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Macron-Merkel : dernière bouée de sauvetage pour l’Europe ?

L’une au pas, l’autre au galop, la chancelière et le président devront accorder leurs violons.

En voilà un tableau fort de contrastes. Au rythme de L’Ode à la joie de Beethoven, l’hymne de l’Union européenne, Emmanuel Macron brave vaillamment la Cour Napoléon au Louvre et délivre son discours de victoire. Le nouveau président français jure de défendre l’Union européenne, « le destin commun que les peuples de notre continent se sont donné ». Quelques mois plus tard, après un scrutin presque vexant, Angela Merkel manque de se noyer en conférence de presse à Berlin, tendant une main hésitante aux partis politiques que les chrétiens démocrates, meurtris, doivent maintenant courtiser en vue d’une coalition. Quant à l’Europe, pas de faux espoirs : « Aujourd’hui n’est pas le moment d’affirmer ce qui fonctionnera et ce qui ne fonctionnera pas », dit-elle.

Les dirigeants de l’Union européenne sont des funambules au-dessus du ravin qui sépare deux visions : celle d’un jeune président impudent, dont les ambitions dépassent de loin les frontières de l’Hexagone, et celle d’une chancelière circonspecte qui approche la fin de sa carrière politique. Emmanuel Macron a mené campagne sur la promesse de remanier la France en profondeur, et de tout mettre en œuvre pour répéter le même tour de force à l’échelle européenne. À l’opposé, pendant une campagne électorale pragmatique, Angela Merkel n’a ni cherché ni obtenu un mandat de refonte de l’Union européenne. Nombre de ses électeurs n’en voient pas l’intérêt.

Fin septembre, la vision que se fait Emmanuel Macron de l’Europe a trouvé sa pleine expression lors d’une allocution à l’emporte-pièce d’une centaine de minutes à la Sorbonne qui a balayé large, de la coopération en matière de défense aux subventions agricoles, et abouti haut, sur un plan quinquennal de transformation de l’Union européenne entre 2019 et 2024, date à laquelle Paris accueillera les Jeux olympiques — coïncidence ? Sa riposte aux détracteurs qui trouvent sa démarche toujours plus hâtive, il la délivra en bon macronien : « la procrastination est cousine de l’indolence ».

Provocant pour certains, légèrement dirigiste pour beaucoup, l’appel d’Emmanuel Macron à l’harmonisation de la politique fiscale — véritable « chef-d’œuvre architectural baroque en péril » comme le disait Henri Sterdyniak — ainsi qu’à un marché commun « fondé, non plus sur la concurrence, mais sur la convergence », en fera enrager plus d’un dans les encoignures les plus libérales d’Europe. Pourtant, le président français semble avoir réussi à mobiliser ses homologues autour de ses propositions de réformes de l’Union européenne, mettant son projet sur la table du sommet de Tallinn. Ils ont d’ailleurs salué le souffle du discours et la flamme de l’orateur.

Il est impossible d’imaginer Angela Merkel prononcer un tel discours. Si la chancelière a dominé l’Union européenne, ce n’est pas dans la poursuite sempiternelle d’une vision utopique de l’Europe, mais par son omniprésence, ainsi que celle du pays qu’elle dirige, au cœur de chaque crise que le continent a traversée, tandis que les autres dirigeants, dont les présidents français successifs, se sont distancés. Ne nous attendons pas à un changement soudain. Il serait exagéré de dire que le résultat des élections allemandes mènera la vie dure à E. Macron. Néanmoins, il est peu probable qu’une coalition s’incline devant ses demandes, et sa marge de manœuvre tend à se rétrécir, d’autant plus que le Parti libéral démocrate allemand, un des soutiens d’Angela Merkel qui a récemment taillé dans la roche un léger refrain eurosceptique, exigera très certainement une compensation pour chaque politique pro-européenne menée.

Cela ne signifie pas pour autant qu’Emmanuel Macron est condamné au statu quo. Il a exhorté au renouvellement du Traité de l’Elysée, sur lequel sont enracinées les relations franco-allemandes depuis plus d’un demi-siècle, et a bien des choses à dire sur l’immigration et la sécurité, ces mêmes préoccupations qui étaient à l’origine de l’accord. Le chemin sera semé d’embûches, d’autant plus que la vision d’Emmanuel Macron d’une Europe qui protège ses citoyens contre les angles saillants de la mondialisation est largement impopulaire en Allemagne et que les voix du populisme se font de plus en plus menaçantes depuis le Brexit.

Sagement, Emmanuel Macron a choisi de ne pas insister sur l’idée que la zone euro doit être entièrement repensée, au moyen d’un grand budget qu’il avait précédemment évalué à quelques points de croissance européenne. Soutenir ce genre de revendications au moment où les différents partis politiques allemands commencent à se bousculer dans le processus de coalition se serait retourné contre lui de manière spectaculaire ; immédiatement après les élections, Christian Lindner, le leader du Parti libéral-démocrate allemand, a d’ailleurs exclu de souscrire à un budget trop conséquent de la zone euro. Emmanuel Macron reste convaincu que la zone monétaire nécessite la révision majeure qu’il avait promise lors de la campagne présidentielle. Mais il semblerait qu’il soit encore trop tôt — y aura-t-il un jour un instant propice ?

Emmanuel Macron espérera toujours trouver un point d’appui pour les prototypes de ses autres idées : un budget réduit pour l’investissement, un — très symbolique — ministre des finances de la zone euro, un ajustement des fonds de sauvetage, etc. La Commission européenne auscultera ces projets à l’aune des différentes propositions de décembre que les dix-neuf dirigeants de la zone euro rumineront lors d’un sommet peu de temps après.

Néanmoins, les mesures concrètes résident peut-être ailleurs. Il y a cinq ans de cela, la zone euro s’était accordée sur la nécessité d’établir une union bancaire. Les résultats étaient impressionnants, mais les gouvernements, trop hétérogènes, avaient échoué à s’accorder sur tous les rouages du projet. Sortir de cette impasse, plutôt que de plonger dans de nouvelles escarmouches institutionnelles, serait le premier et meilleur test d’une réconciliation entre la France et l’Allemagne, une volonté commune de passer outre leurs différends et porter la monnaie unique vers une plus grande stabilité. En plus de renforcer le marché européen des capitaux, endiguer le cercle vicieux entre les gouvernements et des banques criblées de dettes souveraines pourrait accomplir bien plus pour la résilience de l’euro qu’un budget atrophié ou un ministre des finances européen qui inaugurerait les chrysanthèmes.

Emmanuel Macron veut inspirer son audience, pas l’endormir. Mais il a parfaitement conscience qu’il faudra plus que de belles paroles — certains diraient logorrhée — pour calmer les suspicions de l’Allemagne que les Français ont pour seule ambition de subventionner leur insouciance fiscale auprès des plus économes. Le ton est donné : après un long hiver de crise, les vents politiques et économiques sont désormais favorables. Emmanuel Macron et Angela Merkel n’auront pas de meilleure occasion, ni de deuxième chance.

Illustration : Montage de Hugo Sallé pour KIP.

Alexandre Suertegaray

Alexandre Suertegaray

Étudiant français en Master in Management (H2021) à HEC Paris.
Contributeur régulier pour KIP.

French student in Master in Management (H2021) at HEC Paris.
Writes regularly for KIP.