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Nathanael Noiraud
Nathanael Noiraud, Montage de Hugo Sallé pour KIP

Nathanaël Noiraud (NSCS) : l’Art de la stratégie en Asie

Établi en Malaisie depuis 2016, N-Strategy Consulting Services (NSCS) est un cabinet de conseil dont le but est de permettre l’implantation de clients (start-ups et PME) dans le secteur des nouvelles technologies en Asie.

Nathanaël Noiraud, fondateur et PDG de NSCS, alumnus de la Toulouse Business School et de l’Université de Dayton, anciennement chez Gameloft et Seek, est un spécialiste de l’insertion économique en Asie-Pacifique. Il nous partage ici son expérience.

Charles : Comment vous est venue l’idée de NSCS, cette entreprise « pont » ?

Nathanaël Noiraud : Cela m’est venu naturellement de par mes expériences précédentes en Europe et surtout en Asie-Pacifique. J’ai eu l’opportunité de fonder et piloter des filiales, bureaux régionaux et nouveaux businesses au sein de leaders mondiaux de la Tech (Gameloft, Seel) dans la région entre 2011 et 2016 avec des réussites notables et des croissances très fortes. J’ai donc pu connaître à la fois les difficultés et les ajustements que cela implique mais également le potentiel incroyable et le dynamisme de cette région qui est souvent trop ignoré en Europe.

En dressant le constat que l’Europe et notamment la France est à l’origine d’un ensemble riche d’innovations passionnantes et que le contexte régional APAC [ndlr. Asia-Pacific] est très favorable aux nouvelles technologies, il ne restait plus qu’à se lancer.

Quels obstacles avez-vous rencontré lors de la création de votre entreprise ?

J’étais déjà bien établi en Malaisie et dans la région, donc pas d’obstacles majeurs administratifs ou culturels. Il faut évidemment faire ses preuves en tant que nouvelle société mais notre force réside avant tout dans notre expertise de la Tech en APAC, la séniorité de notre équipe dirigeante, nos réseaux de décideurs (publics, privés) et notre capacité à faire croître des business Tech dans la zone « from scratch ».

La difficulté réside plutôt dans le besoin quasi pédagogique de faire comprendre aux chefs d’entreprises européens avec des solutions pertinentes que l’Asie-Pacifique est une opportunité en or pour eux.

Le « rêve américain » prévaut toujours, même si notre travail et celui de beaucoup d’experts contribuent à faire évoluer les mentalités au sujet de l’Asie et les priorités.

Jusqu’où opérez-vous ?

D’un point de vue géographique, nous accompagnons les entreprises Tech dans leur expansion en Asie-Pacifique, cela couvre donc l’Asie et l’Océanie. Jusque-là, notre zone de prédilection est l’Asie du Sud-Est ainsi que l’Océanie mais nous avons également des missions en cours dans d’autres zones de l’APAC.

En termes de services et d’industrie, nous sommes spécialisés dans les secteurs de la Tech et du Digital. Nous proposons différents services : étude de marché « terrain », exploration commerciale, business development, création d’une entité régionale lorsque le volume d’affaires le permet/justifie… Nous avons aussi développé une branche investissement : soit avec des investissements directs, à travers la création d’une joint-venture, ou bien en faisant appel à notre réseau de venture capitalists et de family offices.

Actuellement, en un peu plus de 18 mois d’existence, nous avons déjà eu 30 clients, et réalisé une joint-venture avec notre partenaire Suisse – BrainCore – sous l’entité locale Brainsoft, spécialisée dans le data mining et les réseaux de neurones qui mènent à nos solutions en Intelligence Artificielle.

Quels sont les principaux problèmes que votre entreprise doit résoudre lors de l’établissement d’une stratégie d’implantation en Asie ?

Au lieu de « problèmes », je dirais plutôt difficultés ou challenges possibles que nous surmontons grâce à notre expérience et notre travail de terrain.

Je n’aurai pas le loisir de tous les citer ici mais parmi les challenges principaux, il y a l’opportunité de marché à évaluer pays par pays, le « fit » culturel entre la solution et les populations des pays en question, le besoin parfois de localisation, etc.

