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La philanthropie : altruisme ou opportunisme ?

En 1905, conformément aux dernières volontés d’Adolphe de Rothschild, fut inauguré le premier hôpital parisien totalement gratuit et ouvert à tous, sans distinction religieuse ou politique. Spécialisé dans toutes les pathologies de la tête et du cou, cet hôpital, rebaptisé « Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild », qui permet à tous d’accéder à des soins de grande qualité, est entièrement financé par les dons de grands mécènes. La philanthropie est donc une manière de faire la charité, d’aider les plus pauvres et de tenter de leur garantir une vie meilleure. Cependant, là où beaucoup ne soulignent que les bienfaits des actions des philanthropes, il ne faut pas oublier que les hommes n’agissent que très rarement par pur désintéressement. Il est clair que chacun fait ce qu’il souhaite avec son argent, mais il faut arrêter de se cacher derrière de faux motifs altruistes.

Les philanthropes font-ils du “social washing” ?

Selon la définition de « l’Association des professionnels en philanthropie », la philanthropie est “l’accomplissement d’actes désintéressés pour le bien d’autrui qui inspire une tradition de don et de partage essentielle à la qualité de la vie”. Le terme au centre de cette définition est bien évidemment celui de « désintéressement ». Au premier abord, il est tout à fait possible de penser qu’un grand donateur comme Bill Gates n’a aucun intérêt à donner des milliards de dollars pour aider des enfants vivant à l’autre bout du monde. De manière tout à fait terre-à-terre, cette décision n’a d’autre incidence sur sa vie que celle de lui permettre de s’acheter une bonne conscience. Mais s’il faut donner des millions pour arriver jusqu’aux portes du Paradis, nombreux sont ceux qui iront brûler dans les flammes de l’Enfer.

Il semble donc tout à fait légitime de se demander si ceux que l’on qualifie de « philanthropes » sont réellement de grands altruistes. Le premier point intéressant à soulever est que les donateurs paraissent systématiquement vouloir concentrer leurs aides dans des secteurs où les améliorations sont mesurables. Par exemple, l’argent de la Fondation Bill et Melinda Gates se concentre sur la lutte contre des maladies comme la poliomyélite ou la rougeole. Avant la grande campagne de vaccination menée par la Fondation, la rougeole tuait 2 millions d’enfants dans le monde par an, ce chiffre est ensuite tombé à 200.000. Ce résultat est incontestablement impressionnant, mais il est surtout très facilement mesurable. Le milliardaire donateur jouit de ce fait d’un prestige immense, et  s’affiche alors comme le grand vainqueur de la maladie.

Ce qui est critiquable n’est pas le prestige qu’il en retire, mais bien le « social washing » qui en découle. Afficher publiquement les bonnes actions que l’on effectue et obtenir des résultats parfaitement mesurables est un moyen simple de faire de la publicité pour le milliardaire et d’améliorer l’image de marque de son entreprise. C’est un phénomène que l’on aperçoit de plus en plus aujourd’hui. De nombreuses entreprises se créent des objectifs sociaux afin d’attirer de nouveaux clients et de toucher un nouveau public potentiel. Par exemple, les chaînes de grande distribution proposent souvent à leurs clients d’arrondir à l’euro supérieur le montant qu’ils ont à régler, afin de reverser les bénéfices à des associations. 

Il est donc évident que les philanthropes font preuve d’opportunisme : ils cherchent à faire une bonne action en même temps qu’une bonne affaire.

Lorsqu’aider les plus pauvres permet de faire des économies…

Cette volonté de faire une bonne affaire se poursuit lorsque l’on apprend que les particuliers et les entreprises faisant des dons bénéficient de réductions d’impôts. Cette défiscalisation remet clairement en cause la beauté altruiste du geste de donation. Aux Etats-Unis, en 2016, les Américains ont donné un total de 400 milliards de dollars et ont ainsi bénéficié de 50 milliards d’exemptions fiscales.

