KIP

Rendons la République moins présidentielle

Des couvertures de magazine, des personnalités publiques et des militants qui s’activent, des allusions de moins en moins subtiles à une candidature… Le scénario se répète tous les cinq ans. L’engouement d’une partie de la population pour la candidature d’Eric Zemmour révèle un syndrome bien français : la recherche permanente d’un homme providentiel, qui procède elle-même de l’hyperprésidentialisation du pouvoir. C’est-à-dire de l’incarnation de l’Etat en un seul personnage, concentrant de fait la plupart des pouvoirs. Dès l’été dernier, les jeunes militants de la « Génération Z » croyaient voir dans le polémiste le seul homme qui puisse sauver la France, avant même qu’il ait dévoilé une ligne de programme. Cette tendance porte préjudice aux institutions. En cet anniversaire de la Ve République, demandons-nous comment y mettre fin. 

Les excès et les limites visibles du pouvoir présidentiel 

Un accident de l’histoire a voulu que les Français soient enclins à confier leur pays à une personne en laquelle ils fantasment leur sauveur. A chaque élection présidentielle, l’on croit réellement questionner le modèle de société, pour que le candidat élu « change la vie » selon la formule de Mitterrand. L’institution responsable de tous les changements, c’est le Président de la République ; le personnage utile de l’Etat, c’est le Président de la République. En conséquence, plus besoin de ministres qualifiés, plus besoin de Parlement actif. Entendre François Hollande proposer en 2018 de supprimer le Premier ministre permet de se rendre compte dans quel état de décrépitude sont tombées les institutions autres que la magistrature suprême. 

L’avènement de la communication politique a diffusé l’idée d’un chef du pays omnipotent et omniscient. Le Président, naguère garant distant des institutions, s’implique de plus en plus directement dans les affaires politiques. En 2002 lorsque Jacques Chirac propose le passage au quinquennat, il fait du chef de l’Etat le seul dirigeant effectif du pays. Et les Français de le suivre ! Désormais, le Président de la République sera élu avec une majorité toute dédiée dans la foulée, pour une mandature qui ne sera que la sienne. Depuis, l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy, celle bavarde de François Hollande et enfin celle jupitérienne d’Emmanuel Macron sont passées par là.  Ce dernier donne le ton dès l’été de son élection en s’exprimant directement devant le Parlement et en promettant de le faire tous les ans, à la manière d’un président américain. 

L’idée promue est claire : le chef de l’Etat est le seul responsable de la politique de la Nation. Le mouvement des Gilets Jaunes en est une des nombreuses conséquences malheureuses. Une gronde sociale motivée par des griefs ancrés depuis longtemps dirigée sur la seule personne d’Emmanuel Macron, au pouvoir depuis seulement 2 ans. Lorsque le régime est incarné par un seul homme, il paraît plus fragile. Non seulement cet homme perd plus vite la confiance de la population mais les autres institutions n’ont plus de crédibilité. On attend tout de lui et il est responsable de tout. 

Le régime présidentiel est un danger pour la démocratie

D’abord, la présidentialisation du pouvoir est une dérive. Elle va à l’encontre de l’esprit de la Ve République. En 1958, le Général de Gaulle met fin au régime des partis et rend l’exécutif vraiment utile en rééquilibrant les forces entre Parlement et Gouvernement. C’est que le parlementarisme excessif de la IIIe République, reproduit par la IVe, avait paralysé les gouvernements successifs au point de les rendre incapables de faire la guerre – mondiale puis d’Algérie. Mais de Gaulle n’est pas le seul dirigeant de la France. Michel Debré est l’un des rédacteurs de la Constitution, Georges Pompidou est le gestionnaire de mai 68, Valéry Giscard d’Estaing le meneur de la lutte contre l’inflation, André Malraux mène aux affaires culturelles sa propre politique. Sans doute le Général a-t-il mieux compris que n’importe lequel de ses successeurs l’importance des ministres dans le crédit accordé à la politique du Prince, en faisant siens le propos de Machiavel : « Quand on veut apprécier sa capacité, c’est d’abord par les personnes qui l’entourent qu’on en juge. Si elles sont habiles et fidèles, on présume toujours qu’il est sage lui-même, puisqu’il a su discerner leur habileté » (Le Prince, chap. XXII). 

Aujourd’hui, les institutions républicaines sont décrédibilisées car elles n’ont pas le pouvoir du Président de la République. Les parlementaires sont vus au mieux comme des opposants godillots, au pire comme des courtisans salariés du pouvoir. Depuis 2012, les députés du parti majoritaire ont interdiction de signer des amendements émanant d’autres partis. En définitive, c’est la volonté du chef de l’Etat qui doit passer coûte que coûte. Cette idée nuit gravement au débat parlementaire :  elle facilite les passages en force d’un côté et l’obstruction parlementaire de l’autre. La dernière réforme des retraites s’est vu barrer la route par 41 000 amendements, et est finalement passée grâce au 49-3. Le débat ne se situe pas tant sur la question “pour ou contre le 49-3” qui est un outil de crise pour le Gouvernement que sur la capacité de la majorité et de l’opposition à dialoguer. Ce genre de débat renvoie l’image d’institutions inefficaces et bavardes. En 2018, 80% des Français sont favorables à la réduction du nombre de parlementaires (sondage institut Jean Jaurès pour La Revue Civique). Ils se désintéressent de presque toutes les élections en dehors de celle au poste suprême. Rien qu’à titre d’exemple, le taux d’abstention aux dernières élections régionales est de 65% alors qu’elle était de 41% il y a 6 ans. Pour les dernières élections législatives, il était de 58%, un record. 