Nous permettons également à nos clients et partenaires d’obtenir le soutien des autorités locales, ce qui se matérialise via des avantages fiscaux d’implantation, d’immigration… il s’agit parfois de processus complexes mais nous parvenons toujours à atteindre nos objectifs sur ces missions grâce à notre réseau et notre persévérance.

Pouvez-vous décrire une journée type en tant que PDG ?

Il est difficile de vous donner une « journée type » car chaque journée est différente et nous permet de traiter des problématiques riches et diverses dans différents domaines et différents pays.

Typiquement, la journée commence assez tôt (6-7h) avec un suivi de l’actualité européenne de la nuit et s’enchaîne rapidement avec des appels avec l’Australie et/ou les États-Unis (si je n’y suis pas). La matinée se poursuit avec de nombreux rendez-vous (internes/externes), notamment pour faire progresser nos différents mandats et nos différentes missions en cours.

Si j’ai le temps, séance de natation avant l’heure du déjeuner. Sinon, cela sera reporté au soir ou remplacé par un squash.

Le déjeuner est presque tous les jours l’occasion d’une rencontre avec un client ou partenaire potentiel ou bien un moment passé en équipe à échanger.

L’après-midi suit le même rythme, entre rendez-vous et appels internes et externes (clients, partenaires, candidats…) avec des créneaux alloués aux échanges avec l’Europe. Si je suis en déplacement (25 à 50 % de mon temps selon les mois), les journées se déroulent principalement sur le terrain avec 5 à 10 rendez-vous par jour. Je profite souvent de ces déplacements pour donner des conférences le soir auprès de chefs d’entreprises intéressés par le sujet de la Tech en Asie-Pacifique à l’invitation de Bpifrance (Paris), FrenchFounders (Paris, Bruxelles, Genève), nos partenaires (Rome, Lyon…) ou bien auprès d’étudiants à l’invitation de grandes écoles et universités (ESSEC, TBS…).

Si je suis en Malaisie, je garde systématiquement un créneau pour le sport le soir (si je n’ai pas eu le temps avant le déjeuner) et je consacre du temps à ma famille avant de répondre aux derniers emails de la journée qui continuent à affluer d’Europe. Ma « journée » se termine donc rarement avant minuit.

Y a-t-il de forte différences culturelles entre l’Orient et l’Occident qui entrave les affaires ?

Encore une fois, vaste question… Il y a évidemment de fortes composantes culturelles à prendre en compte. De la même manière que « l’Occident » (si on peut ainsi décrire clairement une zone qui se compose d’une multitude de culture et d’identités), « l’Orient » est riche de diversité. Nous adaptons chaque négociation et chaque approche à la nature et au profil des parties-prenantes, assurant ainsi une bonne compréhension aux différentes acteurs clés pour assurer le succès de nos missions.

Y a-t-il des cultures d’entreprises différentes entre l’Europe et les pays asiatiques ? Entre les pays asiatiques ?

Réduire l’Asie à une seule culture (d’entreprise) serait naturellement une simplification grossière. Il y a naturellement des proximités ou ressemblances entre certains pays dans certains domaines mais la réalité est bien plus complexe et fine.

Comme en Europe, nous pouvons avoir le cas entre les Allemands et les Espagnols, les pays d’Asie sont très différents culturellement parlant. La manière de faire des affaires à Singapour sera bien différente de la manière de faire des affaires au Vietnam par exemple.

Quels sont les secteurs économiques qui sont dignes d’attention aujourd’hui en Asie ?

Tous sans exception si on veut comprendre globalement ce qu’il s’y passe. L’importance et le rôle des acteurs asiatiques concernant aussi bien les matières premières que les nouvelles technologies (pour prendre deux « extrêmes ») sont des éléments qui donnent les tendances globales.

Ces dernières années, la Chine accuse un léger ralentissement de sa croissance économique. Cela doit-il être une source d’inquiétude pour vos entreprises clientes ? Comment les firmes asiatiques y font-elles face ?

