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Pourquoi le mot “féminisme” est-il un gros mot ?

En 2018, un sondage réalisé à l’échelle européenne montrait que plus de la moitié de la population ne se considérait pas comme féministe. Pourtant, sur ce même échantillon, 80% des personnes sondées se déclaraient en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ainsi, c’est donc bien le terme de « féminisme » qui dérange, et non la cause défendue. En effet, de nombreuses personnes considèrent ce terme comme insultant, ou portent un jugement péjoratif immédiat sur des personnes se revendiquant comme féministes. Comment se fait-il que ce terme soit connoté d’une manière aussi négative ?

Le féminisme est-il agressif ?

Lors de son discours au siège de l’ONU pour présenter l’initiative « HeForShe », l’actrice Emma Watson expliquait que la société associait le fait d’être féministe au fait d’être « trop forte, trop agressive et peu attirante. » La femme qui a fait le choix de défendre ses droits est donc une hystérique, très sûrement violente et mal épilée.

Cette connotation péjorative du terme de « féminisme » provient de l’image dégradée de certaines mouvances, considérées comme étant plus ou moins extrêmes, du féminisme. En effet, comme dans la plupart de ces mouvements, certains militants tiennent des propos ou font des actions clairement discutables. On peut, par exemple, penser au mouvement des Gilets Jaunes, durant lequel des paroles et des évènements violents, ne représentant pas l’opinion de tous, ont eu lieu. Bien évidemment, les éléments médiatisés sont quasiment systématiquement les éléments polémiques, qui ne mettent pas en valeur le mouvement. Ainsi, il est essentiel de prendre du recul vis-à-vis des polémiques qui circulent sur le féminisme, car la plupart des personnes se revendiquant féministes ne partagent pas ces idées. Le mouvement est donc associé à des pratiques, parfois agressives voire extrêmes, mais qui restent isolées.

Tout autant qu’il est ridicule de dire que tous les hommes sont des violeurs misogynes, considérer que toutes les féministes sont des hystériques anti-hommes semble quelque peu excessif. De plus, il ne faut pas oublier qu’il existe autant de définitions du mot « féminisme » qu’il existe de féministes. En effet, chaque personne considérera qu’à ses yeux, tel ou tel point est plus ou moins important. Certaines personnes vont penser que lutter pour l’égalité salariale sera plus important que mettre en place l’écriture inclusive, par exemple. Il ne faut donc pas réduire tout un mouvement aux idées d’une poignée de personnes.

Le féminisme impose-t-il ses opinions aux femmes ?

Il est également assez commun d’entendre que le féminisme impose des idées, pousse les femmes à cesser de prendre soin d’elles et à devenir lesbiennes. Le féminisme n’a jamais obligé quiconque à faire quelque chose qu’il ne souhaite pas. Prendre soin de son corps est une décision qui revient à la personne à qui ce corps appartient, et à personne d’autre. Se coiffer, se maquiller ou s’épiler est une décision personnelle prise en son âme et conscience par chaque personne.

Le féminisme n’impose donc aucune idéologie, il cherche simplement à normaliser des corps différents, des attitudes différentes, des vêtements différents… En effet, nous vivons dans une société où chaque personne se doit d’entrer dans une « case », si elle n’y entre pas, elle est immédiatement mise de côté et considérée comme une paria. Le féminisme a donc pour but de valoriser les différences et normaliser les choix faits par certaines femmes qui peuvent paraître « socialement » choquants.

Le féminisme est-il synonyme de haine des hommes ?

«  Lorsque l’on se pose comme victime, on pose l’autre comme bourreau. », disait Elisabeth Badinter dans l’Arche, en dénonçant la position de « victimes » que prendraient les femmes féministes. Or, le féminisme ne prône pas une « idéologie de la victimisation ». Nombreux sont les discours que l’on peut entendre sur la prétendue victimisation constante des féministes, qui transforme alors les hommes en bourreaux.

Cette vision des choses mène à penser que le féminisme porte un discours « anti-hommes », qu’il vise à assurer la supériorité des hommes sur les femmes et que les hommes sont responsables de tous les malheurs  Pourtant, le féminisme ne prône pas une victimisation des femmes, mais bien un « empowerment », ce qui marque une différence importante. Le féminisme invite les femmes à se réapproprier leurs droits et de faire en sorte qu’ils soient reconnus, quelles que soient leurs origines, leur religion ou leur couleur de peau.

La haine des hommes n’est donc absolument pas au cœur de la lutte féministe. Au contraire, cela serait une absurdité totale de faire en sorte que les hommes – à savoir 50% de la population – ne se sentent pas impliqués dans un combat qui concerne les évolutions de la société pour les années à venir.

Le féminisme sert-il encore à quelque chose ?

La question peut paraître légitime. En effet, en France en tout cas, les femmes ont fini par obtenir le droit de vote, par avoir l’autorisation de porter des pantalons et ont le droit de travailler sans l’accord de leur mari. Les revendications féministes semblent donc perdre de leur importance, de leur poids et de leur intérêt. Cependant, peut-on réellement considérer comme égalitaire une société dans laquelle le taux de féminicides reste particulièrement élevé, dans laquelle le salaire de certaines femmes demeure inférieur à celui de leurs homologues masculins, et ce à compétences égales, dans laquelle les femmes sont discriminées à l’embauche, dans laquelle elles sont victimes de harcèlement de rue et de viols ?

Les progrès à faire sont encore nombreux, et c’est pour cette raison précise que l’on a toujours besoin du féminisme. On a besoin de ce mouvement pour continuer à faire valoir les droits des femmes, pour permettre une libération de la parole sur les agressions qu’elles peuvent subir, pour améliorer les structures d’accueil pour les femmes violentées, pour sensibiliser et éduquer la population et pour changer la vision idéalisée de la femme belle, jeune et discrète que l’on a. Par exemple, le mouvement #MeToo, censé permettre aux femmes de parler des violences dont elles sont victimes, s’est exposé à de violentes critiques à cause de l’encouragement à la « délation » qu’il provoquait. C’est pour cette raison que l’on a toujours besoin du féminisme. Parce que l’on considère qu’une femme qui dénonce un crime qu’elle a subi se contente de faire de la délation. Non, elle ne fait pas de délation. Elle se protège, et elle protège aussi les autres.  

Être féministe, c’est se battre pour les droits des femmes. Pour les droits de toutes les femmes. Pas seulement celles de son pays. Le féminisme est donc nécessaire car dans de nombreux pays, les droits des femmes sont encore bafoués, ou des crises politiques remettent en question leurs droits. C’est ce que disait Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. », et c’est également ce que l’on a pu observer en Afghanistan. Depuis l’arrivée au pouvoir des Talibans, les droits des femmes sont littéralement mis au placard, elles ont été exclues de certains métiers publics, leur manière de s’habiller est contrôlée, elles n’ont plus d’accès à l’éducation et n’ont plus le droit de voyager en avion sans être accompagnée par un homme de leur famille. C’est donc à cela que sert le féminisme. A mettre en avant le combat quotidien de ces femmes, à lutter pour leurs droits et à les protéger des diverses violences dont elles sont victimes.

Non, le féminisme n’est pas agressif, non il n’impose pas pas ses idées aux femmes, non il n’est pas synonyme de haine contre les hommes. Il est au contraire un symbole d’amour envers toutes les personnes qui habitent cette planète, un hymne à l’acceptation de la pluralité des femmes et un combat pour l’égalité.

Illustré par Diane Lapacherie

Diane Lapacherie

Diane Lapacherie

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-présidente de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and regular contributor.
Member of KIP and regular contributor.