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Macron le libéral
Macron le libéral, Montage de Hugo Sallé pour KIP

Emmanuel Macron illibéral, vraiment ?

Ce texte est un droit de réponse à l’article Macron : la grande illusion libérale de Danton.

S’il est louable de vouloir rendre ses lettres de noblesses à la théorie libérale, le libéralisme ayant aujourd’hui pris un tout autre sens, cette tentative de réhabilitation souffre de nombreuses insuffisances. Cette réponse se veut une reprise succincte des principaux problèmes posés, en aucun cas une attaque personnelle à l’encontre du plus ou moins mystérieux Danton, ni une histoire et un état des lieux exhaustif du libéralisme. La plupart des sujets soulevés demanderaient de longs développements à eux seuls, mais encore une fois, cet article se veut simplement une réponse brève.

Les Français et le libéralisme

Il faut d’abord bien se rendre compte que dans le débat public, « libéralisme » est devenu synonyme de libéralisme économique. C’est d’ailleurs à cette aune qu’il faut interpréter les jugements de la presse et des « Français » sur le libéralisme : cela explique notamment pourquoi « les Français » le considèrent de droite. Ce n’est ni une erreur ni une idée reçue, puisque ce n’est pas le libéralisme en général qui est en vue. Cette confusion a d’autres conséquences, en particulier sur la prétendue méfiance des Français envers le libéralisme. Quel libéralisme ? Économique ? Politique ? Dans les deux cas, une partie de la population y adhère, une autre se sent moins libérale, ce qui ne l’empêche pas d’en partager certaines valeurs. La « méfiance naturelle des Français » envers le libéralisme est un mythe : si méfiance il y a, elle n’est pas absolue, pas dans toute la population, et surtout pas naturelle. Il faudrait au contraire réfléchir aux raisons de cette méfiance.

La presse française et le libéralisme

M. Macron serait honni par la presse française en raison de sa politique « ultralibérale » qui n’en serait finalement pas une. Pourtant, pendant la campagne présidentielle, Le Monde, L’Obs, ou bien par la suite Le Figaro (et la liste est longue), semblaient apprécier le candidat Macron [1]. À y regarder de plus près, les médias dominants ne remettent pas en cause les composantes libérales de la politique du président. Tout au plus lui demandent-ils d’apaiser « la grogne » des Français pour pouvoir continuer à « réformer », « moderniser », « transformer en profondeur » le pays. La critique désignant le président comme ultralibéral n’émane que très peu de la presse, mais plutôt des opposants. Le traitement médiatique de M. Macron mériterait de bien plus amples considérations, mais ce n’est pas le cœur du sujet.

La France et le libéralisme

De même, dire que le libéralisme est français est excessif. Il est assez illusoire d’essayer de cerner l’origine du libéralisme car ses conditions de possibilité et les idées sur lesquelles il s’appuie ne sont pas apparues soudainement. Avant les Lumières, John Locke posait déjà les bases d’une théorie libérale. Malgré cela, la tradition libérale française n’est pas morte. Les économistes libéraux courent les rues et squattent les plateaux télévisés tandis que les think thank fleurissent (Fondation Saint-Simon, Institut Montaigne, Génération Libre…). Les vagues successives de privatisations, la déréglementation des marchés financiers, l’adhésion à l’Union européenne, les « réformes » du droit du travail ne sont que les éléments les plus saillants du libéralisme économique en œuvre depuis des décennies. Sur le plan social, la peine de mort a été abolie, l’homosexualité progressivement acceptée, l’avortement autorisé etc. Cela ne signifie pas que la France est un idéal libéral, mais qu’affirmer le contraire est faux.

Le libéralisme économique et ses contradictions

Danton réplique alors que les impôts ont augmenté, la dette aussi, que l’Etat intervient dans l’économie. Ce serait oublier que le libéralisme d’antan a laissé place au néolibéralisme comme idéologie dominante. Celui-ci ne se réduit pas à un mode d’accumulation financiarisée, par opposition au vieux capitalisme industriel. C’est aussi un mode de gouvernement qui assigne à l’État un rôle à la fois décisif et autoréducteur : fixer un cadre juridique à l’expansion de la concurrence « libre et non faussée » ; localiser et détruire les obstacles à la croissance, fussent-ils situés au sein même de l’administration ; amortir les chocs sociaux engendrés par les deux premières tâches. C’est là que les dépenses sociales, jouent un rôle essentiel dans le projet néolibéral français, en permettant de rendre tenables les politiques économiques libérales, ce qui n’empêche pas les gouvernements successifs de remettre en cause de plus en plus d’aides mettant ainsi en péril le fragile équilibre. Une présence renforcée de l’État ne contredit donc pas le projet néolibéral [2].

Face à l’injustice des politiques fiscales des gouvernements français, il faudrait alors baisser les impôts des classes populaires et moyennes pour libérer les Français du « fardeau fiscal ». Seulement, c’est ne pas voir la capacité de l’impôt de permettre une redistribution des ressources et le développement d’un service public fort, qui permettent de lutter contre la pauvreté et de rendre possible l’émancipation si chère aux libéraux. La liberté ne mène pas toute seule à l’égalité, c’est un non-sens que de l’affirmer sans justification, en citant par autorité Friedman, qui a inspiré une grande partie des politiques économiques qui échouent socialement parlant depuis des décennies. Une politique fiscale juste n’est pas minimaliste, mais proportionnelle [3].

Macron le néolibéral

La politique sociale de M. Macron est ambivalente. Certes, il fait preuve d’importantes dérives autoritaires et le traitement des migrants n’est pas digne, mais il est ouvert aux minorités, à la PMA etc. En revanche, sa politique économique est clairement libérale. Reprenons les exemples de la SNCF et des fonctionnaires. La privatisation de la SNCF est rampante, comme elle le fut pour France Telecom, comme elle l’est pour EDF et La Poste. 50 % du chiffre d’affaires de la SNCF est réalisé dans des filiales de droit privé comme Keolis ou Geodis, les actifs (wagons, machines, immobiliers) sont transférés vers ces filiales et il y a désormais presque autant de salariés de droit privé que de cheminots à la SNCF. Tout cela avec en point de mire l’ouverture à la concurrence rend la perspective de la privatisation plus que crédible. Reprendre la dette permettra simplement de le faciliter.

Concernant les fonctionnaires, si le débat n’est pas ouvert, c’est qu’il n’y en a pas : les gouvernements successifs ont tous voulu réduire leur nombre, il n’est jamais question de renforcer le service public. Seulement, M. Macron avance plus ou moins discrètement car une bonne partie de la population est effectivement attachée à la notion de service public, et se mettre à dos un électorat serait bien fâcheux. Si l’on y ajoute les ordonnances sur le code du travail, la suppression de la taxe d’habitation, la baisse des APL (à moins que les loyers baissent du même montant, ce qui est loin d’être sûr), le soutien au CETA et à la politique de l’UE, M. Macron est bien engagé dans la tendance néolibérale.

Alors, la France est-elle en plein délire égalitaire ? Nostalgique des régimes autoritaires ? Deux jugements à l’emporte-pièce, sans argumentation. Le délire n’est-il pas du côté des gouvernements des pays « développés » qui s’obstinent dans la même direction depuis des décennies malgré les échecs ? Le ressentiment et la tentation autoritaire ne prennent-ils pas, entre autres, leurs racines dans la brutalité du monde économique contemporain ?

Sources et renvois

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Antoine Bourdier

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2021).
Contributeur pour KIP.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2021).
Contributor to KIP.