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Interview de Gaspard Gantzer, ancien conseiller à la communication de François Hollande

Passé par plusieurs ministères, ayant occupé plus de trois ans le poste de conseiller chargé de la communication de la présidence de la République sous François Hollande[1] puis candidat malheureux à la mairie de Paris, Gaspard Gantzer a à seulement 42 ans une expérience peu commune en matière de politique, d’élections et d’arcanes de la présidence de la République. Trois membres de KIP, Pauline Haritinian, Victor Pauvert et Julien Vacherot ont eu la chance de le rencontrer dans le cadre de la couverture faite par notre média des prochaines élections présidentielles. Entre communication politique en pleine mutation, quinquennat passé marqué par les crises, montée inexorable de l’extrême droite et paysage politique français en pleine recomposition, retour sur une interview passionnante.

Julien : A l’heure où le président de la République fait une vidéo avec Mcfly et Carlito, la proéminence actuelle des réseaux sociaux tend-elle à éclipser les médias traditionnels ? Le modèle des meetings et des débats est-il dépassé ? 

Gaspard Gantzer : Écoutez oui je pense que la communication politique ou les règles de la communication politique ont beaucoup changé ces dernières années à mesure que les médias eux-mêmes changeaient sous l’influence des réseaux sociaux. Il y a une vingtaine d’années, faire de la politique c’était essentiellement prononcer des discours dans des meetings et donner des interviews dans des grands médias nationaux que ce soit la presse écrite, la presse audiovisuelle ou la radio. Aujourd’hui il faut encore faire des discours, encore prendre la parole dans les médias traditionnels, mais il faut aussi prendre la parole pour toucher tout le monde notamment les jeunes sur les réseaux sociaux que ce soit par soi-même sur Twitter, Facebook ou Instagram comme on l’a vu avec le président de la République, mais aussi auprès des personnalités qui ont leur propre communauté d’influence autour d’eux : Mcfly et Carlito comme pour le président de la République, mais aussi Hugo Travers qui avait déjà interviewé le président de la République en 2019 avant les élections européennes et là a interviewé François Hollande et va le faire pour tous les candidats à l’élection présidentielle.

J : Le quinquennat qui s’achève a été marqué par de nombreuses crises (gilets jaunes, coronavirus). Pensez-vous que celles-ci auront une influence dans l’élection à venir ?

G.G: Ce qui est intéressant c’est que les crises vont être mobilisées par tous les acteurs de l’élection présidentielle. Elles vont être utilisées par le président de la République lui-même qui va vouloir montrer s’il est effectivement candidat qu’il a tenu bon pendant ces crises, que le pays s’est redressé sanitairement, économiquement et qu’il ne faut pas changer de capitaine alors qu’on est en train de sortir de la tempête. De l’autre côté l’opposition va mettre en cause la gestion de ces crises. Sur le plan sanitaire on se souvient des loupés du début sur les masques, on se souvient des images de la crise des gilets jaunes. On voit bien que la droite avance des arguments puissants qui peuvent fonctionner sur le creusement du déficit ou l’arrêt des réformes. A gauche, c’est sur le creusement des inégalités ou le recul écologiste. Tout le monde va avoir quelque chose à dire sur les crises. Le paradoxe c’est qu’on n’est jamais élu sur un bilan qu’il soit bon ou mauvais, mais il est toujours en toile de fond de l’élection présidentielle. Il se pose donc la question de savoir si pour Emmanuel Macron ça sera un boulet ou un tremplin pour la suite.

Pauline : Assiste-t-on ces dernières années à une normalisation de l’extrême droite ? Croyez-vous encore au front républicain pour les prochaines présidentielles ?

G.G : L’extrême droite en France est extrêmement puissante. Ça ne date pas du début des années 2000 ou même des années récentes mais des années 1980 avec le score de 15% de Jean-Marie Le Pen en 1988[2]. L’extrême droite est un acteur incontournable de toutes les élections et elle est arrivée déjà au second tour des présidentielles à deux reprises en 2002 et en 2017. C’est vrai qu’on a observé au cours des années récentes une forme de normalisation voire même de banalisation de l’extrême droite qui ne doit rien au hasard et est le fruit d’une stratégie assumée de Marine Le Pen, qui a été à la tête du Front National puis maintenant du Rassemblement National, et qui maintenant a porté ses fruits pour ce parti-là, qui a réussi à faire des scores considérables aux élections européennes[3]. Même s’ils ont été un peu en recul aux dernières élections locales, il ne faut pas les remettre en cause. 

Plus généralement, il y a un mouvement de société qui dépasse le sein du RN. Si aujourd’hui on additionne les voix potentielles d’Éric Zemmour qui n’est pas encore candidat et Marine Le Pen, on est à prêt de 30%[4]. Au-delà des stratégies politiques, c’est la société française qui semble s’être extrême-droitisée sous l’effet certainement d’une angoisse dans son rapport à la mondialisation et aux crises économiques récentes.

