KIP

Pourquoi la majorité ne survivra pas à Emmanuel Macron ? Épisode 4 : Après nous, le déluge

C’était un après-midi de septembre 2022. Le Président de la République recevait au Palais les candidats de la majorité malheureux à leur réélection à la députation. Pour leur promettre une voix, évidemment. Mais aussi dans une visée beaucoup plus cynique : les convaincre d’attendre pour choisir un poulain dans la course à sa propre succession. Ainsi les prétendants les plus sérieux – et sans doute les moins discrets – en ont-ils pris pour leur grade, du déserteur Édouard Philippe au fayot Gérald Darmanin. Le Président agissait là dans une visée bien claire : faire l’ombre sur un éventuel futur de la coalition majoritaire. Un futur sans son fondateur, sans son modèle. Inenvisageable pour l’heure, un remplacement d’Emmanuel Macron dans le rôle de leader de cette majorité composite est très compromis. Pire, cette coalition des centres périra en même temps que la vie politique de son fondateur. 

Épisode 4 : Après nous, le déluge

Il est temps d’en revenir au cœur du sujet de cette série, et de conclure. L’héritage qu’Emmanuel Macron semble vouloir léguer ne laisse pour l’heure aucune assurance pour faire barrage à la percée du Rassemblement national et à son éventuelle arrivée au pouvoir en 2027. Et ce, en dépit du nombre de candidats crédibles au sein de la majorité.

Projecteurs

Au cours des cinq dernières années, plusieurs figures de la macronie ont irrésistiblement émergé au point d’apparaître comme des successeurs crédibles au Président, qui ne pourra pas, chacun le sait, concourir à sa succession en 2027. 

Le premier fut évidemment l’ex-Premier ministre Édouard Philippe, débarqué en 2020, lors d’une passagère accalmie dans la crise sanitaire. Certes, celui qui est resté plus de trois années à Matignon – une longévité tout à fait  honorable lorsqu’on la compare à celle de ses prédécesseurs – s’est déclaré épuisé par ces trois ans à gouverner et à parer aux crises survenues de toutes parts. Et ce jusque dans la teinte si commentée de sa barbe. Pour autant, il ne faut évidemment pas s’arrêter là dans l’analyse de la fin de l’ère Philippe à Matignon. Populaire et charismatique, le Premier ministre s’annonçait chaque jour un peu plus comme le candidat naturel à la succession d’un Président qui n’en était qu’à son premier mandat. Si Emmanuel Macron ne souhaitait pas en revenir à un Premier ministre cantonné au rôle de « collaborateur » comme l’imposait le management Sarkozy, il fallait bien chasser l’ombre grandissante que faisait planer le maire du Havre sur le palais de l’Élysée. La preuve de cette stratégie politique est devant les yeux des Français assistant, un jour de juillet, à l’intronisation d’un illustre inconnu, Jean Castex, à la tête du gouvernement.

Malgré le jeu de chaises musicales de juillet 2020 – qui a vu, il faut le souligner, la consécration d’un autre prétendant au trône en la personne du nouveau ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin – le désormais ex-Premier ministre a pris goût au feu des projecteurs et à l’attention médiatique. Pour ce faire, quoi de mieux que de suivre les pas du patriarche, en créant son propre parti ? Et voilà que, le 19 octobre, Horizons – qui, lui, ne reprend pas les initiales de son fondateur – est créé comme aile droite de la majorité présidentielle. Un an plus tard, le parti est devenu, avec 30 députés, une force d’appoint indispensable pour faire passer des textes à l’Assemblée. A telle enseigne que le parti d’Edouard Philippe se fait désirer, comme en témoignent les plusieurs piqûres de rappel sous forme de votes d’amendements de l’opposition, qui ont mis en échec le groupe Renaissance en ce début de XVIe législature.

Malgré son pouvoir et son aura dans la majorité, Edouard Philippe a peu de chances de succéder à celui qui l’a fait passer de l’ombre à la lumière en le nommant à Matignon. Le 7 septembre dernier, Libération titrait « Macron en veut beaucoup à son ancien pote de droite Édouard Philippe », trop tourné selon le Président vers l’échéance de 2027 au point de mettre en péril sa fragile majorité. Une chose est sûre : Emmanuel Macron ne cache plus sa rancœur et sa défiance face à celui qui était pourtant le mieux placé pour l’emporter après lui. Le prix de l’autorité présidentielle, et, sûrement, celui de l’égo.

Transfuges

Le nom de l’ancien Premier ministre n’en est qu’un parmi d’autres dans la déjà longue liste de prétendants potentiels au palais du 55, rue du faubourg Saint-Honoré. Un point commun les unit : toutes ces éminentes figures de la majorité ont fait leurs armes dans l’un des deux partis d’alternance que le Président a relégué aux oubliettes. Ainsi en est-il des deux candidats sérieux que sont le titulaire de Bercy, Bruno Le Maire, et celui de la place Beauvau, Gérald Darmanin. Tous deux ministres sous Sarkozy, ils ont chacun occupé des postes de choix dans les batailles de 2012 et de 2017, avant de se ranger derrière l’ex-ministre socialiste de l’Économie à la chute de François Fillon. 

