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Nucléaire : Pyongyang ne répond plus

Depuis plusieurs mois, le monde s’interroge sur l’issue des assauts verbaux entre Pyongyang et Washington, et plus particulièrement entre Kim Jong-un et Donald Trump, leurs leaders respectifs. Personne ne sait réellement de quoi ces deux hommes sont capables, l’imprévisibilité étant l’une de leurs caractéristiques principales. En effet, depuis fin août, nous avons assisté au déploiement d’une large gamme de représailles américaines, de l’envoi d’un sous-marin nucléaire en Corée du Sud, aux menaces de Trump le 19 septembre devant l’Assemblée générale de l’ONU de détruire totalement le pays. Ces différentes réactions sont la conséquence de l’envoi de fusées nord-coréennes avec un plan de vol au-dessus d’une zone considérée comme la chasse gardée des États-Unis, à savoir entre l’Est du Japon et le Nord des Philippines, deux alliés majeurs des États Unis en Asie de l’Est. Cependant, la véritable question est de savoir quelle réaction adopter face à un État au dirigeant instable désormais doté de l’arme atomique et potentiellement des moyens balistiques d’en expédier sur des longues distances. Répondre à cette question n’est possible qu’en éclaircissant les raisons qui poussent la Corée du Nord à vouloir maîtriser cette technologie, tout en rappelant les antécédents que la communauté internationale a déjà pu rencontrer par le passé.

Le sentiment d’insécurité de la Corée du Nord, un élément déclencheur

La Corée du Nord est caractérisée par son complexe obsidional, à savoir le fait qu’elle se sent constamment attaquée ou assiégée par des forces ennemies. Cette menace a d’ailleurs pour le pays une incarnation concrète en la présence tout proche des États-Unis : son voisin la Corée du Sud est le siège d’une base militaire américaine. De son point de vue, la Corée du Nord a donc les Etats-Unis à sa frontière. Elle a également à sa porte le Japon, qui a eu un rôle essentiel dans les interventions américaines au cours de la Guerre froide, en Corée puis au Vietnam, et qui demeure encore aujourd’hui un allié prépondérant des États-Unis. Aussi la Corée du Nord se sent-elle continuellement menacée par la présence américaine, et ce depuis la Guerre de Corée qui a vu près de 3 millions de personnes mourir dans les combats. L’obtention de la technologie nucléaire est pour le pays un moyen d’assurer sa sécurité, qu’elle estime continuellement compromise par la volonté américaine de renverser le régime.

Cependant, se doter de cette technologie n’est pas cher à Kim Jong-un uniquement pour le sentiment de sécurité qu’elle procure. Il en a également fait son cheval de bataille car elle lui confère une légitimité sur la scène internationale, et de facto dans son pays. Les armes de destruction massive couplées aux menaces de son emploi font de la Corée du Nord un enjeu et un acteur majeurs sur la scène géopolitique asiatique, et même mondiale. Le monde entier est obligé de lui prêter une oreille attentive, ou dans tous les cas plus attentive qu’auparavant. En Corée du Nord même, cette avancée technologique restaure une forme de fierté nationale. L’idée qu’un État avec des ressources limitées et soumis à des sanctions ennemies arrive à se doter d’armes au potentiel de destruction démesuré est une source de cohésion nationale. Cette course technologique a justifié toutes les privations dans le pays et a été mise en scène jusqu’à l’outrance par la propagande du Parti. On y voit Kim Jong-un entouré de scientifiques exaltés assister aux essais ou ordonner des tirs. La question de l’arme nucléaire est devenue si centrale pour l’État au cours des dernières années qu’elle figure même dans la nouvelle constitution du pays : « Le président de la Commission de la défense nationale, Kim Jong-il [1], a fait de notre pays un État invincible en termes d’idéologie politique, un État doté de l’arme nucléaire et une puissance militaire indomptable, ouvrant ainsi la voie à la construction d’une nation forte et prospère ». L’obtention de l’arme nucléaire n’est donc pas le dernier caprice d’un dictateur fou mais un élément stratégique et politique majeur pour le régime en place, qui n’a donc pas de raison de vouloir s’en débarrasser.

Une communauté internationale qui semble impuissante, et une Chine qui ne peut pas tout résoudre

