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Les grands entretiens – Violette Spillebout, députée du Nord et porte-parole du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale

Les grands entretiens de KIP continuent à explorer le visage de la nouvelle Assemblée nationale. Après l’interview de M. Sacha Houlié, président de la commission des Lois, c’est au tour de Violette Spillebout, députée du Nord nouvellement élue, de se prêter à l’exercice. Lien entre management public et privé, expérience de primo-députée et actualité politique du moment sont autant de thèmes abordés à l’occasion de ce passionnant échange.

Première partie : regards sur un parcours 

Votre carrière est marquée par une expérience à la SNCF en tant que cadre dirigeante. Pensez-vous que le politique – et, plus généralement, le service public – doit apprendre du fonctionnement du privé ?

La SNCF est une grande entreprise publique, qui est en perpétuelle transformation. Pendant 8 ans, j’y ai appris dans mes fonctions de Directrice des Relations Institutionnelles puis RH, le management de la Qualité de vie au travail, la mesure de la performance, les process d’amélioration continue, la symétrie des attentions. Autant d’outils et de concepts qui peuvent totalement être transposés au service public ! Dans toutes mes réflexions et actions politiques, j’ai le souci de la juste dépense des deniers publics et avec la nécessaire évaluation des impacts et de l’efficacité.

Par ailleurs, je pense qu’il est bon que par certains aspects, le secteur public s’inspire de la culture et de certaines méthodes du privé. La fonction publique doit conserver sa noblesse et sa raison d’être tout en se modernisant. Cette approche doit permettre de replacer les usagers au centre de toute l’organisation du service public et de se préoccuper davantage de leur niveau de satisfaction. J’aime l’expression de Gilles Legendre qui parle à cet égard d’un « bénéfice citoyen », transposition dans la sphère publique de la notion « d’expérience client » si importante dans le privé.

A l’Assemblée nationale, je suis membre de la Commission des Affaires culturelles et de l’Education. De manière générale, mais tout particulièrement dans le domaine de la culture, il est fondamental que le politique comprenne les enjeux et les contraintes propres au secteur privé. La culture est vivace sur tous les territoires Français grâce certes aux institutions publiques, mais aussi grâce aux salles de concert privées, petits théâtres, écoles de danses, groupes de musiques… qui font partie de la sphère entrepreneuriale. Au lieu d’opposer public et privé, il faut les considérer comme une offre complémentaire utile à l’accès à la culture pour tous. 

On a mesuré cette nécessité lors de la crise pandémique, où le secteur culturel a été particulièrement sinistré. Dans le déploiement des aides de l’Etat, il a été très important que la puissance publique et les acteurs privés parlent le même langage et se comprennent. Sans ce dialogue, l’action publique ne peut pas être efficace, informée et adaptée aux réalités des acteurs.

Vous avez été engagée au Parti socialiste avant d’être adversaire de Martine Aubry à la mairie de Lille. Que diriez-vous à un électeur de gauche qui hésite à voter Renaissance ?  Qu’est-ce qu’Emmanuel Macron a repris de l’héritage des idées de gauche ?

J’ai accompagné c’est vrai Pierre Mauroy puis Martine Aubry au sein de leurs cabinets respectifs, et j’y ai beaucoup appris sur les problématiques locales. Mais au fur et à mesure des années aux côtés de la Maire de Lille, j’ai compris les limites d’une gauche dogmatique, clivante, qui en réalité ne résolvait pas les problématiques profondes de notre société. Je me suis éloignée assez tôt d’un système que j’estimais trompeur, bien loin des bonnes intentions affichées. Je pense aux attentions aux plus pauvres et aux exclus dans la Ville, au rapport aux petites structures de quartier face aux grandes structures culturelles, au mépris des commerçants et de leurs problématiques quotidiennes, à la stigmatisation des parents d’élèves dès qu’ils s’opposent à des rythmes scolaires imposés, ou encore plus globalement à une méthode de gouvernance qui impose, en vertical, sans prendre en compte avec authenticité les besoins des habitants.

