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Illustration par Kim Provent pour KIP.

La SNCF : un fleuron français à bout de souffle ?

Septembre 2020 – Au sein du monde du capitalisme français, une entreprise se tient à part. Elle accompagne les Français en vacances et au travail ; elle les exaspère avec ses grèves et retards à n’en pas finir ; elle les charme avec son logo connu de tous et sa sonorisation familière dans toutes les gares. Cette entreprise, c’est la SNCF. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle faire partie de l’imaginaire collectif des Français.

Comment s’en étonner ? La France, plus que tout autre pays occidental, est le pays du train. La SNCF gère chaque jour plus d’un milliard de passagers, ce qui fait du réseau ferroviaire français le sixième le plus dense au monde – derrière la Chine, le Japon et l’Inde.

Le succès du train en France est précisément dû à la SNCF. Et pour comprendre comment cette entreprise publique est devenue une telle icône de la société française, il faut revenir en arrière.

Logo de la SNCF en 2020.

L’implantation de la SNCF dans le paysage français

La SNCF est créée en 1937 pour fédérer les compagnies privées de chemins de fer de l’époque : on l’appelle alors la Société nationale des chemins de fer français. Très vite, avant même le début de la guerre, elle devient l’entreprise nationale du ferroviaire.

Logos de la SNCF depuis 1937

Dans l’après-guerre, elle devient un pilier de la reconstruction en accélérant cohésion territoriale et péréquation tarifaire1Principe essentiel du service public, la péréquation tarifaire signifie que les usagers ont le droit à une même qualité de services, quelle que soit leur localisation sur le territoire français. Ceci implique que EDF perd de l’argent en acheminant de l’électricité en montagne quand il en gagne dans le centre-ville de Paris. En favorisant la mobilité intérieure, la SNCF facilite l’uniformisation des services publics sur tout le territoire national.. C’est pendant les Trente Glorieuses qu’elle devient véritablement une entreprise à part. À l’époque, la France compte en effet des milliers d’entreprises publiques, nationalisées 1945, rattachées à ce qu’on appelle « l’État stratège ». Pour autant, il n’y a que quelques entreprises parmi celles-ci à avoir acquis le statut de service public.

Le terme de service public n’est pas nouveau, il naît dans les premières années de la Troisième République. À l’origine, les services publics n’étaient qu’un concept juridique désignant des organisations ayant trait à des activités d’intérêt général, comme l’École ou la Poste. Au fil des décennies et des fluctuations de la jurisprudence, ils deviennent également le principe selon lequel il existerait certaines missions d’intérêt général, universelles, dans le temps et dans l’espace, applicables à tous. Pendant les Trente Glorieuses, ce sont ces principes de service public qui guideront les directives de la SNCF, mais aussi La Poste, EDF et tant d’autres… Le service public rentre alors dans la conscience collective des Français, et la SNCF en devient le porte-étendard.

Pendant des décennies, la SNCF va donc privilégier la mobilité intérieure et la péréquation tarifaire à tout prix, donnant une véritable consistance au tissu industriel français et à la démocratisation du transport. La SNCF apparaît également comme un vecteur de méritocratie et d’ascenseur social : des fils d’agriculteurs deviennent cheminots – au statut favorable ; elle forme ses propres ingénieurs et architectes ; elle fait monter les siens dans ses propres rangs.

Centre National des Archives Historiques SNCF du Mans, Archives de la SNCF

L’image que renvoie la SNCF est alors celle d’une véritable « maison », à la pointe de la technologie et au plus près des préoccupations des Français. Le verdict est sans appel : la société française tient à elle.

Le temps des tempêtes

L’état de grâce ne va pas durer. À l’image de la France, la SNCF subit les mutations des années 1970 et 1980 de plein fouet2Chute de la croissance, envolée de l’endettement, mondialisation, l’approfondissement du marché unique…. Et comme la France, elle tarde à se réformer.

Les grèves des années 1990, notamment le mouvement social de 1995 qui arrive à faire reculer le gouvernement Juppé, minent sa réputation. Le cheminot en grève – à qui on veut enlever son statut particulier – est désormais associé à l’image, bastion de la CGT et du conflit social. Dernier exemple en date, la réforme des retraites débattue en 2019 provoque des grèves monstres qui paralysent les vacances scolaires à l’automne. La SNCF aurait perdu jusqu’à 600 millions d’euros3Pourquoi la SNCF est-elle particulièrement visée ? Une simple raison : les syndicats, qui recherchent avant tout un pouvoir de nuisance pour peser dans le rapport de forces, savent que les transports notamment en période de vacances sont un sujet politique très sensible..

Le projet de réforme du système des retraites (déjà lui !) a mobilisé jusqu’à 1 millions de personnes en 1995

Les grèves ne sont cependant qu’une partie du problème. Entre temps, l’endettement de la SNCF s’est en effet aggravé : d’une dette d’une poignée de millions de francs en 1980, on passe à un endettement record de 55 milliards d’euros en 2020, soit 2% du PIB français. La cause ? Les investissements dans les lignes à grandes vitesses (LGV) que les régions réclament de vive voix, mais aussi le maintien des lignes régionales non rentables. Car si la SNCF fait face à un paradoxe, c’est bien celui-là : d’une part elle offre un service public, et devrait proposer une mobilité sur tout le territoire au nom de la cohésion nationale ; d’autre part, sa dette augmente, l’État la pousse à privilégier la rentabilité économique, la pression des marchés n’en finit pas de l’assommer. C’est ainsi que depuis quelques années, portée par le poids de sa dette et de l’idéologie libérale de son environnement politique et institutionnel, la SNCF a sacrifié sur l’autel de la rentabilité petites lignes et réseaux non rentables4La fermeture des lignes régionales commence en réalité assez tôt, avec une première vague dès 1969 ; fermetures concomitantes avec la contractualisation des rapports Etats – SNCF, preuve encore une fois que les grandes décisions stratégiques de la SNCF sont largement influencées par l’Etat .

