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Renault serait-elle tombée en panne ?

Alors que le grand salon international de l’automobile se tenait à Paris du 17 au 23 octobre, placé sous le signe de l’électrique et de l’hybride rechargeable, on ne pouvait que constater l’absence de nombres de constructeurs de premier plan sinon emblématiques. Pas de stand Toyota, BMW, Mercedes, Fiat … et la liste est encore longue. En revanche, les constructeurs français, eux, ont répondu à l’appel, avides de présenter au public venu en masse leurs nouveaux prototypes. 

Renault est donc là pour lancer officiellement sa « Renaulution » (nom donné à son plan stratégique pour les années à venir). Des voitures au design novateur, parfois audacieux, se voulant davantage respectueuses de l’environnement tout en restant accessibles au plus grand nombre : voilà le défi que se lance le constructeur français. Mais est-il toujours de taille pour l’affronter ? 

Une marque iconique en difficulté 

En effet, nombreux sont les nuages qui menacent la marque au losange. Affaiblie par l’affaire Carlos Ghosn remontant à 2018, l’entreprise a une situation financière fragile, comme l’attestent les deux années passées dans le rouge en 2019 et 2020. Surtout que le marché de l’automobile ne se porte pas bien, les ventes ayant chuté de 14% en Europe au premier semestre 2022 par rapport à 2021, dans un contexte éminemment difficile. D’abord, on trouve la pénurie de semi-conducteurs et autres matériaux stratégiques pour l’assemblage et la production de voitures intelligentes, à défaut d’être autonomes. Depuis quelques années, on voit les écrans tactiles et autres gadgets technologiques se multiplier à l’intérieur des véhicules, mais on pense peu à toutes les puces électroniques nécessaires à leur bon fonctionnement. Or, se procurer ces puces n’est pas si simple puisqu’elles sont en grande partie produites en Asie par le géant taïwanais TSMC ou des groupes sud-coréens et chinois. Lorsque l’offre ne peut plus suivre la demande en explosion, il est compréhensible que ces mêmes groupes se servent en premier, mais cela pénalise fortement les autres entreprises étrangères qui en dépendent, situation dans laquelle se trouve aujourd’hui Renault. A la désorganisation des chaînes d’approvisionnement, s’ajoute un autre problème majeur, celui de l’inflation galopante qui n’en finit pas de renchérir le coût de production des véhicules. De fait, qui dit inflation, dit hausse des coûts des matières premières : de l’acier nécessaire à la fabrication des carrosseries au caoutchouc utilisé pour fabriquer les pneus en passant par les ampoules électriques utilisées pour les phares du véhicule. Un nombre considérable de pièces et de matériaux différents sont nécessaires à la production d’un seul véhicule. On comprend donc aisément qu’une hausse des prix généralisée pèse d’autant plus sur une entreprise du secteur automobile. 

Pour éviter que son activité ne se dégrade brutalement, l’entreprise peut toutefois compter sur un nouveau directeur général ayant fait ses preuves, l’italien Luca de Meo (anciennement président de SEAT) et  sur sa transformation ou renaulution. Elle est bien déterminée à ne pas manquer le virage de l’électrique. Si l’on se penche brièvement sur le passé de la marque au losange fondée en 1898 par les frères Renault, on remarque que ce qui a fait la gloire de l’entreprise au lendemain de la Première Guerre mondiale, ce sont des voitures haut de gamme innovantes. Ensuite, l’entreprise a diversifié son activité en produisant des taxis et des camions, production qui va fortement augmenter durant la Seconde Guerre mondiale. Justement, cet épisode va marquer l’entreprise. Après le conflit, elle aura du mal à s’imposer face à des concurrents plus forts et plus présents tels que les Fiat italiennes ou les Coccinelle allemandes. Elle doit acter quelques échecs commerciaux, comme celui de la Frégate, un modèle haut de gamme finalement battu par sa concurrente Citroën. 

Dans les années 1990, l’entreprise est privatisée et elle tente enfin de s’internationaliser, mais sans grand succès. Malgré des efforts de partenariats et d’investissements conjoints avec des marques étrangères telles que Dacia ou plus tard Nissan, Renault reste toujours un groupe français plus qu’international et peine à séduire les marchés émergents. 

Dans les années 2000, l’entreprise manque d’audace et incorpore peu le progrès technique à ses nouveaux véhicules. Souvent critiquée pour son manque d’originalité, elle finit par s’éloigner du haut de gamme afin de concentrer ses efforts sur l’entrée et le milieu de gamme. 

