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La PMA pour toutes : avancée majeure ou dérive technique ?

Examinée à l’Assemblée Nationale depuis le 24 septembre , le projet de loi bioéthique suscite de nombreuses réactions parmi les acteurs politiques, médiatiques, scientifiques et religieux mais également au sein de la société civile.

Une opposition divisée

Lorsque le gouvernement s’est attelé au chantier redouté de la loi bioéthique, il pouvait craindre de revivre l’année 2013, d’être la cible de manifestations d’envergures telles que celles qui avaient émanées à la suite du mariage pour tous. Il n’en est surprenamment rien. Attention, n’y voyons pas naïvement ce qui pourrait être une évolution subite et radicale des mentalités. La  raison est ailleurs. Contrairement au mariage pour tous, l’opposition est divisée, aussi bien sur la forme que sur le fond.

Sur la forme d’abord, force est de constater que « ça ne prend pas ». D’un côté, les associations « historiques », telles que La Manif Pour Tous et les Associations Familiales Catholiques, peinent à se mobiliser, désertées par des troupes résignées par un match qui semble perdu d’avance. La manifestation du 6 octobre 2019 aurait rassemblé 74 500[1] personnes d’après un organisme privé (42 000[2] selon la police et 600 000[3] selon les organisateurs, même la CGT n’aurait pas osé) là où le Mariage pour Tous avait mobilisé 340 000[4] personnes selon la police le 13 janvier 2013 (1 000 000[5] selon les organisateurs). D’un autre côté, les partis politiques ont pour la plupart pris conscience de l’impopularité de leurs positions et fuient désormais toutes formes de caricatures. Leur défi est double : trouver leur place dans l’opposition à la PMA tout en construisant un discours audible et argumenté, sans tomber dans la caricature. Toutefois, tous les partis n’ont pas abandonné l’idéologie qui les caractérise.

Sur le fond, ensuite, des divergences surgissent également. L’idéologie conservatrice qui s’oppose de fait à tout bouleversement du schéma de la « famille traditionnelle » est toujours présente. La Manif Pour Tous tente de battre le pavé pour dénoncer la « PMA sans père » et concentre son argumentaire sur l’absence de figure paternelle à la naissance de l’enfant. Dans un récent appel publié dans Valeurs Actuelles , 78 élus, dont Agnès Thill, Jean-Frédéric Poisson, Julien Aubert et Guillaume Larrivé, dénoncent une « déviance qui nous perd dans une surpuissance humaine »[6], la « marchandisation du corps »[7] et la « dignité humaine bafouée »[8]. Cependant, une opposition plus mesurée a également émergé, se faisant le porte-parole de critiques plus légitimes.

Des critiques légitimes…

Repousser les limites de la nature par la technique, l’humanité s’en préoccupe depuis qu’elle en est capable. Elle se pose les interrogations légitimes suivantes : jusqu’où peut-elle aller quelles sont les limites ? Qu’est-ce qui peut être justifié par le progrès ? Que dit l’éthique ? L’accès à de nouvelles possibilités n’ouvre-t-il pas la voie à de possibles dérives ?

En ce qui concerne la PMA, les arguments en sa faveur peuvent également s’appliquer à l’ouverture de la GPA. Une ouverture de la première pourrait mener dans un futur proche à un débat sur la seconde, beaucoup plus discutable discutée d’un point de vue éthique. José Bové, ex-eurodéputé Vert, s’inquiète de l’ouverture de la « boîte de pandore de l’eugénisme et du transhumanisme »[9]. L’utilisation de la technique dans la création de la vie ouvre la porte à toutes sortes de possibles manipulations. Le choix du second géniteur n’étant plus le fruit du hasard, d’une rencontre, l’avènement d’un eugénisme médical est inévitable : choisir qui peut donner ou non ses gamètes – en fonction de sa santé, de ses antécédents génétiques – créé de fait une inégalité entre les enfants « naturels » et ceux issus d’une PMA. Comment prévenir un eugénisme plus généralisé dans le futur ? Où et comment imposer des limites ? Pour la philosophe Chantal Delsol, « le supposé progrès est comme une roue crantée qui jamais ne retourne en arrière »[10]. De fait, la PMA pour toutes ouvrirait la GPA, au nom de l’égalité, et la GPA pourrait, au nom de la liberté de choix, conduire à une société eugénique. En effets, si les parents d’enfants nés suite à une PMA ont le droit d’avoir des enfants parfaits, ayant une chance supplémentaire de ne pas être malade, au nom de quoi pourrions-nous refuser ce droit aux autres parents ? Comment éviter l’apparition de la société dépeinte dans le film Bienvenue à Gattaca, où les enfants naturels seraient les « handicapés » de demain ?

Ces critiques sont légitimes et ceux qui les portent se font trop souvent, à tort, traiter d’ennemis de l’amour et du bonheur, d’homophobes alors qu’il s’agit bien de questions qui méritent d’être posées et traitées. Cependant, ces peurs légitimes, si elles sont correctement écoutées et prises en compte, ne s’opposent pas nécessairement à l’extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes.

… qui ne s’opposent pas à l’extension de la PMA

Les législateurs ont conscience de ces potentielles dérives, cela ne veut pas dire qu’ils sont incapables d’y apporter une réponse cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas les prendre en compte. Par exemple, la majorité s’est clairement opposée à une ouverture de la GPA. Cette opposition s’est d’ailleurs traduite le 9 octobre dernier par le vote de l’Assemblée contre l’amendement permettant la reconnaissance de la filiation d’enfants conçu par GPA à l’étranger. De plus, la création d’une inégalité médicale entre enfants naturels et enfants issus d’une PMA est-elle réellement une inégalité ? Les premiers ne perdent rien et les seconds permettent à des milliers de femmes seules et de couples lesbiens de fonder une famille dans la sérénité d’un cadre légal. De plus, les craintes suscitées ne sont pas comme celles du passé ? Des inquiétudes destinées à être erronées ? Par exemple, pour Jean-Louis Debré, ancien Président du Conseil Constitutionnel, « les arguments contre la PMA sont exactement les mêmes que ceux qui ont été lancés contre le divorce, la reconnaissance des enfants adultérins et contre l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ? […] On nous dit : Vous brisez la famille »[11]. La famille et la société n’ont aucunement souffert de tous ces récents progrès : ne devrions-nous pas retenir la leçon que celles-ci sont bien plus solides que nos peurs ne nous le laissent croire ? L’avenir le dira.

Sources et renvois

[1] Frédéric MOUCHON et Alexandre SULZER, « Manifestations anti-PMA : 74 500 personnes ont défilé à Paris », Le Parisien, 6 octobre 2019.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Agnès LECLAIR, « Mobilisation historique contre le mariage pour tous », Le Figaro, 13 janvier 2013.

[5] Ibid.

[6] Tweet d’Agnès THILL, 4 octobre 2019.

[7]  « L’appel de 78 élus : la PMA sans père, un progrès inhumain », Valeurs actuelles, 4 octobre 2019.

[8] Ibid.

[9]

Paul PICCARRETA, « José Bové : la PMA, c’est la boîte de Pandore : eugénisme et homme augmenté », Revue limite, 29 mai 2017.

[10] Chantal DELSOL, « PMA, le “progrès” comme fatalité », Le Figaro, 1er août 2019.

[11] Guillaume PERRODEAU, « Jean-Louis Debré, en faveur de la PMA : la famille du XXIe siècle n’est plus celle du XXe », Europe 1, 12 octobre 2018.

Thomas Gentilhomme

Thomas Gentilhomme

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Member of KIP and regular contributor.