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Relancer la construction européenne ? Entretien avec Pascal Boniface
Illustration d'Hugo Sallé pour KIP

Relancer la construction européenne ? Entretien avec Pascal Boniface

Pascal Boniface est un géopolitologue français, directeur et fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques. Généraliste, il traite de divers sujets touchant à la géopolitique actuelle, mais il a aussi particulièrement analysé des sujets touchant aux conflits au Moyen-Orient, à l’arme nucléaire, à la géopolitique du football. A l’occasion des élections européennes prochaines, nous avons pensé que le regard de cet expert sur l’actualité géopolitique de l’Union Européenne pouvait nous éclairer.

KIP : Pensez-vous qu’actuellement et à long terme la construction européenne, qui était sur une pente ascendante depuis les années 50, est remise sérieusement en cause dans la durée depuis ces dernières années à la suite des crises politiques et économiques que l’Europe a connu ?

Pascal Boniface : Il est certain que la construction européenne n’est plus sur une pente ascendante, et ce pour plusieurs raisons. La première, c’est que l’Europe, qui s’est sans doute élargi trop rapidement et trop largement, n’est plus unie. Il y a sur de trop nombreux sujets des divergences, par exemple à l’égard de Trump, de Poutine ou de l’afflux massif des migrants. Ces désaccords ralentissent nécessairement la construction européenne. Aussi, on n’a toujours pas réglé la question de l’autonomie stratégique européenne. Certains pays la souhaitent et pensent que la présence de Trump la rend encore plus indispensable, tandis que d’autres pensent différemment. Il y a en outre une montée de l’extrême droite dans l’ensemble des pays européens, ce qui rend le projet européen beaucoup moins mobilisateur : il est plutôt l’objet de rejet. Le risque des élections prochaines sera donc celui de l’abstention, comme ce fut déjà le cas en 2014, et ceux qui iront voter risquent d’être hostiles ou réticents face à la construction européenne. Non pas qu’il faille être béat devant elle, peut être qu’elle a mal accompagné certaines classes sociales. Il y a en effet certaines classes qui se savent être les gagnants de cette construction, je pense que vos camarades à HEC sont de ce fait beaucoup plus pro-européens que la moyenne, tandis que d’autres classes pensent qu’elle s’est faite à leur désavantage. Il faut en tenir compte et voir les reproches qui sont faits pour aller de l’avant.

En même temps, quand on voit le Brexit, peut-être que le projet européen a besoin d’être clarifié. Les Britanniques semblent d’ailleurs regretter leur choix aujourd’hui. Néanmoins, ce qu’il y a de paradoxal, c’est que si l’on va plus loin, au delà de l’Europe, il semble y avoir une forte attractivité de l’Union Européenne, tandis qu’à l’intérieur de nos frontières, il y aurait plutôt une fatigue. La Géorgie, l’Ukraine, les pays balkaniques rêvent d’intégrer l’UE. Et les réfugiés qui quittent la guerre civile ou la misère recherchent leur El Dorado en Europe. Il faudrait donc un redémarrage de l’Europe à l’intérieur d’elle-même. Tout le monde espérait que le couple franco-allemand issu de mai 2017 s’en occupe, mais l’élan ne fut pas lancé, notamment à cause de la situation compliquée que rencontrent l’Allemagne comme la France. Et l’Italie fait défaut, son gouvernement est clairement anti-européen. En même temps, on n’a peut-être n’a pas suffisamment aidé l’Italie, surtout face à l‘afflux des migrants ces dernières années. Il est facile pour nous autres de donner des leçons quand on n’a pas fait le maximum. Heureusement, le gouvernement espagnol prend un tournant plus européiste après le surplace de Rajoy. Mais dans tous les cas, on ne pourra avancer qu’à quelques-uns, pas à vingt-sept !

Aussi, on peut faire le pari que Donald Trump soit un accélérateur, car il ne sera pas possible d’accepter plus longtemps ses attaques contre la souveraineté européenne. Tout cela devra créer un sursaut. Même l’Allemagne, pays atlantiste, y compris la chancelière Angela Merkel, chrétienne démocrate, a condamné les propos et la politique de Donald Trump.

KIP : Vous avez parlé de la montée de l’extrême droite car les couches populaires se sentaient de plus en plus perdants. Mais se sentaient-elles dans les années soixante davantage gagnantes ?

Pascal Boniface : Oui parce que dans ces années là tout le monde gagnait, grâce à la croissance économique. Quand j’avais votre âge, on était tous persuadé qu’on aurait de meilleures conditions de vie matérielles que nos parents, donc il était plus facile d’être pro-européen pendant cette période. Même à la fin des Trente Glorieuses subsiste un sentiment pro-européen, notamment parce que la CEE n’était pas aussi large qu’aujourd’hui. Je pense personnellement que les élargissements successifs ont brisé cette unité, cet élan. On a anticipé la construction européenne pour des raisons politiques, de politiquement correct aussi par rapport aux pays de l’Europe de l’Est, qui disent adhérer aux structures euro-atlantiques mais qui en fait recherchent la protection américaine et les crédits européens. Ils sont européens pour les fonds structurels, moins pour accueillir les réfugiés.

KIP : Donc vous êtes contre l’élargissement de l’Union européenne à des pays comme la Turquie ou de la Macédoine ?

Je pense qu’on a une dette envers la Serbie, dette que l’on a mal traitée, et il me paraît incongru qu’on ait accepté la Croatie avant la Serbie dans l’Union. Mais pour ce qui est de la Turquie le débat n’est pas clos. J’étais ouvert à la perspective de l’entrée de la Turquie dans les années 2000 mais aujourd’hui ce n’est pas l’Europe qui s’éloigne de ce pays, c’est Erdogan qui s’éloigne de l’Europe.

Yann Sassi

Yann Sassi

Étudiant français en Master in Management (Promotion 2021) à HEC Paris.
Contributeur régulier.

French student in Master in Management (Class of 2021) at HEC Paris.
Regular contributor.

Lukas Huberty

Lukas Huberty

Étudiant français en Master in Management (H2021) à HEC Paris.
Contributeur régulier.

French student in Master in Management (H2021) at HEC Paris.
Regular contributor.