KIP

Les sorcières ont du succès, et c’est une bonne chose !

Les sorcières sont revenues au goût du jour : elles ont envahi notre espace public et privé. On ne compte plus les films, les romans, les essais, dont elles sont les héroïnes ou qu’elles inspirent. En année électorale, elles rallient les suffrages comme symbole du féminisme. Leurs liens étroits avec la nature en font des pionnières de l’écologie. Enfin, leur côté mystérieux et singulier, peut-être dangereux, nous permet de nous reconnecter avec notre irrationalité. 

La tardive réhabilitation des sorcières

Les sorcières reviennent de loin. De la fin du 15ème siècle jusqu’au 17ème siècle, la chasse aux sorcières a été rationalisée et organisée à travers l’Europe. Les accusées sont emprisonnées, jugées sommairement, puis pendues, noyées ou brûlées. Le 18ème siècle les renvoie aux confins de la folie, le 19ème en fait des personnages de romans, adeptes de sabbats transgressifs. Dans les années 1950, la « chasse aux sorcières » est la métaphore utilisée par Arthur Miller dans la pièce de théâtre les Sorcières de Salem, pour dénoncer le mouvement dirigé par Joseph McCarthy, sénateur du Wisconsin et anti-communiste acharné.

Par la voix de la Première Ministre, Nicola Sturgeon, l’Écosse présente enfin ses plus plates excuses aux milliers de sorcières torturées et tuées injustement. Persécutées il y a trois siècles, elles seront très prochainement réhabilitées par le gouvernement. Cela fait suite à une longue campagne du groupe « Sorcières d’Écosse »qui dénonce l’ampleur et la cruauté des condamnations qui se sont tenues entre 1536 et 1736. L’Écosse a exécuté au moins cinq fois plus de sorcières que ses voisins, proportionnellement à sa population. Les sorcières (comme les fantômes !) sont profondément inscrites dans l’histoire et la culture de ce pays. William Shakespeare les convoque d’ailleurs pour la première scène de Macbeth.

Mais l’Écosse n’est pas le premier pays à avoir innocenté ses sorcières. C’est chose faite depuis 2001 pour les victimes de Salem. La Chambre des Représentants de l’État du Massachusetts a rendu un arrêté similaire au projet de loi écossais concernant les 19 personnes exécutées injustement à la fin du 17ème siècle. Ainsi, la sorcière revient-elle sur le devant de la scène par la grande porte. Lovecraft, qui écrivit en 1933 « La maison des sorcières », doit se retourner dans sa tombe ! 

De l’ostracisme à l’étendard du combat féministe

Au-delà de cette reconnaissance juridique, depuis quelques années, les sorcières reviennent en force, en Europe comme aux États-Unis. Romans, films, documents, séries… elles sont partout ! De la saga Harry Potter à la récente adaptation au cinéma de Sacrées Sorcières de Roald Dahl (où elles ne sont pas vraiment gentilles mais affreusement drôles) ce sont des figures incontournables dans les médias mais aussi en tant que symbole de la lutte des femmes pour la reconnaissance de leurs droits.

Mona Chollet dans Sorcières :La puissance invaincue des femmes prend clairement position en associant la sorcière à la féministe moderne. Selon elle, la sorcière est à la fois victime et héroïne, elle possède une sorte de dualité contradictoire. La sorcière est en effet un bon indicateur de la tolérance de la société où elle vit. Au Moyen Âge, en Europe, les femmes qui semblaient différentes ou anormales, celles qui n’avaient pas d’enfants, ou pas de mari, qui usaient de pratiques ou coutumes excentriques, ou même dont le seul crime était d’être rousse, étaient désignées à la vindicte populaire.

Les années soixante, puis soixante-dix sont celles d’une prise de conscience : les mouvements féministes choisissent de faire de la sorcière l’étendard de leur révolte, un symbole du combat face à la domination masculine et à l’oppression misogyne. La sorcière montre que le point de vue original existe puisqu’elle contredit l’opinion générale ! Elle ose également être différente, elle privilégie son indépendance, bref elle assume ne pas être dans la norme de ce qui est attendu d’un pouvoir patriarcal jugé étouffant. 

Elle sait ce qu’elle risque en agissant ainsi. C’est une femme puissante.

La sorcière : une figure providentielle de notre époque

La sorcière n’est plus là où on l’attend, au cœur d’une sombre forêt, se préparant à cuisiner Hansel et Gretel. La délicieuse Samantha, au fin fond d’une banlieue américaine typique des années 60, cache ses pouvoirs pour s’affranchir de son benêt de mari dans la série Ma sorcière bien-aimée. Tout comme la brillante Hermione, née de parents moldus, amie irréductible d’Harry Potter dans sa lutte contre les forces du mal, et qui défend les Elfes de maison exploités. Ce sont des figures bienveillantes. 

Avec les sorcières, nous échappons aussi à la banalité du quotidien. Elles nous apprennent à émanciper et à cultiver notre part d’irrationalité. Car la sorcière ajoute un peu de fantaisie dans nos vies, peut-être plus particulièrement à l’ère du COVID. Ce n’est pas un hasard si les ventes de « grimoires de sorcières » ou « recettes de sorcières » explosent partout en librairie. Ces livres nous séduisent en ces temps de confinements et de périodes d’isolement prolongés. Beaucoup de lecteurs ouvrent leurs pages souvent magnifiquement illustrées, pour rendre l’époque un peu plus amusante, et se convaincre du pouvoir de la pensée à défaut de pouvoir influencer le réel. 

Enfin, les sorcières ont des liens étroits avec la nature, ce qui participe à leur singularité. Elles sont les dépositaires de ses secrets, elles connaissent le langage des animaux, elles nous guérissent grâce à toutes sortes de pierres et de plantes mystérieuses… Radagast le Brun incarnait déjà cette forme de sorcellerie chez Tolkien. Dans le Seigneur des Anneaux, il vit en harmonie avec la nature, dans la forêt, loin de la civilisation, seulement entouré d’animaux. La prochaine étape de notre reconnexion avec la nature serait-elle alors le retour à « la vie sauvage », dont la sorcière est une figure tutélaire ? Peut-être Thoreau a-t-il été inspiré par quelques sorcières en se promenant dans les bois, le long du lac Walden. 

En janvier 2022, la sorcière est présente dans le nouveau roman de Michel Houellebecq, Anéantir. Prudence, la femme du héros, est en effet une adepte de la Wicca, mi-religion, mi-secte qui préconise un retour aux mythes païens et la pratique de rituels nous ramenant à la magie blanche. Consécration, donc…Mais cette omniprésente dans notre quotidien culturel, médiatique ou social, est-elle une bonne nouvelle ? Sans aucun doute car, en définitive, les sorcières, par leur histoire, nous interrogent sur nos capacités de tolérance et d’empathie, dont l’époque a tant besoin. Souhaitons cependant qu’elles sachent préserver pendant encore longtemps toute la séduction de leur « inquiétante étrangeté » !

Illustré par Maxence Delespaul

Emma Caillet

Emma Caillet

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Responsable du pôle anglais de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's head of translations and regular contributor.