Aujourd’hui, les grandes villes dirigées par des Maires PS, comme Paris et Lille, ont rejoint la gauche version NUPES. Le PS n’y existe plus et y a perdu ses valeurs républicaines et européennes. La NUPES n’est pas une option crédible, car elle ne parvient pas à se positionner de manière cohérente sur des sujets aussi fondamentaux que l’écologie, l’Europe, l’économie de marché ou la concurrence. De manière très grave, elle a abandonné la défense de la laïcité que la gauche du XXe siècle était parvenu à conquérir. 

Sur ces sujets, le programme d’Emmanuel Macron peut selon moi, à bien des égards être considéré comme un programme de gauche. La gauche d’Emmanuel Macron n’est pas celle qui s’obstine à voir l’entreprise par le prisme de la lutte des classes, ni celle qui poursuit des objectifs de décroissance. Elle est celle qui donne à chacun des moyens égaux d’exprimer ses talents librement, favorisant la mobilité contre les rigidités sociales. Elle est celle de la défense de la solidarité sociale et de l’Etat providence, celle de la responsabilisation des acteurs économiques et sociaux sur le plan écologique. Dans le programme que portait Jean-Luc Mélenchon aux dernières présidentielles, tout était résolu par une taxe ou un service public. Nous pensons différemment.

A Renaissance, au-delà de la diversité de nos horizons politiques, il existe un consensus sur le diagnostic que nous portons sur la société. Les problèmes économiques qui la structurent résident dans les énormes investissements qu’il est nécessaire de réaliser pour être à la hauteur des défis du XXIe siècle sur le climat, la numérisation, ou la santé. Pourtant, la production de notre économie est trop faible pour les financer, notre balance commerciale est déficitaire et nous ne sommes toujours pas au plein emploi. Cela justifie la poursuite d’objectifs de croissance ambitieux, en mettant l’accent sur le travail et l’innovation. Aussi, il faut trouver le bon équilibre entre ces investissements et la nécessité de revenir à des finances publiques saines. Toutes ces idées transcendent les clivages traditionnels. 

Du fait de la variété de votre parcours, envisagez-vous de continuer la politique après 2027 ? Quelle forme future souhaitez-vous donner à votre engagement ?

Bien sûr ! Je suis conseillère municipale de Lille, chef d’un groupe de 11 élus du groupe Faire Respirer Lille et à la tête d’un collectif citoyen engagé et actif, avec 20 conseillers de quartier sur le terrain. Avec mes fonctions de conseillère à la Métropole Européenne de Lille, je porte avec ce collectif une vision ambitieuse pour le Grand Lille, de transition économique, écologique et sociale.

Je pilote aussi notre parti Renaissance pour le département. Tout cela m’amène chaque jour non seulement à écouter, à travailler, à concerter, à débattre, mais aussi à agir concrètement.

Depuis que je suis Députée à Lille, mon action prend un champ plus large, et je peux m’inspirer de tout ce que j’ai vu, travaillé, proposé à Lille pour proposer des amendements, des lois, des actions réglementaires qui contribueront, à ma modeste part, à la transformation de notre pays et à la mise en œuvre de la vision réformatrice d’Emmanuel Macron.

Ma priorité est d’être une députée d’action et de terrain pour les 5 années de mon mandat, au service des citoyens et à l’écoute des besoins des habitants de ma circonscription. 

Deuxième partie : regards sur une responsabilité politique

Certains anciens députés déclaraient que la fonction de députée ne peut réellement être exercée qu’à partir d’un deuxième mandat. En tant que primo-députée, pensez-vous que le temps nécessaire à votre familiarisation au fonctionnement de l’Assemblée nationale empiète sur votre marge de manœuvre ?

