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La désinformation, problème majeur de notre temps 

Ce texte est librement inspiré des questions soulevées lors de la conférence organisée par KIP le 9 novembre 2022 portant sur la désinformation. Les propos tenus n’engagent que leur auteur et ne doivent pas être considérés comme des opinions de nos intervenants. 

Le lien vers la retransmission de cette conférence : https://www.youtube.com/watch?v=9jUk4Z2KFsE&t=7s 

Avoir accès à une information de qualité 

Lutter contre la désinformation, c’est d’abord travailler pour établir l’information la plus sûre possible. Au sein des médias traditionnels, des procédures existent afin de ne pas publier d’informations qui se révèleraient par la suite être erronées. Il s’agit de vérifier les sources, de les recouper et de les confronter entre elles afin de faire jaillir la vérité sans être manipulé ou influencé. Ces processus sont par nature difficiles et longs à mettre en œuvre. Ils demandent des moyens humains et techniques importants, notamment dans les situations extrêmes comme la guerre en Ukraine. Dans ce cas précis comme dans d’autres, avoir accès à une information de qualité sans être manipulé par un camp ou un autre nécessite absolument de se rendre sur place. Le journalisme reste un métier de terrain et on ne saurait couvrir efficacement  les évènements qui se déroulent aux quatres coins du monde sans s’y rendre. 

Le coût financier de telles opérations est substantiel. Mais le prix à payer est parfois même celui du sang, comme l’a montré récemment le décès tragique du journaliste de BFM TV Frédéric Leclerc-Imhoff, mort alors qu’il couvrait la guerre en Ukraine. « Le journalisme va dans le sens de l’histoire, Vladimir Poutine non » comme le dit si justement sa mère, Sylviane Imhoff, lors d’une cérémonie d’hommage à son fils. 

Lutter contre la désinformation passe aussi par une utilisation constante de son esprit critique, que ce soit de la part des journalistes ou des citoyens. Un journaliste ne peut se permettre de relayer les informations qu’il aurait reçues, même du plus haut niveau, sans réellement questionner leur exactitude. Son travail est justement de ne jamais publier une information sans la filtrer, afin qu’elle parvienne à son auditoire dénuée de biais trop importants. 

Réseaux sociaux & médias traditionnels 

La désinformation a fait des réseaux sociaux son terrain de jeu privilégié. Là où les médias traditionnels vérifient le plus souvent avec attention leurs informations et multiplient les sources, les informations publiées sur les réseaux sociaux sont complètement dénuées de filtre. Chacun peut y publier instantanément ce qu’il veut, sans aucune vérification préalable. Certes, le droit de s’exprimer librement est fondamental. Mais les réseaux sociaux sont extrêmement dangereux lorsqu’ils donnent une large tribune à des personnes divulguant des informations fausses, voire contraires à la loi du fait de leur caractère haineux, raciste, diffamatoire, etc…Des opinions honteuses et minoritaires se voient alors relayées à grande échelle. 

Par ailleurs, les médias traditionnels restent bien souvent un lieu où la contradiction est omniprésente. Les journalistes ne manquent pas de remettre en cause les positions de leurs invités et des débats entre des personnes de sensibilités différentes sont régulièrement organisés. Ce qu’introduisent les journalistes, c’est précisément la complexité de notre monde. La plupart des questions qui se posent de nos jours (réchauffement climatique, guerre, pouvoir d’achat, problèmes énergétiques, etc..) ne demandent pas de réponse facile. Les phénomènes complexes ne peuvent être traités que par des réponses élaborées et nuancées. 

A rebours de cela, les réseaux sociaux sont bien souvent le repère de la simplicité. Beaucoup avancent des réponses toutes faites à des questions infiniment plus difficiles. Cela est particulièrement pernicieux dans la mesure où, pour beaucoup de personnes, il est confortable de suivre ces explications simplificatrices. Ils trouvent là des principes d’explication à tous les problèmes qui existent et qu’ils peuvent rencontrer au quotidien.

Les réseaux sociaux créent également des « bulles » où chacun se retrouve finalement enfermé dans ses schémas de pensée car nous suivons la plupart du temps des personnes qui ont des opinions similaires aux nôtres. Au contraire, les médias traditionnels comme les journaux ou la télévision offrent en général plus de diversité dans les opinions proposées, bien qu’orientés aussi. Une conduite « saine » consisterait ainsi à suivre sur les réseaux sociaux un panel de personnes ayant des sensibilités diverses afin de ne pas être aveugles à des courants de pensée tout entiers et surtout éviter d’être sans cesse renforcé dans ses convictions propres. Vivre en démocratie, c’est accepter de dialoguer avec des personnes aux convictions différentes. C’est de ce dialogue que peut naître une vie en commun.

La concentration capitalistique

La concentration des médias entre les mains de certains grands propriétaires représente-elle une menace pour leur indépendance ? Sans nier que les médias puissent être des moyens d’influence, il ne faut pas tomber dans une réponse simpliste qui consisterait à dire que tous les médias détenus par des grands groupes auraient uniquement vocation à servir les intérêts de leurs propriétaires, notamment financiers.

Le plus important est d’analyser la ligne éditoriale. L’exemple récent de Cnews le démontre parfaitement. Ce qui a changé à Cnews ces deux ou trois dernières années, ce n’est pas seulement l’actionnaire majoritaire. C’est aussi et surtout la ligne éditoriale. De média d’information, cette chaîne est devenue un média d’opinion suivant notamment l’exemple de Fox News aux Etats-Unis. La tribune est donnée à des personnes ayant une pensée unique et la contradiction n’est plus apportée comme elle pouvait l’être par le passé. Voici donc un exemple clair de la manière dont un changement de propriétaire peut influencer durablement le travail des journalistes. Mais nous pourrions citer de nombreux contre-exemples de journaux ou de chaînes qui continuent de faire leur travail sans qu’un changement de propriétaire n’apporte de bouleversement massif dans la ligne éditoriale. Les actionnaires ne cherchent pas nécessairement à influer sur le travail des journalistes. 

Par ailleurs, cette concentration est devenue une nécessité pour de nombreux médias. Les coûts sont extrêmement difficiles à supporter pour de petites structures qui ont peu de financement. La concentration dans de grands groupes peut ainsi permettre de donner les moyens aux journalistes de travailler correctement. Cela rend aussi possible des collaborations fructueuses entre différents médias. 

D’ailleurs, de nombreux médias qui ne sont pas détenus par de riches actionnaires ne sont pas pour autant plus « neutres ». Le journalisme indépendant peut très souvent devenir un véritable journalisme militant, ce qui ne garantit pas davantage une information de qualité. 

Conclusion 

Malheureusement, il existera toujours un risque que de fausses informations soient publiées. Il y aura toujours des ratés. Mais nous pouvons et devons collectivement réduire sensiblement ce risque. 

Les réseaux sociaux nous demandent d’être particulièrement vigilants. Ces outils ne sauraient être utilisés avec légèreté. Une compréhension préalable de leur fonctionnement ainsi qu’une présence d’esprit continue au moment de leur utilisation sont fondamentales. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte actuel où Facebook et Twitter se séparent de centaines voire de milliers de salariés chargés de la modération. 

Une information de qualité est la pierre de voûte de nos systèmes démocratiques. Refusons de la laisser s’éroder sous nos yeux. Essayons plutôt de comprendre notre monde et ses tensions, bien que cela ne soit pas aisé. Ne laissons pas la complexité du réel se faire chasser par une simplicité mensongère.

Illustré par Constance Leterre-Robert

Eliott Perrot

Eliott Perrot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP and regular contributor.