KIP

La droite doit encore gagner la bataille des cœurs

C’était en 1974, la France n’était alors jamais passée aussi près d’élire son premier président socialiste. Il s’en était fallu de peu : 450 000 voix de plus et François Mitterrand, grand vainqueur du premier tour et favori des sondages, posait ses valises au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré. « Mais, monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole du cœur. » Dix mots auraient suffi, selon ses propres termes, à faire pencher la balance en faveur de Valéry Giscard d’Estaing, finalement élu à la à l’Elysée. Giscard avait compris ce qui allait être l’une des clés du clivage politique français pour les décennies suivantes : la bataille des cœurs.

La conquête du pouvoir : une affaire d’idées et de morale

La politique n’est évidemment pas qu’une affaire d’idées ni de raison, et ce n’est pas nouveau. La théorie du choix rationnel est battue en brèche par la question de l’homme politique, qui confine à l’irrationnel. Elle n’est pas que l’objet de débats doctrinaux entre écoles de pensées, dont souvent la complexité la rend hermétique à la fois au commun des mortels et à sa propre application. La politique, c’est conquérir le pouvoir pour défendre ce qu’on aime, une histoire, une image, une idée. Or les idées de droite, au premier rang desquelles la liberté, la méritocratie ou les valeurs traditionnelles, ne sont plus en majesté dans l’intelligentsia, mais plus encore depuis l’après-guerre. Les penseurs de droite sont effacés au profit des Foucault, Bourdieu, ou Sartre, plutôt qu’Aron.  

Si l’exercice du pouvoir oscille de droite à gauche comme le montre la non-reconduction de chacune des majorités parlementaires sous la Ve République, à l’exception de 2007 et de l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, on peut aisément penser que les politiques menées suivent toujours la même trame, et que l’alternance n’est plus que de façade. Comme le disait Philippe Seguin, ex-Président du RPR et de l’Assemblée Nationale, « la gauche et la droite, aujourd’hui, c’est devenu deux boutiquiers qui se fournissent chez le même grossiste : l’Europe. ». Résultat : le peuple de gauche est déçu de l’assujettissement au dogme néolibéral et à l’austérité budgétaire ; celui de droite déplore le primat de la « bien-pensance » dans la conduite des politiques publiques et dans les médias.

Tout le monde est aujourd’hui déçu des politiques menées pendant les dernières décennies. En premier lieu les candidats – de droite comme de gauche – héritiers de ces mêmes politiques, les dénoncent crûment. Pourtant, elles sont paradoxalement acceptées par la majorité de la population, et plébiscitées par la classe médiatique. L’uniformisation des idées a mis en lumière un consensus moral, une pensée unique bien-pensante qui voue aux gémonies toute pensée discordante. Pour citer Marc Bonnant : « Aujourd’hui, les censeurs, ce n’est plus l’Etat, ce n’est plus l’Eglise, ce n’est plus l’autorité académique. C’est assurément les médias, et pire, notre conscience collective. Nous ne pouvons pas combattre nos consciences à l’identique, nos pensées alignées qui apparemment sont un fruit d’une évolution heureuse, mais qui fait qu’aujourd’hui nous pensons tous de la même manière. Les pensées dissonantes apparaissent comme des indécences insolites. Prenons garde. A force de penser bien, nous pensons bien penser. » 

Le grand retour des idées de droite

Or aujourd’hui, des voix s’élèvent en réponse à cette doxa moralisatrice, et ce sont les idées de droite qui reviennent sur le devant de la scène, sans plus subir la peur d’un ostracisme médiatique déclinant. Tous les livres de Michel Houellebecq sont des best-sellers, ceux de Jérôme Fourquet aussi. L’audience de CNews a crû de plus de 50% en 20211https://www.europe1.fr/medias-tele/records-daudience-pour-bfmtv-et-cnews-sur-la-saison-2020-2021-4054741. Cela illustre l’existence d’une libération de la parole conservatrice : la fenêtre d’Overton politique -l’ensemble des opinions acceptables par l’opinion publique – a subi une ouverture vers la droite (ou plutôt des deux côtés) et en est à sa seconde étape pour ce qu’il en est des idées réactionnaires : du radical à l’acceptable. C’est-à-dire que, notamment par le biais des média qui influent sur l’opinion publique, les mondes politique et intellectuel favorisent une acceptation progressive de ce qui fût naguère impensable, comme la critique du déracinement culturel par exemple.

