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Illustration de Kim Provent pour KIP.

L’économie de demain | La Silver Economy : une fin de vie à l’avenir prometteur

Cette période singulière mêlant isolement et promiscuité nous rappelle l’importance des liens sociaux, notamment familiaux. Appeler ses grands-parents pour s’enquérir de leur état physique et émotionnel s’est naturellement imposé dans nos vies : le manque crée l’envie. Appels téléphoniques, SMS, ou encore conversations vidéo avec nos aïeux se sont multipliés et, par là-même, l’utilisation de ces outils par les seniors est apparue indispensable. 

Le confinement est en définitive une source d’inspiration intarissable pour introduire ce type d’articles. La perche étant tendue, je la saisis volontiers. Ce contexte exceptionnel nous invite à nous intéresser de plus près à ce marché non négligeable et croissant qui caractérise les pays occidentaux et un nombre croissant de pays émergents : les seniors.

Des débuts soutenus par les pouvoirs publics, en réponse à des enjeux socio-économiques

La Silver Economy désigne le secteur économique dédié aux plus de 60 ans. Les États-Unis, et le vieil État nippon, ont été les premiers à se tourner un peu plus vers nos aînés, suivis par d’autres pays tels que la France et sa Silver Valley1La Silver Valley est un réseau de 300 acteurs français de la Silver Economy (2013). Le facteur démographique est déterminant dans cette évolution : par exemple, on estime que près d’un tiers de la population française aura plus de 60 ans en 20302Données de l’INSEE. Les pouvoirs publics commencent à réaliser cet enjeu. La Commission européenne a ainsi organisé le Sommet sur le vieillissement actif et sain en mars 2015. En France, la loi ASV (adaptation de la société au vieillissement) a été adoptée en décembre 2015 avant d’être complétée notamment en 2018 par le plan « Ma santé 2022 ». Ces initiatives encouragent l’anticipation, l’adaptation et l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie via une gouvernance globale et locale. Elles se traduisent également par des aides au financement de certains services tels que les services à la personne, et par des avantages fiscaux3L’hébergement en EHPAD permet de bénéficier de déductions fiscales à raison de 25% de l’impôt sur le revenu. . Les EPHAD sont aussi, dans une certaine mesure, accompagnés au niveau local par l’intermédiaire des collectivités territoriales. La Silver Economy est d’autant plus importante pour l’économie qu’elle permettrait de créer plus de 300 000 emplois d’ici 2030 en France, pour un chiffre d’affaires4Selon le magazine Techic’Baie (n°68, février 2016) de 130 milliards d’euros d’ici la fin de l’année 2020 à échelle mondiale5D’après une étude de marché réalisée par Les Echos (Décembre 2019).. Cependant, l’impulsion des autorités demeure relativement inégale et incohérente selon le domaine et le niveau de dépendance concerné.

Si les pouvoirs publics s’intéressent au potentiel de ce marché vital, certaines sociétés en saisissent les opportunités là où d’autres se montrent parfois réticentes.

Un marché à conquérir, au potentiel parfois sous-estimé

Les acteurs économiques profitent de l’apparition de ce nouveau marché. La Silver Valley cherche à dynamiser le secteur par la création d’événements, la mutualisation des moyens, et la création d’une pépinière d’entreprises. Le modèle s’est exporté au Canada sous le nom de « Sage Innovation ». De nombreux hackathons sont proposés pour réfléchir à des solutions efficaces et durables au service des personnes âgées. La tâche est d’autant plus ambitieuse que la Silver Economy est un marché transversal, comme le souligne la firme Américaine Ageing 2.0 qui appelle à investir dans ce secteur : la Silver Valley regroupe par exemple à elle seule Le Groupe La Poste, la SNCF ou encore Microsoft. D’autres activités telles que le conseil en stratégie ont également vu le jour avec, par exemple, le cabinet parisien Seniosphère. De là, une logique de réseau se met peu à peu en place dans les stratégies des firmes. Ce réseau repose sur une coopération complète du domaine de la recherche, des grands groupes et des usagers. C’est en particulier le cas de la branche domotique6La domotique désigne l’ensemble des technologies améliorant la qualité de vie au domicile. Elle est fondée sur l’automatisation des tâches de la vie quotidienne. qui implique la recherche scientifique et technologique, les firmes, mais aussi les promoteurs et le retour d’expérience des clients placés au cœur du processus. Le dialogue est en effet indispensable selon l’ergonome Sarah Couillot, chef du projet Habitat Sénior7Entretien avec Techic’Baie (n°68, février 2016). afin de déterminer les solutions les plus efficaces, utiles en pratique et assurant bien sûr un certain retour sur investissement. Le développement de ce type de solution nécessite également un certain accompagnement. À ce titre sont proposées des formations spécialisées pour aider les usagers à identifier leur niveau de dépendance et en déduire les produits les plus adaptés à leurs besoins. Showrooms et salons se multiplient dans cette même dynamique. En 2010, la mutuelle AG2R La Mondiale a ainsi conçu l’« Espace idées bien chez moi » à Paris : un lieu de sensibilisation et d’information ouvert à tous, procurant des conseils innovants pour adapter son logement selon son âge ou son état de santé. 