Plus récemment, l’entreprise doit affronter tant bien que mal la crise du Covid-19. Elle supprime alors des milliers de postes, après des années de délocalisation, et a recours à un prêt garanti par l’Etat de l’ordre de 5 milliards d’euros pour l’aider face aux pertes financières conséquentes qu’elle subit. 

Un pari sur l’avenir 

Le plan intitulé “Renaulution”, que le groupe présente alors pour faire taire les Cassandre et redorer son image, fait office de pari sur l’avenir pour l’entreprise. On peut le voir comme une sorte de “plan de la dernière chance” tant les difficultés de Renault sont grandes aujourd’hui. 

Cette stratégie se décline en trois parties : entre 2020 et 2023, l’accent est d’abord mis sur la marge opérationnelle du groupe afin de procurer les liquidités suffisantes à l’entreprise pour réaliser des investissements futurs massifs et coûteux. Puis, jusqu’en 2025, il s’agit de renforcer les marques du groupe sur ses différents marchés – Europe, Asie, émergents – à l’aide de nouveaux véhicules modernes rassemblés sous l’appellation de « nouvelle vague ». Enfin à partir de 2025, Renault souhaite « casser le cycle consumériste et générer de la valeur » via une refonte du cycle de vie des véhicules. A ce titre, l’ouverture récente de Re-factory – comme celle de Flins en France en 2021 – devrait permettre « le reconditionnement de véhicules d’occasion ».

Si le plan fait la part belle à l’électrique ainsi qu’à l’hybride rechargeable, on peut néanmoins émettre de sérieux doutes sur la capacité du groupe à relever le défi de la transition vers l’électrique. Pour l’instant, l’entreprise semble toujours pâtir d’un manque d’originalité et de volontarisme. Par exemple, sa concurrente française Peugeot se montre très dynamique : changement de logo, nouveau partenariat avec la naissance du géant Stellantis, voitures au design novateur et moderne comme la nouvelle Peugeot 208 visible quasiment à chaque coin de rue… Le risque est que Renault devienne une sorte de “marque musée” avec des voitures banales, fonctionnelles et milieu de gamme. Rien de très emballant. 

Si le succès récent de la Zoé électrique est encourageant, les investissements du groupe dans la transition restent insuffisants, surtout face à la montée en puissance de concurrents chinois dopés aux subventions qui menacent d’inonder le marché hexagonal. On le voit déjà au salon de l’auto qui s’est tenu comme nous l’avons dit au début de cet article en octobre dernier, les voitures chinoises et plus largement asiatiques se sont taillées la part du lion. BYD – numéro deux mondial de l’électrique derrière Tesla-, Seres, WEY ou encore Great Wall Motors pour ne citer qu’elles. Toutes ces marques jeunes et ambitieuses sont autant de concurrents sérieux à la reconquête de Renault. Et elles investissent toutes les gammes, dans une stratégie visant le marché de consommateur entier, des entreprises aux particuliers. 

Géant national, nain mondial

Les défis auxquels Renault doit faire face sont donc critiques. Si l’entreprise ne réussit pas à les surmonter, et on peut le craindre, elle pourrait à moyen terme, se voir contenue à un rôle accessoire sur un marché réduit aux frontières de l’hexagone, loin, très loin de son passé glorieux et avant-gardiste. 

Renault serait donc d’une certaine mesure en panne, mais elle est aussi en train de redéfinir son identité afin de conjurer la perte de vitesse de ses ventes via sa Renaulution qui sera décisive même si elle ne suffira probablement pas pour redresser le groupe. Il faudra de la patience, des compétences et des moyens pour permettre au groupe de redevenir un acteur de premier plan sur la scène internationale car force est de constater que la concurrence est rude et que Renault n’est pas la seule à investir le terrain convoité de l’électrique et des nouvelles mobilités, loin de là. 

Et le problème sera justement de triompher de cette concurrence internationale, car si Renault demeure leader – avec Peugeot – sur le marché national et détient une place significative au niveau européen, elle est en revanche beaucoup moins installée sur une scène internationale en pleine recomposition. Face aux Tesla, Stellantis, Toyota et autres marques asiatiques en pleine ascension, Renault doit trouver de nouveaux partenariats pour espérer tenir son rang. 

Pour plus de détail sur la stratégie du groupe Renault : https://www.renaultgroup.com/wp-content/uploads/2021/01/strategic_plan_analysts_pdf-final.pdf

Illustré par Constance Leterre-Robert

Lucas Desages

Lucas Desages

Étudiant français en Master in Management (Promotion 2026).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management (Class of 2026).
Member of KIP and regular contributor.