Mes premiers pas à l’Assemblée nationale ont été riches d’enseignements. Il faut apprendre sur le tas car nous sommes très vite mobilisés sur le travail législatif. Il n’y a pas à proprement parler de formation pour les nouveaux députés. Grâce à mon expérience d’élue locale à Lille, beaucoup d’aspects du fonctionnement de l’Assemblée nationale m’étaient déjà familiers. Bien sûr, certaines choses demeurent obscures, mais je ne m’en fais pas : j’ai échangé avec des parlementaires pour qui le troisième mandat est encore un temps d’apprentissage et de découverte ! J’ai pu déjà en 6 mois déposer des amendements utiles comme celui dans le PLFSS sur la sécurisation des Juniors Entreprises face au taux de cotisations sociales, suite à une demande des écoles lilloises au nom de toutes les écoles françaises. J’ai aussi réussi à faire retenir dans le PLF 2023 un amendement pour sanctuariser des crédits sur l’Education aux Médias, dans le budget de la Culture, destinés aux centres sociaux dans les Quartiers prioritaires de la politique de la Ville, et en territoires ruraux. Cela complète aussi la mission flash que j’ai obtenu sur ce thème, et qui contribuera aux futurs Etats Généraux de l’Information. Dès que l’on prend un sujet on peut agir concrètement !

Vous êtes porte-parole du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale. En quoi cette fonction diffère de celle d’un « simple » député ?

La fonction de porte-parole est une fonction importante dont dépendent l’unité du groupe et la cohérence de ses efforts pour porter les réformes nécessaires et construire les majorités appropriées pour améliorer la vie des Français. C’est un investissement supplémentaire qui nécessite un dialogue constant avec mes collègues et exige un effort de présence médiatique soutenu.

Vous êtes membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, sujets relativement peu médiatisés. Sur ces sujets, des consensus trans-partisans peuvent-ils émerger ? 

J’aborde toujours mon travail à l’Assemblée avec la volonté qu’il aboutisse à des consensus trans-partisans. Au sein de la Commission des Affaires culturelles et de l’Education, de tels consensus peuvent être construits. J’espère que ce sera le cas concernant l’Education aux médias et à l’information, sujet auquel je suis très sensible et sur lequel nous allons œuvrer prochainement. 

Vous êtes rapporteure au sein d’une mission parlementaire sur l’éducation critique aux médias. Sentez-vous que l’école est dépassée par le foisonnement d’informations dont est responsable la révolution d’internet et des réseaux sociaux ?

Nous vivons dans un monde où les médias sont omniprésents. Avant les années 1980, les médias se résumaient aux moyens traditionnels d’information. La révolution numérique a tout changé, pour le meilleur et pour le pire. Le développement des médias de masse, la disponibilité des outils numériques, la présence quotidienne et de plus en plus précoce des enfants et adolescents au sein des univers numériques suscitent des problématiques nouvelles d’importance majeure.  

Je suis alertée par des amis, de la famille, des habitants, qui s’alarment de ces évolutions, et qui surtout, en tant que parents, se sentent impuissants et démunis. Les fractures familiales, générationnelles, et sociales se creusent autour de l’enjeu de l’information, des débats sur les sujets sociétaux comme politiques.

C’est pourquoi, en tant que Parlementaire, engagée sur l’égalité des chances, l’émancipation et la culture, je veux prendre ma part au travail de réflexion en cours au sein des futurs Etats Généraux de l’Information, annoncés par le Président de la République en début d’année. Ensemble, au niveau local, comme national, nous devons agir pour qu’Internet devienne un espace sécurisé dont nos concitoyens puissent faire un usage véritablement éclairé et éthique. Pour protéger nos enfants et nos familles, l’Education critique aux médias joue un rôle incontournable. Je souhaite que nous puissions faire de l’utilisation des outils numériques d’information une véritable pratique citoyenne, développer l’esprit critique, et contribuer à l’éducation civique des citoyens. Elle doit permettre la transmission des bonnes pratiques et sensibiliser aux risques. Loin de porter un regard uniquement pessimiste sur les nouvelles technologies du numérique, elle doit permettre d’en déployer tous les possibles par la mise en capacité et la responsabilisation de tous, et en particulier de nos jeunes.

