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Napoléon III : injuste paria de l’Histoire de France
Illustration d'Hugo Sallé pour KIP

Napoléon III : injuste paria de l’Histoire de France

Napoléon III est traité en paria de l’Histoire de France. Une légende noire gravite autour lui. Il est l’objet d’un déferlement de haine : il est tantôt « Badinguet », tantôt « Napoléon le Petit », tantôt « une espèce d’aventurier sans scrupules et d’arriéré mental ridicule, un mélange de satrape débauché et de démagogue fumeux, bref un pantin insignifiant ». Pourtant, il n’en est rien. Peut être serait-il temps de porter un regard neuf et juste sur notre dernier monarque et de rendre ses lettres de noblesse au Second Empire.

Putschiste raté, prince-président et empereur républicain

Le jeune Charles-Louis Napoléon Bonaparte est convaincu d’une chose : un destin glorieux l’attend. Il aspire à gouverner la France. Haïssant la monarchie de Juillet, il fomente deux coups d’État qui échouent : le premier a lieu à Strasbourg en 1836, le second à Boulogne-sur-Mer en 1840. Si le gouvernement s’est employé à étouffer la première affaire, la seconde fait la une des journaux. Conséquence : un procès est tenu, et Charles-Louis écope d’une lourde peine : la réclusion criminelle à perpétuité. À la lecture du jugement, prophétique, il lance au président du tribunal : « vous savez, en France, rien n’est perpétuel ».

Charles-Louis passe ensuite six années en prison au fort de Ham. Il parvient à s’évader et gagne l’Angleterre. La monarchie de Juillet abolie et la loi d’exil [1] abrogée, il retourne en France pour briguer la magistrature suprême. Il fait campagne. Son nom, couvert de gloire, conforte sa popularité. Son programme, ambitieux et novateur, séduit aussi bien la bourgeoisie que les classes populaires. Sa stature, qui annonce un rétablissement de l’ordre en France, rassure une opinion publique exaspérée par les insurrections à répétition.

Le 11 décembre 1848, il est triomphalement élu président de la République avec près de 75 % des suffrages. Mais le prince-président déchante rapidement. Il est le prisonnier d’un « ministère de la captivité » : il ne dispose d’aucune marge de manœuvre et ne parvient pas à engager les réformes auxquelles il aspire. L’appareil d’État empêchant les changements, il décide, le 2 décembre 1851, de le renverser. Le Palais Bourbon est occupé, l’Assemblée dissoute, les leaders républicains arrêtés et le suffrage universel rétabli. Le tout sans effusion de sang. Le Coup d’État est entériné par plébiscite fin décembre 1851. Un an plus tard, après la tenue d’un nouveau vote, Louis Napoléon est couronné Empereur des Français et prend le nom de Napoléon III. Il a désormais les mains libres.

Les premières années du Second Empire sont les plus sombres. Pour imposer la conduite du changement, Napoléon III se comporte en despote. Les forces d’opposition sont réprimées, les républicains déportés en Algérie ou ailleurs, l’ordre bonapartiste imposé, et la presse muselée. C’est le temps de l’Empire autoritaire que Napoléon III légitime en arguant que la transformation de la France requière des mesures exceptionnelles. Puis, le Second Empire se libéralise : l’Empereur souhaite faire de la France une monarchie constitutionnelle à l’anglaise. Ainsi, en 1860, commence le temps de l’Empire libéral. Un droit d’adresse, progressivement remplacé par un droit d’interpellation, est adressé au corps législatif. Les débats reprennent à l’Assemblée. Le régime des avertissements pour la presse est aboli en juin 1868. Grâce aux plébiscites, l’Empereur a une relation directe avec le peuple français, qui approuve haut la main ses réformes libérales lors du plébiscite du 8 mai 1870. Le Second Empire se mue alors en démocratie héritée. La guerre franco-prussienne empêchera cependant davantage d’évolutions.

Le « grand bond en avant » du progrès français

L’empereur se veut le défenseur d’une nouvelle donne économique : avec lui, la France se convertit au capitalisme libéral. Rompant avec le protectionnisme ambiant de l’époque, il fait signer, contre vents et marées, un traité de libre échange avec le Royaume-Uni en 1860. Il élargit les marchés. Il favorise l’investissement. Il permet la naissance du crédit et des grandes banques qui financent l’économie. Petites entreprises et grands groupes connaissent succès et prospérité.

