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Mettez Zemmour à l’isolement s’il vous plaît, pas les enfants handicapés!

J’avoue avoir été jusque-là assez indifférent à la candidature d’Éric Zemmour. En effet, bien qu’il tienne des propos racistes fortement dérangeants, il ne révolutionne en cela certainement pas un genre déjà très codifié par l’extrême droite et en premier lieu la famille Le Pen depuis des décennies. Je le voyais comme un phénomène passager qui resterait toujours éloigné de la fonction suprême. Mais voilà, mon avis sur cet homme a irrémédiablement changé le Vendredi 15 Janvier dernier au moment où il s’est signalé par des propos inacceptables et profondément blessants à l’égard des enfants en situation de handicap. Désormais, il ne s’agit plus de débattre sur où Zemmour se positionne dans le spectre de la droite, de se demander s’il est raciste ou non, mais bien de dénoncer de manière unanime les propos fracturants et dégradants d’un candidat qui pèse toujours près de 15% des voix dans les derniers sondages concernant la prochaine élection présidentielle !

Rappel des faits

Vendredi dernier, Honnecourt-sur-Escaut. Éric Zemmour est de sortie et fait face à des enseignants. Une occasion de développer son programme concernant le système scolaire et de sortir de l’image de candidat idéologiquement cantonné aux seuls sujets de l’immigration et de la sécurité. Et là, c’est le drame. L’ancien candidat prononce deux phrases qui vont immédiatement défrayer la chronique : « Il faut effectivement des établissements spécialisés, sauf pour les gens légèrement handicapés évidemment ». Puis, quelques minutes après : « Pour le reste, oui, je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là, qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants. Donc je pense qu’il faut des enseignants spécialisés qui s’en occupent ». Dit autrement, on peut comprendre « Les enfants en situation de handicap n’ont pas leur place à l’école avec les autres »

Immédiatement, les réactions scandalisées s’enchaînent sur la scène politique. Très vite, la secrétaire d’État chargée du handicap, Sophie Cluzel, se fend sur Twitter d’un message furieux : « En voulant sortir les enfants handicapés de l’école de la République, Éric Zemmour, par cette déclaration pitoyable, illustre une fois de plus son rejet des différences. Les personnes en situation de handicap ont toute leur place dans la société ». De l’extrême gauche à l’extrême droite, les déclarations du fondateur du parti « Reconquête » sont unanimement condamnées (comme quoi, il aura au moins réussi à sa manière à unir pour un court laps de temps tous les français). On finit même l’espace d’un (très court) instant par trouver Marine Le Pen sympathique, lorsque la présidente du Rassemblement National explique sur le même réseau social « Choisir la brutalité systématique comme projet politique est déjà contestable, mais s’attaquer aux enfants fragilisés par un handicap, c’est une ligne rouge et c’est impardonnable. »

Devant une telle levée de boucliers, Éric Zemmour tente de sauver les meubles en mettant le samedi suivant en ligne une vidéo revenant sur ses propos de la veille. Il y explique que « Vouloir traiter (tous les enfants) de la même façon n’efface pas les inégalités, cela les aggrave et peut même les rendre irréparables ». Il se porte en héraut du handicap, expliquant vouloir multiplier les solutions alternatives proposées aux enfants. Il finit par dénoncer, “ben voyons” (comme il se plaît si souvent à le dire), ce qu’il juge comme étant une manœuvre politique de ses adversaires pour le décrédibiliser.

Des propos choquants et insupportables

Bas les masques ! Le candidat Zemmour nous a dévoilé hier son vrai visage. Il n’est pas simplement le parfait représentant d’une extrême droite française raciste et sexiste. Par ces propos outrageants, il va bien plus loin que ne l’avaient jamais été Marine Le Pen ou même son père Jean-Marie avant elle. Il n’est pas seulement le dernier né de cette fraction politique, mais bien un candidat à l’élection présidentielle bien décidé à fonder l’intégralité de sa campagne sur la fracture de la France et les pensées les plus sombres et les plus néfastes pour les valeurs de notre pays.

Attention ! L’idée n’est certainement pas ici de dire que les enfants en situation de handicap ne doivent pas bénéficier d’une aide renforcée par rapport aux autres. Ce serait un non-sens total et une idée totalement déconnectée des difficultés qu’ils rencontrent. Mais de là à dire qu’il faut les mettre à l’écart des autres dans des établissements spécialisés, il y a un pas, ou plutôt un gouffre, qu’il est inacceptable de franchir et par-dessus lequel l’ancien polémiste vient de sauter à pieds-joints. 