Récemment nommée co-rapporteure d’une mission parlementaire flash sur « L’Education aux médias », j’ai choisi d’être engagée pleinement dans la poursuite des efforts portés dans ce domaine lors du dernier quinquennat. Déjà, les moyens consacrés à l’EMI avaient été doublés. Nous devons maintenir le cap. De nombreux sujets d’importance majeurs seront soumis à l’étude de la mission parlementaire qui nous est confiée. Le décryptage des infox et la maîtrise de l’orientation dans les différentes sources d’information constituerons une priorité. Ce sera également le cas de la déconstruction des théories complotistes, du développement de l’esprit critique face à la désinformation scientifique et de la lutte contre les contenus haineux. Enfin, nous explorerons des pistes pour renforcer la compréhension du travail journalistique, du fonctionnement des médias et des écosystèmes numériques.

A travers 7 tables rondes thématiques, et un mois de visites de terrain dans le Nord et l’Oise, avec mon co-rapporteur Philippe Ballard nous ferons remonter une dizaine de proposition concrètes pour nourrir le futur grand projet des États Généraux de l’Information.

Troisième partie : regards sur l’actualité politique

Le gouvernement a utilisé l’article 49.3 de la Constitution pour une longue série de textes de loi depuis la reprise des travaux parlementaires en octobre. Craignez-vous que le parlement soit à terme muselé à cause de l’impossibilité de débattre sans obstruction ou passage en force ?

Je ne crois pas que l’utilisation du 49.3 ait vocation à museler le Parlement. Les rapports entre la majorité et le gouvernement sont constructifs et marqués des deux côtés par l’écoute et la volonté d’avancer sur les promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Le recours au 49.3 nous permet au contraire de sortir de l’impasse dans laquelle les oppositions semblent vouloir nous plonger par leur attitude non-constructive revendiquée. La démagogie les pousse à crier au déni de démocratie. C’est le jeu médiatique. C’est grave, car cela alimente la défiance des citoyens à l’égard des institutions, alors que ce dispositif est constitutionnel et participe du bon fonctionnement de notre démocratie. 

En dehors des débats sur le projet de loi de finances, le gouvernement est limité à un seul recours à l’article 49.3 par session parlementaire. Comment votre groupe parviendra-t-il à composer avec les oppositions dans céder à l’immobilisme ? 

Nous disposons d’une majorité relative. Nous savons que pour que le pays soit gouvernable et que notre mandat soit utile au Français nos voix seules ne suffiront pas et qu’il faudra faire des compromis. Dans la configuration actuelle de l’Assemblée, ces compromis sont rendus difficiles du fait de la présence des deux principaux groupes d’opposition à l’extrême droite et à l’extrême gauche. Pourtant, le dialogue semble possible avec Les Républicains, dont l’approche a été plus constructive depuis qu’a commencé le travail législatif. C’est dans cette direction que nous essayerons de construire des majorités pour faire passer les textes nécessaires. 

Quel avenir prédisez-vous à Renaissance à l’issue du second et dernier mandat du Président Macron ? Voyez-vous une personnalité particulière émerger aujourd’hui dans vos rangs pour susciter le même effet fédérateur ?

Nous sommes en début de mandat. Ce serait une erreur de vouloir parler de personne plutôt que d’action et de projet au moment où les français attendent que nous exercions nos mandats. Je suis, derrière notre présidente de groupe parlementaire Aurore Bergé, totalement engagée pour faire avancer le pays, voter les lois qui nourrissent la vision et la promesse d’Emmanuel Macron. Restons concentrés.

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.

Alexandre Biardeau

Alexandre Biardeau

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP, intervieweur et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP, interviewer and regular contributor.