Les Français s’épanouissent et s’enrichissent. Ils deviennent des consommateurs invétérés. Ils dépensent leur argent dans de grands magasins, à l’image du Bon Marché, qui fleurissent. Ils prennent du bon temps dans les premières stations balnéaires, telles Deauville, Cabourg ou encore Biarritz que l’impératrice Eugénie chérit tant, rendues accessible grâce à l’extraordinaire maillage ferroviaire que l’on doit aux grandes compagnies de chemins de fer[2] .

Avec le progrès vient l’urbanisme. Napoléon III aspire à faire de Paris une capitale rayonnante. De vastes travaux sont ordonnés. C’est à la fois une tâche d’ordre social, de prestige et d’utilité. Une tâche d’ordre social car Paris est une ville sale, insalubre, frappée par la promiscuité, les maladies, le manque d’hygiène et les épidémies. Une tâche de prestige car l’empereur, impressionné par la modernité de Londres, veut ancrer la capitale dans un monde nouveau, celui de l’industrialisation. Une tâche d’utilité enfin, car Paris a toujours été le siège de velléités révolutionnaires que l’empereur souhaite briser. Le préfet de la Seine, Georges Eugène Haussmann, connu pour sa poigne, commence les travaux en 1853. Son slogan : « Paris embellie, Paris agrandie, Paris assainie ». Il fait construire de nouvelles percées pour mieux relier les secteurs de la capitale : un axe Nord-Sud qui transite par les boulevards de Sébastopol, de Strasbourg et de Saint-Michel ainsi qu’un axe Est-Ouest via les places de l’Étoile et du Trône (actuelle place de la Nation). Ces grandes avenues permettent de contenir le Paris populaire. De nouveaux immeubles, les très célèbres bâtiments haussmanniens, aux façades néo-classiques, vitrine du Paris moderne et symbole de la France à l’étranger, sont érigés. Paris se modernise. Paris s’agrandit aussi. Les proches banlieues de la capitale, dont, entre autres, Montmartre, Belleville, la Villette, et Grenelle, sont annexées par décret en 1860. Paris passe de 12 à 20 arrondissements. Des parcs et des espaces verts, comme les bois de Vincennes ou de Boulogne, sont aménagés pour verdir la capitale. Paris devient celle que nous connaissons et chérissons, un chef d’œuvre, une ville-Lumière qui attire et rayonne.

Make France great again

Je dois le reconnaître : la politique étrangère de Napoléon III fut brouillonne et ternie par trois désastres. Un diplomatique et deux militaires : la politique des pourboires moquée par Bismarck ; l’expédition du Mexique avec ses 360 millions de francs dépensés et ses 6 000 soldats tués ; la guerre franco-prussienne, enfin, qui a scellé le destin du Second Empire. Néanmoins, Napoléon III peut se targuer d’avoir rétabli la France dans le concert des grandes Nations.

L’empereur, en remettant en question l’Europe héritée du Congrès de Vienne, signe le retour de la France sur la scène internationale. Elle participe notamment à l’humiliation de la Russie lors de la guerre de Crimée, entre 1854 et 1856. En essayant de faire de l’Empire Ottoman un satellite, le tsar Nicolas Ier s’attire la foudre des Français et des Anglais qui l’écrasent à Sébastopol. En se faisant le défenseur du « principe de nationalités », Napoléon III s’attire la sympathie des Italiens. En les protégeant des Autrichiens lors des coûteuses batailles de Magenta et de Solferino, il rend possible leur unité et devient leur libérateur. En guise de cadeau, la Savoie et Nice sont rattachés à la France, arrêtant les frontières du territoire national.

Comme ses contemporains, Napoléon III défend une politique coloniale ambitieuse. Sous son règne, la France prend pied en Asie du Sud-Est : des protectorats sont établis sur la Cochinchine et sur le Cambodge. Les Français se déplacent vers le Tonkin. En Afrique, l’Algérie est entièrement conquise grâce à la prise de la Kabylie et des oasis du sud en 1857 tandis que Louis Faidherbe fait du Sénégal, alors modeste comptoir, une colonie. L’idée d’une Afrique noire française germe.

Un empereur à la fibre sociale

Napoléon III est sensible à la question sociale. En 1844, alors qu’il est emprisonné, il rédige De l’extinction du paupérisme . Inspiré par les idées de Saint-Simon et de Louis Blanc, il revendique le bien être de la classe ouvrière.

En tant que monarque, Napoléon III prend des mesures pour rendre la vie des gens meilleure. Par l’amélioration des techniques, le travail agricole est rendu moins pénible et les revenus tirés du sol augmentent. Il se soucie particulièrement des ouvriers qui obtiennent le droit de grève en mai 1864 conformément à la loi Ollivier. En juin 1853, des régimes de retraite par répartition pour les fonctionnaires sont créés.