La Chine est rarement la priorité de nos clients, tout du moins pas le premier pays vers lesquelles nos clients se dirigent. Qui plus est, la difficulté de la pénétration du marché chinois ne réside pas dans ses chiffres de croissance annoncés (faut-il le rappeler, à prendre avec précaution) puisque la croissance est de toute façon forte mais plutôt dans les barrières à l’entrée et les risques – notamment en termes de propriété intellectuelle dans nos domaines de pointe.

Quelles sont les niches, ou quels sont les domaines où il serait aujourd’hui très profitable de développer des affaires pour des entrepreneurs français ou occidentaux ?

Les nouvelles technologies constituent naturellement un secteur incroyablement porteur. De manière plus précise, le secteur mobile ou encore l’intelligence artificielle sont deux secteurs avec des courbes de croissance et des opportunités remarquables.

Avez-vous peur d’une bulle asiatique ?

Encore une fois, délicat de répondre à une question si vaste. Globalement non, car les fondamentaux sont solides. Chaque pays est à prendre naturellement au cas par cas, l’immobilier en particulier donne lieu comme toujours à de la spéculation dans certains pays mais cela ne devrait pas être de nature à faire vaciller les économies de la région.

Les entreprises occidentales qui souhaitent se développer en Asie doivent-elles faire face au dumping, aussi bien économique, social que politique ?

Notre approche est de travailler exclusivement sur des solutions ayant trait aux nouvelles technologies avec de hautes valeurs ajoutées. Nous ne sommes donc pas sujet à ce genre de pressions/menaces puisque nous amenons des solutions nouvelles et pertinentes pour les marchés en question. Cela nous permet d’avoir la bienveillance et le soutien des agences pour l’innovation et des gouvernements de différents pays qui sont favorables à l’apport de nouvelles technologies et solutions, ainsi qu’à la formation de personnels qualifiés localement.

Le marché asiatique est-il aujourd’hui plus prometteur que le marché africain ?

L’Afrique comporte également de nombreuses opportunités mais on ne peut pas comparer la pertinence de ces continents aujourd’hui dans notre secteur d’activité, tant pour des raisons démographiques que d’infrastructures.

Les entreprises européennes qui souhaitent faire une première phase de business à l’international, se tourneront beaucoup plus facilement vers l’Asie que vers l’Afrique, et cela joue en faveur du marché asiatique.

Pensez-vous que le nouvel El Dorado de l’Asie n’est plus la Chine mais plutôt des pays de l’Asie du Sud-Est ?

La Chine est très difficile à pénétrer, il faut faire des joint-ventures avec des entreprises locales avec les risques que cela comporte. C’est pour cela que de nombreuses entreprises préfèrent d’abord réaliser une expansion dans un marché de la zone Asie du Sud-Est (Malaisie, Vietnam, Philippines…), afin de valider leur potentiel sur le continent avant un éventuel lancement sur le marché chinois.

Globalement, les réglementations en Asie du sud-est sont beaucoup moins complexes qu’en Chine.

Un dernier conseil pour une entreprise qui cherche à se développer en Extrême Orient ?

Pour une entreprise voulant développer son business en Asie-Pacifique, je conseille de bien connaître la zone au préalable, et de ne pas se lancer « à l’aveugle » dans ce projet. Avoir déjà des expériences en Asie aide beaucoup, pour appréhender la culture du business. De plus, je conseille d’avoir un fort réseau sur place, afin de pouvoir se positionner rapidement dans son secteur. Il est aussi important d’avoir un représentant sur place : avec le décalage horaire (au moins 6 heures), et le développement commercial qui peut prendre du temps (rencontre avec les acteurs locaux, meetings à répétition…), il est important de pouvoir assurer une présence sur place. Ce dernier point rassure souvent les partenaires asiatiques. En effet, ils savent qu’ils peuvent compter sur une présence localement.

Illustration :

Montage de Hugo Sallé pour KIP

Charles Cros

Charles Cros

Étudiant français à HEC Paris (Promotion 2021) et en double-diplôme à l'ENSAE ParisTech.
French student at HEC Paris (MiM 2021) in double-degree with ENSAE ParisTech.