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Illustration d'Astrid Hirtzig pour KIP

Les migrations en France : un État plus généreux qu’on ne le pense

Migrations en France : un État plus généreux qu’on ne le pense

24 novembre 2020. Un camp de migrants, situé place de la République, est démantelé par les forces de l’ordre. Les images, diffusées par le média Brut en direct sur Instagram, suscitent beaucoup d’indignation sur les réseaux sociaux. Brut dépeint en effet une intervention dont la violence apparaît disproportionnée. Le contraste sur les images est sidérant, entre des policiers en armes et des migrants démunis, qui ne possèdent qu’une simple tente pour passer les nuits. Très vite, les internautes accusent l’État d’être inhumain face à la situation précaire et désespérée de ces personnes. 

Pourtant, la France est un des pays les plus cléments du monde en matière d’accueil, et il m’a paru important de le détailler dans cet article : les images que nous avons pu voir ce soir-là sont en quelques sortes la partie visible de l’iceberg, et surtout ne sont pas une généralité. Voici quelques éléments pour mieux comprendre la position de l’État quant à l’acceptation des demandes d’asile. 

Une part croissante d’immigrés au sein de la population française

En 2019, 274 000 immigrés obtiennent un titre de séjour, un nombre encore jamais atteint depuis 1851, lorsque les étrangers ont été recensés pour la première fois dans la population française. Les immigrés représentent aujourd’hui en tout et pour tout 10% de la population française, ce qui fait de la France le 2ème pays d’accueil d’Europe, après l’Allemagne. On doit principalement cette hausse des titres de séjour au regroupement familial, mis en place sous le gouvernement de Chirac en 1976, qui consiste à faire venir légalement en France la famille d’un immigré possédant un titre de séjour. Il faut également noter qu’en France, la reconduite des sans-papiers n’excède pas les 30 000 par an, le gouvernement allant même jusqu’à subventionner des associations dont le but est de trouver des arguments pour empêcher le renvoi d’un migrant dans son pays. La France est donc loin d’être un pays hostile aux migrants ; comme le disait Michel Rocard “La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre fidèlement sa part”. Le gouvernement s’efforce de gérer au mieux les arrivées migratoires. Il doit en fait s’adapter à un contexte de fortes migrations internationales, renforcées par les guerres incessantes qui se déroulent dans ses anciennes terres coloniales. 

L’hébergement inconditionnel pour tous, partout

Certes, les arrivées vont plus vite que les ouvertures de places dans les centres d’hébergement. En 2015, les Centres d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile disposaient de 25 300 places, pour 79 914 demandeurs d’asile. C’est indubitablement une faiblesse d’État, qui conduit à des constructions de camps illégaux en plein Paris, impliquant leur démantèlement. Pourtant, de nombreuses solutions sont mises en place pour venir en aide aux demandeurs d’asile n’ayant pas de logement. Par exemple, en France, le principe d’hébergement inconditionnel est inscrit dans la loi comme un « droit imprescriptible ». Ainsi, en plus des places qui leur sont réservées, les demandeurs d’asile accèdent aux hébergements d’urgence. Malheureusement, les places dans ces hébergements d’urgence manquent, et les collectivités locales rechignent à ouvrir des lieux publics – gymnases, salles des fêtes, etc – pour accueillir les personnes à la rue, qu’elles soient de nationalité française ou non. Il faut aussi préciser que nous sommes le pays le plus tolérant en matière d’occupation de l’espace public : la loi « citoyenneté égalité », votée en 2017, stipule que toute tente ou tout abri en carton implanté sur une place, un trottoir ou dans un jardin, est considéré comme un habitat, ce qui permet à son habitant de demander un délai à un juge avant d’en être expulsé. À titre de comparaison, en Angleterre, mendier dans la rue constitue un délit.  Il convient enfin de noter que lors des démantèlements de camps illégaux, les forces de l’ordre restituent les tentes des migrants à des associations qui leur viennent en aide. 

