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Illustration d'Albane Toussaint pour KIP.

De l’or blanc à l’or sale

L’hiver approche et les skis démangent. Vous l’avez bien compris, la saison de sports d’hiver est bientôt lancée. Toutes les stations, grandes ou petites, se préparent à accueillir les millions de touristes, français ou étrangers, répondant à l’appel de la poudreuse. De la « poudreuse » – la ‘peuf’ pour les intimes – vraiment ? Pour combien de temps encore ? Le dérèglement climatique n’est plus un secret pour personne ; on ignorera ici les quelques réfractaires climatosceptiques et pseudoscientifiques qui s’acharnent à fermer les yeux quitte à trébucher sur leurs propres inepties. Fonte des neiges en basse et moyenne altitude, disparition des glaciers jusque dans les plus hautes cimes : c’est tout un écosystème environnemental, économique voire humain qui est menacé.

Un rapport de la Cour des Comptes Française de 2018[1] dresse un état des lieux de la situation des stations de ski sur le territoire national en se concentrant sur les modes de gouvernance susceptibles de fonctionner au mieux. La logique d’exploitation de ces complexes touristiques est très spécifique : elle s’articule autour d’une cogestion public / privé entre collectivités et opérateurs. À Val Thorens par exemple, plus haute station de ski d’Europe, la gestion du domaine est confiée à la SETAM en partenariat avec la municipalité de la Vallée des Belleville, son premier actionnaire. Il ne faut pas se formaliser : c’est avant tout une société privée qui tient les rênes de cette gestion « coopérative », et plus encore, ce sont les enjeux économiques et financiers qui motivent la plupart des décisions. Les collectivités ayant besoin de fonds pour garder les reins solides, elles se conforment le plus souvent au modèle proposé, voire imposé, par le partenaire. Résultat : près de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires pour la compagnie bellevilloise en 2018 et des investissements ambitieux mais énergivores profitant non seulement aux touristes (renouvellement du parc de remontées mécaniques, hébergement, etc), mais aussi aux populations locales (en termes d’énergie notamment). Ceux-ci sont font très souvent l’objet de deals officieux avec les mouvements écologistes de la région au terme d’âpres négociations au cours desquelles la balance penche généralement davantage du côté financier et économique qu’écologique.

Mais arrêtons-nous un instant. La tentation est bien trop grande de diaboliser ce système qui porte ses fruits sur de nombreux aspects. Sommes-nous réellement blancs comme neige à nous scandaliser sur ces pratiques, à lire – ou écrire – ces quelques lignes et feindre de nous convaincre que nous n’y sommes pour rien ? Serions-nous prêts à sacrifier la douce sensation tant recherchée à chaque saison et qui hante les rêves de certains toutes les nuits en attendant le grand lancement ?

La réponse, si elle existe, devrait être (encore une formule magique pour se donner bonne conscience) : « je le suis ». Je suis prêt à limiter mes déplacements et mes 10 heures de voiture (sans compter les traditionnels embouteillages extrêmement polluants lors du pic de départs) nécessaires pour traverser la France jusqu’au Paradis Blanc. Je suis prêt à ne pas contribuer à l’amoncellement de petites « fourmis » sur les cimes et sur des télésièges qui ont probablement coûté la vie à un ours polaire de l’autre côté de la terre – ou à une marmotte pour faire plus local. Je suis prêt à ne pas faire partie de ces hordes de « kiffeurs-skieurs » qui laissent généreusement leur empreinte de boîtes en plastique et bouteilles dans la nature. 

Enfin, je suis prêt à faire tous ces sacrifices temporaires afin de préserver un plaisir durable, pour moi et pour les générations suivantes. Aujourd’hui, ici et maintenant, nous n’avons pas le monopole de la glisse. Nous marchons dangereusement à l’équilibre sur une crête glacée ; pour combien de temps le restera-t-elle d’ailleurs ?

Si nous sommes prêts, répétons ces mots chaque soir avant de nous endormir. Avec le temps, peut-être finiront-ils par nous convaincre vraiment ?

Charlotte Joyeux

Charlotte Joyeux

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Membre de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Member of KIP and regular contributor.