À l’opposé du spectre, on trouve de nombreux réfractaires. La Silver Economy est en effet un marché complexe. Tout d’abord, les seniors ne constituent pas un groupe homogène strictement délimité. Il existe des sous-groupes correspondant à des réalités socio-économiques et culturelles difficiles à identifier et donc à cibler. A fortiori, les comportements des consommateurs évoluent en conséquence, notamment en termes de hiérarchisation des postes de dépenses. Enfin, la question des ressources est fondamentale. Qui finance le service ? L’aidant ?  L’usager lui-même, alors que la pension moyenne s’élève à 800 € en France ? Pour parler crûment : à quoi bon investir dans un marché littéralement « en fin de vie » et qui, de ce fait, ne présente aucun intérêt à être fidélisé ? Il est nécessaire de déterminer un business model viable dans ce secteur où l’éthique et l’humain occupent une place centrale. Le marketing se doit en particulier d’être suffisamment subtil pour éviter tout sentiment d’exclusion : cibler, sans marginaliser. Telles sont les questions cornéliennes auxquelles sont confrontées les firmes lorsqu’elles jouent sur le dangereux terrain de la santé et du maintien en vie, pour ne pas dire, de la fin de vie.

L’impulsion des nouvelles technologies

Les nouvelles technologies, telle que la domotique, ouvrent de grandes perspectives sur le marché. En Europe, ce pôle d’activité pèserait près de 75 millions d’euros en 20198Cf. note numéro 5. Des études ont révélé que près de la moitié des propriétaires français seraient intéressés par des solutions domotiques pour leurs « vieux jours », alors que 6 % des logements du parc français y sont réellement adaptés. La réseau Lapeyre l’a compris en lançant en 2015 la chaîne VitaConfort dont elle souhaite étendre le réseau. Ces enseignes sont spécialisées dans l’accessibilité pour tous.

Le digital en est encore à ses débuts dans le milieu des EPHAD avec des systèmes comme MedByColisée, alors qu’il connaît un essor important dans l’accompagnement à domicile. Dans ce cadre, des solutions de télémédecine sont envisagées pour repenser l’offre de soins et diversifier l’offre des établissements d’accueil, mais elles touchent aussi à la prise en charge des tâches de la vie quotidienne, la prévention des chutes, les systèmes d’alerte et de téléassistance ou encore la stimulation cognitive à l’aide de jeux interactifs et visites virtuelles. En France, les services d’aides aux personnes en perte d’autonomie représentent 60 % du total de l’aide à domicile. Mais c’est aussi la lutte contre l’isolement par le maintien du lien social alors que 27 % des Français de plus de 60 ans vivent isolés en 2018. À titre d’exemple on retrouve la box NoviaCare de Pharmagest qui propose une sécurisation personnalisable du domicile, un suivi de la perte d’autonomie, et un ensemble d’objets connectés pour rester en communication avec ses proches. Les EPHAD se lancent même dans la création de leur propres réseaux sociaux comme FamilyVi chez DomusVi ou la chaîne Youtube de Génération Mutualiste. La « gérontech » connaît un succès croissant auprès des principaux concernés. Elle permet aussi de faciliter les démarches administratives via des logiciels « métiers »9Aussi appelé progiciel, il s’agit d’un logiciel généraliste servant un métier ou une entreprise.. Elle s’étend de plus en plus au champ de la formation des auxiliaires de vie (grâce à des MOOCS) et de leurs conditions de travail (réseau Alenvi). Le personnel peut organiser son emploi du temps plus librement via le ChatBot Pigi et ainsi dédier davantage de temps à chacun des usagers ; une approche plus humaine. Dans un autre domaine, après des essais prometteurs réalisés en 2018, certains EPHAD français s’équipent de Carebots (dans le domaine de la robot-thérapie, née au Japon), tels que le phoque Paro ou l’humanoïde Nao. Ces outils, soutenus par les pouvoirs publics, bénéficient directement aux usagers en stimulant leurs émotions, en favorisant des approches interactives, et constituent un soutien non négligeable pour les employés des EPHAD. 

Les groupes de la Silver Valley saisissent, eux aussi, l’opportunité offerte par le digital, à l’instar de La Poste avec le lancement de sa tablette numérique simplifiée Ardoiz en 2015, classée en première position dans la plupart de tests comparatifs des tablettes séniors, tels que ceux de 60 millions de consommateurs.

L’avenir appartient maintenant à l’intelligence artificielle et notamment au machine learning, qui attire la majorité des investissements du secteur. Leur principale application se trouve dans la prévention de la perte d’autonomie. C’est ce que se propose de faire le système LifePlus avec son ensemble de montres et de capteurs connectés, complétés par des algorithmes pour traiter les paramètres sur l’état de santé des usagers.

La Silver Economy a donc un avenir. Parier sur la fin de vie est un défi économique et stratégique risqué. Mais le pari s’avère paradoxalement intéressant sur le long-terme, en particulier lorsque les outils digitaux y font leur entrée en grande pompe.

Espérons dans tous les cas que les géants de la Silver Economy ne transformeront pas nos aïeux en consommateurs abrutis par un excès de technologies. Mais la génération Y, née par définition avec un téléphone dans le berceau, est-elle vraiment la mieux placée pour en juger ?

Charlotte Joyeux

Charlotte Joyeux

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Membre de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Member of KIP and regular contributor.