Il y a tout juste vingt ans, l’essayiste Daniel Lindenberg s’est distingué par un essai très médiatisé, Le Rappel à l’ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires, dans lequel il pointait le virage idéologique d’intellectuels traditionnellement de gauche, au sujet de la culture de masse, de l’islam, ou encore du « droit-de-l’hommisme. » Il nomme lui-même ce phénomène la « levée des tabous » chez Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, ou encore Marcel Gauchet, devenus conservateurs, voire réactionnaires et racistes. L’ouvrage s’est distingué en son temps par une polémique dans les milieux intellectuels, jusqu’à être qualifié d’Inquisition par Taguieff2Pierre-André Taguieff, “Les Contre-réactionnaires : Le progressisme entre illusion et imposture”. Pourtant, lors de sa réédition en 2016, Lindenberg préface lui-même : « Ceux qui me traitaient d’inquisiteur sont les premiers à faire sauter les bouchons de champagne pour célébrer leur victoire dans la guerre des idées. […] La périphérie est devenue le centre. »

Gilles-William Goldnadel corrobore ses propos dans le Figaro : « Je pense que les idées que je défends depuis trois décennies et qui me valaient autrefois d’être gaussé sinon vilipendé, non seulement peuvent aujourd’hui être exposées sans être ostracisé mais sont majoritaires : le droit à la sécurité ; le droit pour un État-nation occidental d’avoir des frontières ; le droit de revendiquer sans honte ses racines culturelles »3Gilles-William Goldnadel: “Reste à la gauche l’arme de l’émotion”, 21/01/2022. Intellectuel de gauche n’est plus un pléonasme. Intellectuel de droite plus un oxymore : l’emprise morale de la gauche en France est déclinante.

Ce qui manque encore à la droite : le vote du cœur                 

Est-ce pour autant suffisant pour que la droite construise un véritable projet politique qui suscite une adhésion massive ? Non. D’abord, parce que la droite n’arrive même pas à profiter de ce mouvement dextrogyre pour se fédérer autour d’une même figure, et les divisions en son sein sont même plus vives que jamais (comme à gauche d’ailleurs). On compte jusqu’à trois droites (au sens large) principales pour cette présidentielle : Pécresse, Zemmour, et Le Pen. Ensuite, aucune d’entre elles ne semble en mesure d’initier un véritable mouvement d’adhésion, parce qu’au fond, aucune d’entre elles ne raconte quoi que ce soit de séduisant. C’est précisément ce qui, lui fait défaut.

C’est que le peuple Français est désespérément en quête de sens et d’unité. Le vainqueur de l’élection présidentielle sera celui qui saura faire adhérer, au-delà d’une idée, à un projet, une ambition, un récit commun. L’élection présidentielle se jouera sans doute, que ce soit bien ou mal, plus par le placere que le docere. Telle est la bataille des cœurs qu’il reste à la droite à gagner

            Si la gauche ne décolle pas dans les sondages, elle a spontanément davantage d’arguments à faire valoir : elle s’est en partie construite sur ce récit de la gauche historique, de la lutte vers davantage de justice économique, sociale – et aujourd’hui environnementale. En un mot, le progressisme. Si l’association est parfois contredite, la relation est avérée et la volonté de changer le cours de l’histoire est certainement plus vendeuse. 

La droite sera selon toute vraisemblance au second tour de l’élection face au candidat-président Macron, qui, lui, a toujours joué sur les deux tableaux. Face à lui, les candidats conservateurs devront, une nouvelle fois, 40 ans plus tard, conquérir les cœurs. Quelle épopée nous racontera la droite de 2022 ?

Illustré par Pauline Haritinian

Émilien Zeneli

Émilien Zeneli

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Secrétaire général adjoint de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's assistant secretary-general and regular contributor.