En effet, la France et sa République ont toujours été fondés sur des valeurs, dont deux majeures sont l’égalité et l’inclusion. L’égalité, c’est le fait de donner à chacun les mêmes chances et les mêmes conditions pour s’épanouir et réussir ses objectifs. L’inclusion, c’est accueillir toute personne sans aucune distinction qu’elle soit physique, culturelle ou autre. Par ses propos, le candidat Zemmour a clairement montré qu’il préférait la division à l’union et à ces valeurs. Un jeune en situation de handicap doit pouvoir aller dans les mêmes cours et fréquenter les mêmes établissements que n’importe quel enfant. Sinon cela revient à lui faire intérioriser sa différence et à augmenter son handicap en ajoutant à celui déjà préexistant un autre obstacle psychologique fondé sur l’affirmation claire du fait qu’il ne serait pas comme les autres. Vouloir aider au maximum les personnes en situation de handicap, c’est certes leur apporter l’aide et l’accompagnement personnalisés dont ils ont besoin, mais c’est aussi leur donner les moyens de passer outre leur handicap et de pouvoir se sentir comme n’importe quelle personne.

J’espère que les larmes de crocodile d’Éric Zemmour dans sa vidéo n’auront trompé personne. En cinq minutes, on voit tout sauf ce que n’importe qui était en droit d’attendre après la faute (je pense que le mot dérapage est en effet bien trop faible ici) qui avait été la sienne deux jours plus tôt. En effet, il n’y a pas l’ombre d’une excuse ou d’un remords de la part du candidat, qui commence à expliquer que ses propos ont été mal compris, avant de se poser en fervent défenseur du handicap et de tenter de défendre l’inacceptable, puis de finir par dénoncer une machination politique. A défaut de pouvoir être décemment en accord avec la moindre de ses propositions, je reconnaîtrais néanmoins à Zemmour une constance dans ce qu’il semble maîtriser le mieux : l’outrage et les discours politiciens…

Pourquoi faut-il cesser de lui donner de l’importance ?

Disons-le tout de suite, Monsieur Zemmour est loin d’en être à son coup d’essai en termes de polémiques liées à ses propos. On rappellera d’ailleurs qu’il vient d’être condamné pour incitation à la haine dans une autre affaire[1]. Alors qu’on pourrait dire que les polémiques sont nuisibles pour un homme ou une femme politique, surtout lorsqu’il ou elle veut occuper la plus haute fonction de l’État, le candidat Zemmour semble se nourrir des réactions et des critiques qui pleuvent partout sur son chemin.

Car oui, ça fait réagir ce type de déclarations aussi fracassantes qu’inadmissibles. Et plus que tout, ça occupe l’espace médiatique pendant des jours et des jours. A un peu plus de trois mois des présidentielles, alors qu’on devrait être en train de parler des propositions de fonds des différents candidats sur la ligne de départ, on se retrouve pendant un week-end entier à parler de la dernière polémique provoquée par un homme qui se nourrit quasiment uniquement de scandales pour exister… On peut dès lors s’interroger sur la place qu’offrent les médias et notamment les chaînes d’information en continu à un candidat, au risque d’éclipser tous les autres.

Je dénonçais dans un précédent article le « phénomène Zemmour », créé en grande partie par les médias, qui ressemblait fort à celui qui avait amené Donald Trump au pouvoir aux États-Unis en 2016. Aujourd’hui, je persiste et signe : qu’un candidat fonde sa campagne sur le dénigrement, les propos honteux et la division de la société, c’est déjà gravissime. Mais qu’une telle résonance soit donnée à chacun de ces propos l’est tout autant, voire plus. J’en appelle donc aux médias contemporains : transmettez comme ceux de n’importe quel candidat les propos de Zemmour, mais cessez de nourrir les polémiques dont il a fait son lit. Quant aux citoyens : changez de chaîne, éteignez vos écrans devant de telles immondices. Car c’est bien Éric Zemmour ,et non les enfants en situation de handicap ou qui que ce soit d’autre, qu’il faut mettre à l’écart, que ce soit à l’école ou ailleurs.

Illustré par Maxence Delespaul

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.