Il en va de même, à gauche, pour des figures qui se sont imposées surtout au début de la XVe législature, à savoir les ex-barons du PS Gérard Collomb, Richard Ferrand et Christophe Castaner. Cependant, entre la crise des gilets jaunes et la débâcle des législatives, il ne reste plus qu’Olivier Véran et l’encore trop jeune Gabriel Attal pour assurer l’héritage d’un socialisme modéré auprès du bloc majoritaire.

L’histoire confirme donc les constatations du premier épisode : par-delà les promesses retentissantes, aucun élu venu de la « société civile » n’a pu acquérir la carrure politique suffisante pour être jugé « présidentiable » pour 2027. Et, plus intéressant pour notre propos, les figures qui se sont affirmées au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron l’ont fait d’elles-mêmes, à marche forcée, sans aide de celui qui tenait à capter à lui toute la lumière. Bruno Le Maire se fait remarquer par sa constance et le périmètre de plus en plus étendu de son portefeuille ministériel, Gérald Darmanin par de multiples appels du pied à l’extrême droite, dans un ton très régalien ; Olivier Véran, quant à lui, ne peut pas se tapir dans l’ombre au moment où, à la tête du ministère de la Santé, il occupe le rôle de chef de file dans la lutte contre la pandémie. Bref, les candidats crédibles à la succession d’Emmanuel Macron sont déjà tous de vieux briscards de la politique, rompus à l’œuvre ministérielle et placés, ici et là, aux postes clés de la République.

Il faudrait cependant être naïf pour penser que ces figures ont échappé à leur créateur et ont été placées là sans raison par  l’Élysée. Il est évidemment opportun et nécessaire de faire émerger des figures populaires et charismatiques. Mais, en les gardant près de lui dans l’intimité des conseils des ministres, le Président s’assure de leur loyauté et veille à ce qu’aucun d’eux ne lui fasse de l’ombre. Et ce, jusqu’à les recadrer publiquement s’ils venaient à se mettre  trop en avant. On retombe sur la situation exposée en introduction, scène un brin humiliante pour les intéressés où leur mentor proclame haut et fort qu’il n’a pas encore dénoué son tablier. Faire parler de soi, donc, mais sans trop, pour concentrer l’attention sur le Créateur, qui par essence ne connaît pas la mort. 

Kamikaze

Mais après tout ça, où va-t-on ? La majorité tout juste relative obtenue à l’Assemblée nationale stoppe toute rumeur, y compris dans les sphères les plus défiantes du pays, contre une éventuelle course du Président à sa succession en 2027. Il n’a aucun moyen de le faire, donc il ne le fera pas. Il s’agit alors de préparer l’après, ce qu’Emmanuel Macron, dans un déni au moins apparent, se refuse pour l’instant de faire. 

Si stratégie il y a, elle paraît pour l’instant bien légère, voire suicidaire. Alors que, dès à présent, les nouveaux venus dans les partis d’opposition radicaux – La France insoumise et le Rassemblement national – se font connaître et montrent leurs canines, comment espérer imposer sa marque, pour celui ou celle qui sera désigné.e pour porter les couleurs de Renaissance en 2027 ? L’équation semble insoluble pour l’heure, et le pays, qui connaît  déjà la plus grave crise démocratique de son histoire, semble de plus en plus enclin à porter un prétendant d’extrême droite au sommet de l’État.

Il est vrai qu’à côté d’une majorité qui pâlit et peine à faire passer ne serait-ce que le projet de loi de finance sans recours à l’article 49-3, le Rassemblement national a bonne mine. Fort du second groupe parlementaire à l’Assemblée en nombre d’élus, le parti d’extrême-droite adopte une stratégie particulièrement habile : loin de l’opposition systématique qui tourne en ridicule l’ubuesque coalition des gauches, le RN se montre discipliné et prêt au consensus. Une figure de plus en plus présidentielle s’affirme en la personne de celle qui a brigué déjà trois fois sans succès l’élection éponyme, et aucune figure à la stature comparable ne semble pouvoir arrêter son irrésistible ascension. 

Crépusculaire, le salut de notre vie démocratique dépend encore une fois du bon vouloir du Président Macron, et de sa capacité à mettre sur pied une proposition forte et crédible pour prendre sa place en 2027. Certes, la majorité ne porte pas à elle seule, loin de là, la responsabilité de cet effrayant constat. Certes, la NUPES, par l’ascendant de la France insoumise et l’amateurisme certain d’un certain nombre de ses députés, a relégué aux oubliettes toute perspective d’un retour de la gauche au pouvoir dans un futur proche. Mais évidemment, seuls les pontes de la majorité, au premier rang desquels celui qui demeure leur chef, ont le pouvoir et le devoir d’inverser cette tendance déjà bien enclenchée. Schisme interne ou union autour d’une figure centrale : telles sont aujourd’hui les dernières options pour sauver notre démocratie. 

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.