Les réductions d’impôts sont donc un moyen trouvé par l’Etat pour encourager les dons. En effet, la philanthropie a un poids non-négligeable dans l’assistance aux populations, et agit dans des domaines similaires à ceux d’action de l’Etat (éducation, culture, santé…). C’est donc totalement à son avantage de pousser les particuliers et les entreprises à donner de l’argent. Cependant, la philanthropie est définie comme un acte désintéressé. Comment un acte peut-il être dénué de tout opportunisme lorsqu’il est motivé par un intérêt fiscal ? La réponse est simple, c’est impossible.

Charité ou paternalisme ?

En plus de pratiquer une philanthropie peu altruiste, cette dernière peut également être mal perçue par les populations ou peut s’avérer peu efficace. Tout d’abord, nombreuses sont les personnes qui n’apprécient pas de recevoir les miettes de pain tombant de la table des riches. Ensuite, lorsque ces donations se font dans des pays étrangers sans même passer par le cadre étatique, cette présence étrangère peut facilement être considérée comme « néocolonialiste ». 

Cette impression est encore renforcée quand des philanthropes mettent en place dans certains pays des dispositifs mal adaptés à la situation locale, et finissent par aggraver une situation qu’ils pensaient venir régler.  Ainsi, la philanthropie dans des pays d’Afrique en particulier se manifeste via un paternalisme excessif, reposant sur les connaissances techniques des Occidentaux et oubliant totalement de s’adapter au milieu dans lequel évoluent les populations qu’ils souhaitent aider. Par exemple, le « Millenium Villages Project » avait pour but de montrer qu’il était possible de réduire l’extrême pauvreté en Afrique rurale en utilisant les technologies. De nouvelles techniques agricoles avaient alors été implantées dans un village ougandais. Les rendements avaient considérablement augmenté, mais la production n’avait aucun débouché et avait fini par pourrir. Un ressentiment à l’égard des Occidentaux paternalistes s’instaura alors dans ce village, et se généralisa rapidement dans plusieurs pays. La philanthropie n’est pas quelque chose de mauvais en soi, son but est même tout à fait louable, mais elle doit être mise en place en respectant les populations locales et en s’adaptant à leur mode de vie.

L’attitude paradoxale des philanthropes

Nombreuses sont les entreprises qui donnent de l’argent pour faire pousser des arbres ou pour financer des projets ayant pour but de limiter au maximum le changement climatique. Nombreux sont également les philanthropes et chefs d’entreprise qui disposent d’un jet privé et qui en usent à tout va. Quel est l’intérêt de donner des millions pour protéger l’environnement lorsque son empreinte carbone fait partie des plus élevées au monde ? Ce paradoxe dans l’attitude de nombreux mécènes fait douter de la sincérité de leur discours. Une personne réellement impliquée dans la lutte contre le changement climatique tentera en premier lieu de réduire son propre impact avant de critiquer celui des autres.

Il semble alors que certains philanthropes soient davantage motivés à s’investir au service de certaines causes du fait d’un effet de mode, ou de la volonté d’améliorer leur image personnelle ou celle de leur entreprise, que du fait d’un réel désir d’améliorer une situation critique. 

Il ne s’agit pas de dire si la philanthropie est un acte de bienfaisance ; cette question n’aurait aucun intérêt. Il s’agit seulement de nuancer la vision du milliardaire généreux et altruiste et de montrer qu’elle a ses limites. Aujourd’hui, il semble plus juste de parler de « philanthrocapitalisme » plutôt que de philanthropie, c’est-à-dire que la philanthropie s’est adaptée à notre manière de fonctionner : faire toujours plus de profit et être toujours plus attractif et compétitif.

Illustré par Pauline Haritinian

Diane Lapacherie

Diane Lapacherie

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-présidente de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and regular contributor.
Member of KIP and regular contributor.