Ce programme nucléaire est embarrassant à plusieurs égards pour la communauté internationale. D’une part, la Corée du Nord est un État fermé aux ressources extrêmement restreintes, mais qui a malgré tout réussi à se doter de la technologie nucléaire et des moyens balistiques nécessaires au lancement de missiles. D’autre part, les sanctions répétées de la part de l’ONU n’ont à aucun moment semblé stopper ou ralentir le projet nucléaire du pays. Face à l’échec apparent des différentes politiques menées pour contrecarrer les plans de Pyongyang, les différentes grandes puissances occidentales alternent entre des envies de châtier le pays ou de mener une approche plus raisonnée en réintégrant la Corée du Nord à la table des négociations. La Russie de Poutine est quant à elle ouvertement en faveur des négociations. Se pose alors la question de la position chinoise. Il existe un sempiternel refrain, selon lequel la Chine pourrait – si elle le voulait vraiment – régler le problème nord-coréen en exerçant de fortes pressions. Cependant, cela n’est tout à fait correct. Il est vrai que l’économie nord-coréenne dépend énormément de ses échanges avec la Chine. Cependant, si le régime nord-coréen voit le grand frère chinois passer du côté de ses ennemis, la dernière décision qu’il fera sera d’arrêter un programme nucléaire qu’il juge essentiel à sa survie. Tout comme les États-Unis, qui pourraient raser l’État en une nuit mais risqueraient de causer un conflit emportant d’innombrables vies, la Chine n’a ni envie ni intérêt à ce que des tensions aboutissent à un conflit à sa frontière. Aussi, bien qu’elle soit passablement énervée par les provocations successives de Kim Jong-un, la Chine garde toujours une marge de manœuvre limitée. En effet, même si la puissance de l’Empire du milieu est incommensurable par rapport à celle de l’État nord-coréen, ce dernier conserve un avantage : le fait qu’il n’ait rien à perdre et qu’il soit donc prêt à prendre plus de risques.

Une menace que la communauté internationale a déjà affrontée, avec des réponses peu efficaces dont on peut tirer des leçons

À ce stade, les cas comparables rencontrés par la communauté internationale peuvent éclairer notre propos. Le programme nucléaire iranien présente des similitudes intéressantes. Comme celui de la Corée du Nord, il est avant tout né d’un désir de sécurité. De 1980 à 1988, l’Iran est en guerre contre l’Irak de Saddam Hussein et perd des centaines de milliers d’habitants dans le conflit, ce qui renforce son complexe obsidional. La décision américaine de placer le pays sur l’ « Axe du mal » le pousse à relancer leur programme nucléaire, qui est d’autant plus crédible qu’il possède déjà une base industrielle ainsi que du personnel qualifié. De plus, les enjeux sont eux aussi importants, car il en va aussi bien de la sécurité d’Israël [2] que de celle du Moyen-Orient. En effet, dans le cas où l’Iran obtient l’arme atomique, l’Arabie Saoudite voudra également s’en doter [3]. Ce risque de course à l’armement menace également l’Asie de l’Est dans le cas de la Corée du Nord, avec un Japon qui envisage fortement de réviser sa constitution pacifique, et un risque que d’autres pays asiatiques se sentant également menacés tentent d’obtenir des armes de destruction massive. S’engage alors en Iran un premier cycle de négociations qui sera stoppé net par l’élection d’Ahmadinejad, qui à la suite de cet arrêt relance le programme nucléaire. De nombreuses sanctions furent alors mises en place puis alourdies en 2010. En 2013, l’échec de ces dernières est flagrant. En 2003 l’Iran possédait 163 centrifugeuses, en 2012 il en avait 20 000. Devant cet échec manifeste, les négociations reprennent à partir de 2013, facilitées par l’arrivée de Rohani au pouvoir. Celles-ci aboutissent à la reconnaissance du programme nucléaire civil iranien et de sa capacité à fabriquer une arme atomique. L’Iran réintègre ainsi la communauté internationale et consent à des inspections régulières de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur son territoire. Comme dans le cas de l’Iran, il semble que les sanctions à l’encontre de Pyongyang aient révélé leur inefficacité. À cet égard, réintégrer la Corée du Nord à la communauté internationale et reconnaître sa puissance nucléaire semblent être deux étapes raisonnables dans la gestion de ces tensions, au lieu de s’enfermer dans un cycle de sanctions qui risque de faire empirer la situation. Ces dernières n’ont eu que des effets limités lorsqu’elles ont été appliquées à des dictatures – en témoigne le règne de Fidel Castro à Cuba -, et il n’y a aucune raison pour laquelle il en serait autrement pour la Corée du Nord.

Illustration : Montage de Hugo Sallé pour KIP

Source et renvois
[1] Il s’agit du défunt père de Kim Jong-un. Sous son règne, le pays est sorti du Traité sur la Non-Prolifération des Armes Nucléaires en 1993 et a procédé à des essais nucléaires en 2006 et 2009.
[2] Ahmadinejad, avait déjà traité Israël de « tumeur cancéreuse » et n’a jamais masqué son animosité à son égard.
[3] L’Iran fait figure d’ennemi juré de l’Arabie Saoudite. Celle-ci voit la république islamique chiite comme un facteur de déstabilisation de sa zone d’influence sunnite au Moyen Orient. Le thème de « l’arc chiite » est bien présent dans la rhétorique saoudienne. L’Arabie Saoudite est par ailleurs le grand perdant régional de la levée partielle des sanctions à l’encontre de l’Iran. À la suite de cette décision, elle a durci sa politique en attaquant le Yémen, siège d’une insurrection chiite.
Lukas Huberty

Lukas Huberty

Étudiant français en Master in Management (H2021) à HEC Paris.
Contributeur régulier.

French student in Master in Management (H2021) at HEC Paris.
Regular contributor.