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Quel bilan tirer du quinquennat Macron ? (⅓)

Si tous ses adversaires annoncés aux prochaines présidentielles sont devenus maîtres au grand jeu du « Il faut interdire au président de parler tant qu’il n’est pas candidat mais nous en revanche pouvons le descendre sur son bilan » (idée que les candidats passent plus de temps à développer dans leur meeting que leur propre programme), rien n’interdit pour autant à deux rédacteurs de KIP – Gabrielle et Julien – de débattre pour essayer de dresser le portrait le plus fidèle des cinq années au pouvoir d’Emmanuel Macron. Accrochez-vous, la discussion promet d’être des plus animées.

Julien : Hello Gabrielle ! Ravi de pouvoir discuter avec toi sur ce sujet passionnant. Personnellement je dois avouer que je suis assez enthousiaste devant le travail mené par Emmanuel Macron pendant le quinquennat qui s’achève dans un peu moins de six mois. Pour moi-même si tout a été loin d’être parfait, son bilan reste des plus positifs. Il a dû affronter certaines des crises les plus violentes jamais traversées dans l’histoire française récente et a malgré tout su garder un certain cap sur tous les plans de sa politique que ce soit du point de vue social, économique, environnemental, diplomatique ou encore (et le fait qu’on doive citer cet aspect montre bien à quel point son mandat n’aura été semblable à aucun autre) sanitaire.

Gabrielle : Salut Julien ! Je suis tout aussi ravie ! Pour ma part, ce président ni de droite ni de gauche (mais quand même sacrément à droite, à deux doigts du fossé diraient de mauvaises langues), ainsi que son gouvernement, ne m’ont pas convaincue. Un mandat certes ballotté entre les conditions sanitaires exceptionnelles et autres circonstances inédites, mais qui peine à offrir un bilan défendable. Scandales, réformes… nous en discuterons, ce sera passionnant  ! Il est, tu l’as souligné en introduction, bien en vogue de critiquer notre président (enfin, « notre » : l’abstention, cette candidate muette, a obtenu plus de voix que LREM au premier tour en 2017) : pour le bien de notre débat, je serai donc à la dernière mode.

Julien: De droite, de droite… Faut le dire vite… Pour moi la promesse de campagne d’être ET de droite ET de gauche a été plutôt bien tenue! Regarde le retour à un quasi état providence que n’aurait pas renié Beveridge pendant le COVID et le “quoi qu’il en coûte” qui dure depuis bientôt deux ans… Pour moi le président a surtout été victime de deux phénomènes: la grogne constante qui grossissait dans le pays depuis des années déjà (et était donc déjà dûe en grande partie à ses prédécesseurs… dont le plus proche était… de gauche) et son caractère souvent jugé hautain et dédaigneux. Regarde la fameuse crise des gilets jaunes: peut-on dire que toutes les problématiques de ces manifestants, dont on sait bien que les revendications dépassaient de très loin le imple prix de l’essene, étaient le fait d’un président en exercice depuis à peine deux ans? Certainement pas! Pourtant c’est bien sa personne qui a cristallisé les critiques et les menaces et qui a dû gérer les violences tout bonnement inacceptables.

Gabrielle : Les revendications des gilets jaunes dépassent effectivement le prix de l’essence : sentiment d’abandon, peur du déclassement et du chômage… Ces feux de palettes sur les ronds-points sont le cri d’une classe moyenne basse qui se sent sous-représentée, tant parmi nos élites que dans le débat public, alors même qu’elle forme une part importante de la population française. Une classe qui se sent délaissée par la gauche qui se perd dans des débats de société au lieu de savoir faire du social, et la droite qui reste campée sur son électorat plus âgé et plus fortuné. Une classe moyenne qui, il y a un siècle, votait souvent rouge, qui aujourd’hui vote parfois bleu marine. Le président, par cette mesure, par sa suppression de l’ISF (oui, moi aussi à un moment j’ai cru que les riches français seraient encouragés à investir…), a montré au mieux son incompréhension, au pire son mépris pour cette partie de la population. Qu’ils traversent la rue ! Oui, pour des emplois sous-payés ne correspondant pas à leurs qualifications : ils ne vaudraient pas mieux que cela, pendant que nos députés votent l’augmentation de leur indemnité1Précisément : 300 euros de plus d’indemnité d’hébergement en octobre 2019, plus de 2700 euros d’augmentation de leur dotation annuelle pour leurs frais (soit 15%), dont ils ne doivent justifier (en partie, ne soyons pas trop exigeants envers nos pauvres législateurs…) l’usage que depuis une loi de… 2017 !(Sources : https://www.capital.fr/economie-politique/lincomprehensible-augmentation-de-lenveloppe-de-frais-des-deputes-1392496) en plein COVID ?