L’empereur ne s’arrête pas là : il se saisit aussi de l’éducation et de la santé. Des crèches et des orphelinats sont bâtis. Victor Duruy, nommé en 1863 ministre de l’Instruction Publique, se fait le chantre d’un enseignement moderne, sans latin, avec des disciplines scientifiques et techniques. Il essaie, malgré l’opposition virulente des catholiques, de créer un enseignement secondaire d’État pour les jeunes filles et fait avancer le projet d’enseignement gratuit et obligatoire, dont Jules Ferry s’emparera deux décennies plus tard. Les indigents bénéficient des distributions de repas et d’un service de médecine gratuit établi à Paris par la loi du 20 avril 1853. Les pauvres, enfin, grâce à la complicité de la Société du prince impérial, ont la possibilité de contracter des emprunts sur l’honneur.

L’héritage du Second Empire

Pour avoir fait de la France une Nation brillante et en avance sur son temps, Napoléon III devrait être acclamé. Il a fait éclore une France neuve et rayonnante. Il a restauré sa gloire et sa grandeur en effaçant l’humiliation des traités réglant le sort du Premier Empire. Il a annoncé son universalité. Il en a fait un des centres du monde.

Si quelques auteurs ont sapé la crédibilité et dégradé l’image de celui qu’ils nommaient ironiquement « Napoléon le Petit », ne nous laissons pas duper. Ceux là se sont arrogés le monopole de l’Histoire. Jugez par vous même : à l’examen de son bilan, Napoléon III n’avait rien d’un petit mais tout d’un géant.

Et si le Second Empire avait perduré ?

1901. Cinquante années après le coup d’État du 2 décembre, l’exposition universelle se tient dans le faste de la Ville-Lumière. Près de 100 millions de visiteurs se pressent dans les rues de la capitale. Ils déambulent dans le métro et se laissent porter par les trottoirs-roulant, symboles d’une France moderne. Ils convergent vers les monuments parisiens, qui témoignent de la magnificence et de l’excellence du Second Empire. La France est la vedette de cet événement. La France rayonne. La France tient les clés du monde.

Métaphore de progrès, des dirigeables arborant des slogans célébrant la Nation, son régime et son souverain sillonnent le ciel de Paris. « L’Empire, c’est la paix » lit-on à juste titre : depuis le triomphe de la France lors de la guerre franco-prussienne, aucun conflit d’envergure n’a secoué le Vieux Continent. Même les querelles coloniales ont été réglées à l’amiable lors d’une conférence spécialement tenue à Berlin pour flatter l’égo des Prussiens. L’empereur avait tenu que cela se passe ainsi.

Après la victoire de 1870, Napoléon III, couvert de gloire, s’est retiré de la vie publique en abdiquant en faveur de son fils, couronné sous le nom de Napoléon IV. Plus populaire encore que son père, il poursuit, conformément au Manifeste impérial , la libéralisation du régime. Il donne davantage de pouvoir aux assemblées. Il protège paysans et ouvriers. Il établit une aristocratie de mérite pour récompenser les Grands du régime : scientifiques, artistes, industriels entrent au Panthéon de la Nation.

Les gens de ce monde ne le savent pas, mais l’Histoire qu’ils connaîtront sera bien différente de la nôtre. Par le triomphe français de 1870, la Commune ne verra jamais le jour. Elle n’inspirera ni les socialistes, ni les bolcheviks, qui ne proclameront pas l’URSS. Parce que les Français n’ont jamais été défait à Sedan, la Prusse, humiliée, n’unifiera pas les peuples allemands sous son égide. Sans deuxièmes et troisièmes Reich , deux guerres mondiales seront évitées. Les États-Unis resteront dans leur coin. Enfin, puisque l’empire n’a pas été désavoué par le peuple français, il se maintiendra en place. Aucune tradition républicaine ne s’ancrera en France.

Mais les gens n’ont que faire de ces ridicules considérations. Pour le moment, ils louent joyeusement l’Empire et l’Empereur. Ils s’amusent, rient et dansent. La grandeur de la France est intacte. Son avenir, lui, en marche.

Sources et renvois

[1] La loi d’exil du 1er janvier 1816 bannit la famille Bonaparte du territoire national.
[2] En 1852, il y avait 3 780 kilomètres de voies ferrées en France. En 1870, il y en aura 17 000.
Maxence Martin

Maxence Martin

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2022).
Rédacteur en chef de KIP (2019-2020)

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2022).
Chief Editor of KIP (2019-2020)

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