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Illustration de Kim Provent.

PC : larmes à gauche

Un vent de Sibérie souffle sur le XIXème en ce début de mois d’avril glacial et les récentes prises de position de Fabien Roussel (PCF) ne risquent pas de réchauffer le climat de guerre froide qui règne entre sa formation et celle de Jean-Luc Mélenchon (LFI). Le secrétaire général d’un parti communiste français de plus en plus affaibli a été officiellement investi comme candidat à l’élection présidentielle ce 11 avril, mettant fin au retrait de principe opéré en 2012 et en 2017 en faveur du candidat insoumis. Ce grand bond en avant doit encore être approuvé par les militants, au cours d’une lutte finale dont le résultat paraît incertain tant la base populaire communiste semble attachée à l’idée d’une union des gauches radicales. En témoignent les déclarations récentes en ce sens de Marie-George Buffet[1] difficiles à digérer pour celui qui rêve de voir son nom inscrit sur les bulletins. Des prises de position qui peuvent paraître justifiées au regard des piètres performances électorales du parti à la faucille et au marteau mais qui en disent long sur la confiance qui règne au sein d’une formation historiquement réticente à tout compromis politique de grande ampleur.

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La fin de l’homme rouge

Les gesticulations du parti de Roussel ont tout d’un chant du cygne impuissant à enrayer un déclin inéluctable depuis le début des années 1970.

En 1976, les partis de gauche étaient en position rêvée pour faire plier une droite en difficulté aux élections législatives de 1978. Le flou opportun qui régnait sur un programme commun remontant déjà à 1972 permettait à chacun de croire que sa ligne propre était défendue par les autres formations, sans se douter que les positions divergeaient au fil des mois. La volonté de le renégocier n’a fait que donner voix au chapitre à des querelles de chapelle que couvraient depuis des années les chants et les slogans d’unité. Mitterrand accepte de défendre les mesures communistes mais refuse d’en adopter l’étiquette : “oui au programme commun, non au programme communiste”, n’acceptant pas de rendre au parti sans César ni Dieu ce qui lui revenait. Le divorce est consommé au grand bonheur du président Giscard dont le discours de Verdun-sur-le-Doubs salue le retour du soleil pour la droite et laisse la gauche française évaluer ses pertes. Au PCF, elles sont massives, la défaite électorale se double d’un discrédit jeté sur le parti désormais accusé d’avoir été la cheville ouvrière de la dislocation de l’accord.

C’est le parti socialiste qui se remettra le plus vite de la rupture. Le millésime électoral du 10 mai 1981 sera rosé et non rouge. La France socialiste des années 1980 se veut résolument réformiste et moderne alors que le PCF, traqué, se réfugie de nouveau dans la ligne du grand frère soviétique dont on ne soupçonne pas encore la disparition. A l’image de la bureaucratie de Moscou, l’inertie et l’obstination des communistes français les empêchent de prendre le tournant d’une société où ouvriers et paysans ne forment déjà plus le grand parti des travailleurs. A gauche, on rejoint Rocard et on brocarde Lajoinie, auteur du plus mauvais score obtenu jusqu’alors par le parti aux élections présidentielles en 1988. Pour les compagnons de Marchais, la route s’arrêtera aux pieds des ruines du mur. Il ne reste alors aux communistes que des chœurs de larmes rouges et quelques maigres pourcentages, témoins cruels d’une formation jadis numériquement incontournable.

Sauver le printemps des peuples

Mais au regard de la division du paysage électoral français, où toutes les voix sont bonnes à prendre, même les plus radicales, le parti communiste s’apprête à jouer un rôle précieux dans la perspective d’une union des gauches pour les présidentielles de 2022. Mélenchon, qui reconnaît être attaché à l’héritage de l’Internationale socialiste, semble toutefois beaucoup plus dubitatif à l’idée de défendre sa déclinaison nationale. Celui qui dénonce un Macron « à contresens » sait pourtant que l’autoroute de l’Elysée nécessite de se faire une place de choix dans une voie de gauche bien encombrée. Pour l’ancien patron du Front de gauche, la perspective de temps meilleurs ne se fera pourtant pas sans le concours de forces vives venues de partis amis. Il a parfaitement conscience que pour préserver ses chances, il lui faudra sans doute miser sur les pourcentages minoritaires mais stables du PCF ou sur le vivier électoral des écologistes, plus fourni, mais également plus ardu à convaincre. Dépendance au passé ou préférence pour le futur, une équation temporelle qui s’avère délicate à résoudre, même pour un économiste planificateur.

La gauche radicale française est fracturée pour des motifs qui peuvent paraître parfois dérisoires. Parmi les nombreuses pommes de discorde, l’usage du vocable « communiste » divise Lutte ouvrière et un NPA où Philippe Poutou a choisi d’embrasser une posture anticapitaliste moderne et purifiée de tout relent soviétique. Jean-Luc Mélenchon a bien compris lui aussi que l’époque ne permet plus de capitaliser sur le communisme. Pour beaucoup, le PCF est devenu une curiosité appartenant aux livres d’histoire de collège et dont les reliquats témoignent d’un folklore politique à la française auquel tout le monde finit par s’attacher. A droite et au centre, on craint désormais bien plus de voir défiler sur les Champs les vélos électriques d’Hidalgo que les chars de Staline.

De là, le choix pour LFI d’abandonner méthodiquement le vocabulaire associé à cette période et d’adopter un ancrage national dans les valeurs de 1789, une révolution dite bourgeoise dénoncée pendant des décennies… par le parti communiste. Une gauche radicale dans un seul pays pour des Insoumis qui ont bien conscience de flatter par là les penchants souverainistes d’une partie des travailleurs. Le choix de communication de Mélenchon s’appuie sur le constat qu’aujourd’hui, un néo-trentenaire est né dans une Europe réunifiée. « Exploitation des masses » et « abolition du patronat » sont sans doute peu tiktokables et aurait pour l’image d’une France insoumise rajeunie et qui maîtrise déjà l’hologramme, le même effet que le vieil oncle qui tente d’adopter un « parler jeune » pour prouver qu’il l’est encore.

La perspective d’un accord dans les Hauts-de-France pour les élections régionales entre LFI, le PS et le PCF semblait pourtant inaugurer la fin de l’isolement des communistes et le retour d’une union des gauches traditionnelles où le PCF aurait pu retrouver une place de choix. Mais le glacis n’a pas tardé à se reformer après la rupture de l’accord par La France Insoumise qui a préféré se tourner vers une alliance plus prometteuse avec les écologistes. Un camouflet, une trahison et une humiliation de plus pour le parti communiste qui ne peut que constater son impuissance sur la scène politique française et le recul concédé depuis la fin des années 1960 dans le paysage électoral. Depuis, les deux formations ne cessent de se tirer dessus à boulets rouges dans des joutes verbeuses et des luttes souvent sans classe.

« Le groupons-nous dès demain » résonne finalement bien creux dans le concert des forces de gauche. Une promesse de lendemains qui chantent où chacun joue sa propre partition et qui s’achève dans une cacophonie peu harmonieuse qui ne manque pas de donner envie à certains électeurs de céder à d’autres sirènes.

Eloi Flamant

Eloi Flamant

Élève fonctionnaire à l'ENS Ulm (B/L 2018) et à HEC (promotion 2022). Membre de KIP et contributeur régulier.

French student at ENS Ulm (B/L 2018) and in Master in Management at HEC Paris (Class of 2022). Member of KIP and regular contributor.