Julien: Tout d’abord, je tiens à souligner un point majeur qui selon moi explique toute la difficulté rencontrée par le gouvernement dans la gestion de cette crise. Je t’invite à te remettre en mémoire les images des violences honteuses qui ont entouré le mouvement, des vitrines de magasins détruits, des voitures incendiées, de l’Arc de Triomphe, l’un des symboles les plus importants de notre pays saccagé… Il me semble qu’on est bien loin de tes feux de palettes, à moins bien sûr que les manifestants n’aient pas su différencier du bois et de la pierre ce qui serait tu en conviendras assez triste. Rien ne justifie cela, même les remarques maladroites de membres du gouvernement (qui je le reconnais n’ont souvent pas été fins sur le coup). Une partie non négligeable du mouvement n’était pas là pour pacifiquement faire entendre leurs idées et était dans une situation de rejet total du gouvernement (attaquer la voiture d’un président  n’est tu en conviendras jamais la bonne solution pour défendre sa cause2Le 4 Décembre 2018, le convoi présidentiel a été attaqué, bloqué et caillassé par des manifestants lors d’un déplacement d’Emmanuel Macron au Puy en Velay) et des concessions ou propositions qu’il mettait sur la table: de l’annulation de la hausse de fiscalité sur les carburants pour 2019 au grand débat en passant par la hausse du SMIC, aucune mesure n’a su trouver grâce à leurs yeux. Ce jusqu’au boutisme a conduit à la décrédibilisation progressive du mouvement et à son enlisement.

Gabrielle : Casser des voitures et des vitrines, c’est vraiment très mal. Maintenant que nous sommes d’accord sur ce point ultra-polémique (non), intéressons-nous à l’intéressant, le pourquoi. Non, les gilets jaunes ne sont pas des maniaques fascinés par la violence. Ce sont des hommes et des femmes en colère. Il doivent être condamnés devant la justice pour leurs actes, et l’ordre rétabli, c’est certain, mais tirons des leçons de ces manifestations : oui, les campagnes françaises souffrent ; oui, l’écologie n’est aujourd’hui pas suffisamment sociale pour être acceptable. Une taxe carbone, mais pas assez de transports en commun. Du bio, mais trop cher. Alors parfois, une mesure de trop, et tout explose. Un grand débat citoyen, dis-tu ? L’équivalent d’une petite tape sur la tête et d’un bonbon pour consoler un enfant qui s’est cassé la jambe. Le dialogue est rompu entre le gouvernement et les citoyens (tous les citoyens) et pour le rétablir, un numéro vert ne suffit pas. Rétablir le lien de confiance passera par une exemplarité du gouvernement et du parlement, difficile à mener lorsque des ministres eux-mêmes sont ou ont été accusés de prise illégale d’intérêt et d’abus de pouvoir (oui, la présomption d’innocence doit être respectée ; non, le président ne peut pas innocenter quelqu’un avec un « parce qu’on a discuté d’homme à homme »).

