouvelles menaces, ils deviennent, inévitablement, de nouvelles opportunités. 

La préparation et l’anticipation étant entendues comme la condition sine qua non du succès de cette transformation, il est du devoir de chacun des membres de l’Ordre de tourner son cabinet vers des élans nouveaux. Face à ces tendances, les experts-comptables se sont adaptés. D’abord, en se regroupant. Ensuite, en diversifiant leurs activités : la loi de 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite loi Macron), y a en effet ouvert officiellement la voie, avec un décloisonnement des missions comptables et de conseil. 

Car il serait erroné de penser que l’automatisation, la robotisation ou la digitalisation entraîneront la mort de l’expertise comptable. Bien au contraire, en déchargeant les professionnels de ces missions à faible valeur ajoutée, ils peuvent désormais se concentrer sur des missions plus adaptées aux besoins des entreprises. Les experts-comptables peuvent ainsi proposer à leurs clients des missions à forte valeur ajoutée, concernant en particulier les systèmes d’information, l’évaluation, le diagnostic stratégique. Ainsi, les cabinets d’expertise comptable continuent de diversifier leurs activités afin de se différencier et de bénéficier de nouvelles sources de revenus, en particulier le conseil. C’est, par exemple, le cas de KPMG qui a lancé́ son offre de conseil en stratégie GSG2Global Strategy Group : KPMG est le dernier des Big Four à lancer une marque de conseil en stratégie qui, en 2019, fait son entrée sur le marché français. en janvier 2019. 

Néanmoins, cette voie n’est pas dénuée de risques. D’une part, les métiers du conseil apparaissent de plus en plus concurrentiels puisque bon nombre d’acteurs sont désormais positionnés sur ce créneau. D’autre part, les petites entreprises ont une faible propension à payer pour des services de conseil en gestion et ces activités sont très coûteuses à lancer (ressources humaines, coûts de formation élevés, etc.). De ce fait, le secteur des professions comptables a vu émerger de nouvelles voies de diversification au cours des derniers mois. Par exemple, la société pluri-professionnelle d’exercice (SPE), malgré ses airs de vaste fumisterie, a fait son oeuvre chez Segeco, qui a changé́ de nom pour devenir Implid, concrétisant ainsi son nouveau statut de SPE après plusieurs rachats dans le domaine juridique (études d’huissier, cabinets d’avocats d’affaires, cabinets de notaires).

Ce faisant, loin d’être une nouvelle forme de concurrence, ces mutations feront évoluer la profession et pousseront l’expert-comptable à se renouveler. La profession est en passe de devenir experte dans l’accompagnement des entreprises dans leur croissance. Finies les liasses de papier posées sur un sombre bureau, il faut désormais inscrire dans l’ADN de l’expert-comptable un travail basé sur les relations humaines. Il est celui qui saura se tenir aux côtés des entreprises tout au long de leur vie.  

A l’heure où toutes les activités économiques s’inscrivent dans une logique de transformation, les voies d’enrichissement du métier d’expert-comptable sont donc multiples: par le conseil, l’expertise data, l’évaluation de la conformité réglementaire, l’accompagnement et la proximité avec les dirigeants, ou encore le statut de tiers de confiance. 

Espérons que la profession saura continuer sa transformation, prendre les bonnes orientations et relever les enjeux de la révolution digitale. Parions même que dans quelques années, l’expert-comptable occupera une place toujours plus centrale dans l’activité économique de la nation.  L’optimisme n’est qu’une affaire de temps, après tout.

Mattéo Boucherie

Mattéo Boucherie