La promesse d’un accès universel à la santé

L’accès universel à la santé est un impératif en France, un droit imprescriptible dont bénéficie toute personne présente sur son sol. Ainsi, tout migrant, qu’il soit en situation régulière ou non, se voit accorder l’accès à un panier de soins presque similaire à celui des résidents français. Les autres pays européens sont encore une fois bien moins généreux en la matière : au Royaume-Uni, mis à part les soins urgents, les soins sont payants pour les demandeurs d’asile. En Allemagne et aux Pays-Bas, la bonne maîtrise de la langue permet de minorer ou non l’accès à la santé pour les migrants. En France, les demandeurs d’asile ont donc accès aux droits de l’homme les plus basiques de façon inconditionnelle. C’est une vraie chance pour les demandeurs d’asile. Faire de la maîtrise d’une langue ou des moyens financiers un critère supplémentaire pour avoir accès aux soins les plus basiques renforce la difficulté du périple dans lequel ils s’engagent, déjà ô combien difficile ; d’autant que l’accès à la santé est un Droit humain, qui ne devrait être conditionné par aucun critère.

Un accès à la nationalité française beaucoup moins semé d’embûches qu’en Europe

En France, le droit du sol est fortement ancré dans les mœurs, contrairement à ses voisins européens, chez qui le droit du sang prévaut encore. Les naturalisations ont été facilitées par la loi de 1920 : elles sont possibles après avoir passé cinq ans sur le sol français, contre 10 ans avant cette loi. À titre de comparaison, en Italie, c’est un vrai parcours du combattant pour accéder à la précieuse nationalité : il faut être né sur le sol italien et avoir vécu jusqu’à la majorité dans le pays, autant dire que pour les nouveaux arrivants, il est presque impossible d’acquérir la nationalité. 

L’Europe, une solution pour mettre fin aux critiques ?

Toutes ces mesures en faveur des migrants peuvent sembler vaines, car le gouvernement est toujours critiqué dans sa gestion des migrations, tantôt en faisant trop, tantôt pas assez. Pour améliorer un peu cette situation chaotique, une coordination des politiques européennes en matière migratoire est la seule solution. Malheureusement, cette coordination se fait attendre, et elle ne semble pas prête d’arriver… D’abord, l’agence européenne Frontex, qui aide les États-membres à protéger leurs frontières, fait face à plusieurs faiblesses, entre manque de budget et d’effectifs, et une refonte de cette agence essentielle n’est pas la priorité actuelle des États-membres. Aujourd’hui, le règlement de Dublin, datant de 1990 et actualisé en 2013, se heurte à deux problèmes majeurs, qui témoignent du triste manque de coordination des 27. D’abord, les États dans lesquels arrivent les migrants ne sont pas toujours en mesure d’enregistrer et d’assumer toutes les arrivées. De plus, un demandeur d’asile peut changer de pays pour réitérer sa demande d’asile si elle a échoué dans un premier pays. Cette problématique est l’illustration même du manque de cohérence des pays de l’Union Européenne, qui ne parviennent pas à agir de concert sur cette problématique majeure. Ce qu’il faudrait pour que la situation s’améliore considérablement, c’est donc une reconnaissance mutuelle des États en matière de droit d’asile. Tant que cette mesure, actuellement discutée dans le cadre des négociations pour le « Pacte commun pour la migration et le droit d’asile », n’entrera pas en vigueur, le problème de la mauvaise répartition des migrants au sein de l’Union Européenne restera d’actualité. La France, malgré tous ses efforts, restera donc en proie aux critiques, puisqu’une telle problématique ne peut pas être gérée unilatéralement. 

Que retenir de tout ça ? 

La situation de milliers de migrants en France est critique, et cet article n’est en aucune façon fait pour les décrédibiliser. L’État a commis et commet toujours des erreurs quant à la gestion de cette problématique complexe, et voir des camps de migrants être démantelés de force, dans la violence, sans que les occupants n’aient été prévenus au préalable est absolument révoltant. Il me tient juste à cœur de rappeler que les acteurs de la gestion des migrations ne sont pas inhumains. La situation migratoire que nous vivons à l’heure actuelle est inédite, et donc particulièrement difficile à gérer, d’autant plus à cause du covid, dont la gestion mobilise à temps plein la plupart des gouvernements.

Joséphine Van Eecke

Joséphine Van Eecke

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Membre de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Member of KIP and regular contributor.