Julien: Ah l’exemplarité, un sujet sur lequel je vais devoir te concéder quelques longueurs… Parlons de ce qui est selon moi LE point noir du quinquennat Macron: l’affaire Benalla! Qu’un président de la république ait pu avoir dans son entourage proche un individu ayant abusé des avantages de sa fonction et ayant commis de multiples délits, ça la fout clairement mal3Usurpation de l’uniforme de policier pour passer à tabac un manifestant, utilisation de passeports diplomatiques et j’en passe… Après je suis moins fan de la polémique qui s’en est ensuivi sur le discours du “Qu’il vienne me chercher” qui était plus selon moi un mea culpa et une manière d’assumer qu’une provocation à l’égard de l’assemblée nationale auprès de laquelle il est ininterrogeable…… Sur le reste, je suis plutôt en phase avec la manière qu’il a eu de gérer les différentes “affaires” qui ont secoué son gouvernement. Tu demandes le respect de la présomption d’innocence, mais pour autant tu exiges aussi au nom de l’exemplarité le départ de ministres sans autre jugement que celui du tribunal populaire… Pour moi Macron a fait preuve de courage en tant que représentant des institutions en défendant ce principe ancré dans notre démocratie. Pour moi, plus que l’exemplarité, le principal problème aujourd’hui est comme le disait Emmanuel Macron que “Les Français n’aiment pas les réformes”4Déclaration lors d’un déplacement en Roumanie en 2017 peu après son élection. Même un président élu sur un programme connu et à qui les français ont donné une majorité à l’Assemblée nationale ne peut bouger le petit doigt sans susciter l’émoi dans l’opinion publique. Regarde les critiques sur la suppression de l’ISF, cheval de bataille de la campagne de Macron, ou la réforme des retraites finalement reportée à cause du COVID. Le français aujourd’hui ne voit pas la nécessité de faire évoluer le pays et reste arc-bouté sur ses positions.

Gabrielle : pour clore notre discussion sur l’exemplarité des ministres, j’espère que tu conviendras avec moi que lorsque les ministres de l’intérieur et de la justice ont des démêlés les confrontant à la police et aux magistrats, on nage en plein conflit d’intérêt. Tu nous décris ensuite la bonne vieille figure du “gaulois réfractaire”, français accroché à ses “positions” (quelles positions ? un pouvoir d’achat déclinant ? une disparition du service public ?), refusant tout changement. Peut-être que si le gouvernement (mais également ses prédécesseurs, car le mépris de l’opposition citoyenne semble se transmettre avec la fonction), ne se drapait pas face à ces français dans sa dignité offensée, peut-être que si on arrêtait de prétendre avoir besoin de pédagogie pour faire passer des mesures, alors qu’il faudrait du dialogue pour les concevoir, alors les français accepteraient ces réformes. Oui, la suppression de l’ISF a profité aux riches, c’est un fait. La théorie du ruissellement est aussi fictive que le travail de Pénélope Fillon et la déclaration d’impôt de Dupont-Moretti. L’affaire Benalla est, à mon sens, le moindre des scandales face au reste du bilan Macron : autoroutes bâties par l’argent public bradées à Vinci, réforme de l’assurance chômage qui pénalise les plus précaires sans offrir de contreparties… Un arbre cache la forêt.

Julien : Sur la théorie du ruissellement passons. C’est un débat tout simplement sans fin qui dure depuis que Laffer l’a énoncé dans les années 1990. Je comprends ton point de vue sur les réformes, mais ne penses-tu pas aussi que modifier des régimes de retraites antédiluviens face à un phénomène réel de vieillissement de la société ? Est-il normal qu’un conducteur de train aujourd’hui bénéficie des mêmes avantages que les cheminots d’antan qui travaillaient dans des conditions autrement plus difficiles et risquées ? Régler cette question mérite-t-elle deux mois de grève et de paralysie du pays ? Je maintiens que la France est profondément opposée à toute tentative de réforme. Tu appelles à un dialogue pour concevoir les mesures. Demande à ce cher Mélenchon comment il a réagi quand le texte est arrivé à l’assemblée : il a déposé des milliers d’amendements fictifs pour bloquer l’étude de celui-ci, bloquant toute tentative de dialogue et rendant l’issue tout simplement inévitable ! Comme quoi il est plus facile de jouer aux tribuns râleurs que d’organiser un vrai débat. Bref, taxer ce gouvernement de méprisant quand on fait tout pour l’empêcher de faire ce pourquoi il a été élu, c’est tout bonnement gonflé…

Illustré par Julie Omri

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.

Gabrielle Pichon

Gabrielle Pichon

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Ancienne présidente de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Former KIP President and regular contributor.