La rentabilité made in SNCF

La dernière difficulté, et pas des moindres, vient du fret de marchandises. On aurait tort de penser que le ferroviaire ne s’occupe que du transport de passagers. Le transport des marchandises, concurrent des camions lourds et des navires marchands, fait souvent taille égale. Le fret représentait 40% du transport de marchandises en Europe au début des années 1960… En 1990, la part tombe à 15%. Face au transport par la mer, où les coûts ont chuté (standardisation des cargos et containers), la SNCF ne fait pas le poids. Résultat, les déficits s’enchaînent – en 2020, la SNCF a enchaîné 23 années de déficits sur ce secteur.

Pour la Commission européenne, la chute du fret a une cause : les monopoles publics. Pendant des décennies, seules les entreprises nationales contrôlaient fret de marchandises, exploitation des chemins de fer et transport de voyageur. Pour les années 1990 très libérales, l’absence de concurrence explique les prix élevés du secteur, le taux élevé de gaspillage des ressources et les retards technologiques accumulés… L’Europe pousse donc pour la libéralisation du secteur, qui se termine par des directives européennes très précises : les États, auxquels il est déjà interdit de favoriser telle ou telle entreprise, doivent progressivement démanteler leurs monopoles du ferroviaire5Mais aussi réduire leur endettement dès 1999., notamment sur le fret et le transport de passagers. Vu ces circonstances, la SNCF est coupée en trois : SNCF Mobilités, qui gère le transport de voyageurs, secteur ouvert progressivement à la concurrence entre 2019 et 2020 ; SNCF Fret, qui gère le transport de marchandises, lui aussi ouvert à la concurrence en 2020 ; SNCF Réseaux, exploitant des réseaux ferroviaires, fermé à la concurrence. Moyen de relancer la locomotive ? 

Un potentiel avant tout inexploité

On aurait cependant tort d’imaginer une SNCF boiteuse sans avenir. À bien des regards, elle résume la France : confrontée à des difficultés et obstacles, mais forte de potentialités inexploitées que l’avenir attend de concrétiser.

Car la SNCF est avant tout une société tentaculaire à la pointe de la technologie. Déjà en 1960 les publicités SNCF montraient un train futuriste ; ce fut à l’origine un projet de la SNCF qui donna naissance aux TGV dans les années 1970 ; enfin, on dit que les trains à hydrogènes seraient prêts pour 2035. C’est aussi à bord d’un TGV que le premier transfert de patients en état critique par voie ferroviaire s’est fait en Europe. Plus que toute autre entreprise française et même européenne, la SNCF semble avoir embrassé dès sa naissance un impératif d’adaptation et de perfectionnement.

Ce perfectionnement, on le voit aussi alors que l’entreprise publique est aux prises avec une gouvernance de plus en plus privée… Pour des raisons techniques et financières, la SNCF est devenue le 1er Janvier 2020 une société anonyme6En fait, l’État a accepté d’effacer la dette de la SNCF, mais en échange a exigé d’elle sa transformation en SA, faisant augmenter ses taux d’intérêts.. Contrairement à ce qui se passe en Angleterre, cette privatisation partielle n’a pas abouti à une dégradation du service proposé. Au contraire, la SNCF semble avoir prolongé sa mission de service public par « l’expérience client » qu’elle estime parfaitement bien gérer. Il est vrai que le confort en train, les diverses applications SNCF, et les signalisations en gare témoignent d’un effort massif pour un service qualitatif. Le seul point noir restant le prix des billets. 

Enfin, alors que le train a le vent en poupe, faut-il rappeler qu’il est aussi le moyen de transport le plus écologique ? Pas de kérosène ou d’essence comme pour l’avion ou la voiture, le train pollue très peu. À tel point que la SNCF envisage la neutralité carbone de ses activités pour 20357Le train est aussi un moyen de transport sûr. Ceci est contre-intuitif, considérant ce que disait jadis le grand physicien Dionysius Lardner : “Le voyage en chemin de fer à grande vitesse n’est pas possible car les passagers incapables de respirer mourraient par asphyxie.” (1830)

Conclusion

Les années 2019 et 2020 furent particulières pour la SNCF. Grèves liées à la réforme des retraites, crise des Gilets Jaunes, coronavirus, la SNCF a souffert moins que prévu à l’été 2020. Mais alors que la concurrence s’est ouverte sur le fret en début d’année, et sur les TGV en décembre 2020, la SNCF sera-t-elle prête à défendre son périmètre historique ? Aura-t-elle-même l’audace suffisante pour aller défier ses concurrents dans leur pré-carré national ?

Une chose est sûre, le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a du pain sur la planche. 

Alors que les dossiers chauds se multiplient à la SNCF, Diego Davo a interviewé début septembre le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou. Cette interview pour KIP a été réalisée dans le cadre d’une collaboration avec HEC Stories et conjointement avec Margaux Boulte et Victor Hondré.  

⇒ L’interview est à lire ici ⇐

https://hecstories.fr/fr/jean-pierre-farandou-sncf-relance-sur-les-rails/ 

Diego Davo

Diego Davo

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Secrétaire Général de KIP (2020-2021).

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Secretary General of KIP (2020-2021).

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