Le Président a pouvoir sur tout, est responsable de tout, a tout en charge. En 2013, l’affaire Leonarda Dibrani montre jusqu’au grotesque les limites d’une telle idée.  Les réseaux sociaux et les médias se s’intéressent au sort d’une jeune Kosovare en situation irrégulière et de sa famille. François Hollande devient rapidement le référent quant à ses problèmes administratifs. L’emballement va jusqu’à une allocution dans la salle des fêtes de l’Elysée pour proposer une solution que la collégienne refusera. Le pouvoir se disperse à vouloir régler des affaires médiatiques alors que le Président devrait réfléchir aux réformes importantes.   

Personnaliser le pouvoir dégrade le débat politique. Les personnes passent avant les idées. L’élection présidentielle devient un match d’égos favorisé par les médias et l’hystérisation du débat public. Les attaques ad hominem deviennent la norme, la tendance atteignant son acmé lors du débat d’entre deux tours en 2017. Chaque élection présidentielle est présentée comme celle qui déterminera le cours de l’Histoire de France pour le siècle à venir. Une fois élu, le chef incarne seul l’intégrité des institutions. 

Que faire pour y remédier ?

Les Présidents depuis Jacques Chirac ont inscrit leurs actions dans une temporalité de plus en plus étroite. A cause du quinquennat, le Président doit gouverner en plus de présider. A cause du tempo médiatique dicté par les chaînes d’info en continu et par les réseaux sociaux, il doit au surplus commenter l’actualité. Face à cela, il convient d’affirmer que le mandat présidentiel n’est pas comme les autres. Il n’est donné ni pour la gestion des affaires courantes ni pour les questions d’actualités. Rétablir le septennat serait une première réforme forte dans ce sens. Le décalage entre un mandat présidentiel et parlementaire rendrait possible les cohabitations. Même si elles n’ont pas que des avantages, elles apprendraient aux Français que l’alternance ne signifie pas la révolution. Elles favoriseraient la coopération entre partis, possible remède à la polarisation de la vie politique.  

L’attitude du chef de l’Etat, davantage peut-être que les lois organiques, contribuera à rendre la République moins présidentielle. Le prochain Président de la République doit comprendre qu’il n’a pas vocation à s’exprimer sur tous les sujets, ni à s’exprimer souvent. Sa parole doit se raréfier. Si l’on n’attendait pas que le Président donne son avis sur une polémique ou une autre, peut-être le débat médiatique serait-il moins hystérique. Il doit garder en tête le rôle politique du Premier ministre et protéger le débat parlementaire au lieu de s’en mêler. C’est au Premier ministre de descendre dans l’arène du débat public, et le cas échéant les ministres. François Hollande aurait dû se le dire avant d’aller chez Jean-Jacques Bourdin pour le deuxième anniversaire de son élection. Il n’a pas vocation à s’ériger en chef de la majorité, comme l’a fait Emmanuel Macron par exemple en s’invitant régulièrement aux cocktails du groupe LREM à l’Assemblée Nationale pour faire des discours informels. En pleine affaire Benalla, des vidéos sur les réseaux sociaux le montraient parmi ses députés clamer : « S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher ! »*. Un mélange des pouvoirs d’autant plus mauvais goût que le Président ne peut être convoqué en commission parlementaire. 

Les autres institutions doivent apparaître plus souvent au premier plan. A commencer par le Gouvernement. Dans L’arbre de Mai : chroniques alternées, Edouard Balladur, alors conseiller de Pompidou, explique longuement l’importance du Premier ministre dans le régime gaullien en 68 : « Pompidou, nommé six ans plus tôt, semblait indéracinable. Tout aboutissait à son cabinet, tout en repartait. (…) Pour tout ce qui était la politique intérieure, l’autorité de de Gaulle paraissait plus lointaine, épisodique ». Matignon est au centre du jeu politique et de l’administration de l’Etat. Le Premier ministre n’est pas un « collaborateur » comme l’a affirmé un jour Nicolas Sarkozy. De même, le Parlement doit être plus autonome. Que le Président ne s’impose plus comme le chef de la majorité l’y aiderait. Mais là encore, les habitudes sont plus fortes que les lois. C’est aux parlementaires (y compris de l’opposition), ainsi qu’au Gouvernement, qu’il revient de rehausser le niveau du débat législatif de sorte qu’il ne se réduise pas à la dialectique « obstruction versus 49-3 ». 

Les changements tiennent beaucoup aux politiques. Mais c’est aux électeurs d’en donner le primesaut. Ne laissons pas la prochaine élection présidentielle prendre les mêmes travers que les précédentes et sachons être lucides sur les capacités d’un dirigeant et sur les nombreux paramètres dont dépendent les politiques. N’attendons pas de l’élection présidentielle des promesses que personne ne peut tenir. Remettre chaque acteur de la politique à sa vraie place nous évitera les déceptions d’usage. 

Sources: 

https://www.lexpress.fr/actualite/politique/le-qu-ils-viennent-me-chercher-de-macron-moque_2027544.html
Alexandre Biardeau

Alexandre Biardeau

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP, intervieweur et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP, interviewer and regular contributor.