P : Comment expliquez-vous le succès fulgurant dans les sondages d’Éric Zemmour ? S’agit-il selon vous d’un feu de paille ou d’un candidat crédible à vos yeux ? 

G.G : Je pense qu’Éric Zemmour s’appuie sur la radicalisation d’une partie de la société française qui est saisie par une forme d’effroi par rapport à la mondialisation et aux crises économiques, sociales et sanitaires successives. Il tente d’instrumentaliser leurs peurs pour se propulser électoralement. Il a incontestablement de l’habileté, une habileté maligne qui s’appuie sur les ressorts les plus sombres de la société et de la politique. Il ne faut pas le sous-estimer, il a semble-t-il très bien décrypté les stratégies de communications efficaces, notamment à l’ère de l’information continue et des réseaux sociaux, et donc ça peut le conduire assez loin, le moins loin possible j’espère.

J : Arnaud Montebourg disait récemment sur LCI concernant Éric Zemmour « C’est une garantie d’assurance-vie de la réélection de Monsieur Macron »[5]. Pensez-vous qu’il y ait un intérêt pour l’exécutif à laisser grossir le camp des populistes ?

G.G : Je ne pense pas du tout. L’exécutif et c’est le cas pour Emmanuel Macron comme c’était le cas pour François Hollande et pour Nicolas Sarkozy n’a jamais intérêt à ce que l’extrême droite augmente parce que la poussée de l’extrême droite conduit à une radicalisation de la politique qui ne joue jamais en faveur de ceux qui sont au pouvoir. Et deuxièmement il y a le risque toujours de l’accident électoral. Je pense que le pire qui puisse arriver à un président sortant c’est d’avoir comme successeur un populiste ou quelqu’un d’extrême droite. On rentre dans l’histoire par la plus petite porte et plus précisément on en est expulsé et on reste à jamais celui qui a été battu par l’extrême droite ou qui lui a cédé la place. 

Victor :  La gauche semble plus divisée que jamais à l’aube de ces élections. Croyez-vous aux chances de votre ancien camp ? Quelle serait la stratégie à suivre pour chacun d’eux selon vous ?


G.G : Je pense qu’il y a un paradoxe à gauche : la gauche est très divisée, elle est faible dans les sondages, elle manque d’incarnation et pourtant ce sont ses thèmes qui s’imposent dans le débat public : le thème du pouvoir d’achat qui est devenu la première préoccupation des français de nouveau, le thème de la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités, Arnaud Montebourg en parlait récemment, et puis le thème de l’écologie. Là on sort à peine de la COP 26 qui a eu lieu à Glasgow et a été un incontestable fiasco, on pourrait parler de FLOP 26 plutôt que de COP 26. La gauche a beaucoup de choses à dire sur ces sujets. Pour ce faire, il faut certainement du rassemblement, plus de dynamique dans l’incarnation et des idées. Mais je crois que la gauche n’a pas dit son dernier mot et qu’on peut avoir de bonnes surprises dans cette élection présidentielle. La remporter ça m’étonnerait, en revanche que la gauche fasse un score bien plus important que prévu au premier tour ça c’est possible.

V : Alors que la droitisation de l’électorat français aurait dû les renforcer, pensez-vous que les Républicains sont aujourd’hui dépassés par l’extrême droite ? Qu’attendre de leur congrès de début décembre ?

G.G : Les Républicains sont un peu coincés, d’une part entre Emmanuel Macron au centre droit, d’autre part entre Marine Le Pen et Éric Zemmour à l’extrême droite. Il sont un peu dans la situation de la noix au milieu du casse-noix, on ne donne pas cher de leur peau. Pourtant je pense que là aussi il ne faut pas les enterrer trop vite, parce qu’ils ont fait preuve de responsabilité en s’accordant sur une procédure de désignation, ce qui n’était pas gagné d’avance puisque Valérie Pécresse et Xavier Bertrand avaient au départ décidé de sortir de ce processus[6]. Ça leur donne une chance de se rassembler. S’ils arrivent à se rassembler autour d’un candidat ou d’une candidate, ils peuvent créer la surprise parce qu’Éric Zemmour par sa candidature a abaissé le seuil de qualification au second tour qui n’est plus de 25% ou de 30% mais de 15%. Si un candidat de droite parvient à faire ces 15% il peut battre Emmanuel Macron au second tour. Ça peut être Xavier Bertrand, mais ça peut aussi être Valérie Pécresse ou Michel Barnier, honnêtement je pense que les trois sont possibles.

P : Quelle stratégie pour le candidat Macron de 2022 ? Sera-t-elle forcément différente de celle de 2017 ?

G.G : La stratégie sera différente parce qu’il est président et qu’il a un bilan. Je pense qu’il a deux stratégies. La première c’est de faire une stratégie de président sortant un peu à la Mitterrand[7], en étant candidat très tard, un candidat d’union, un candidat du peuple français uni comme lui-même l’a laissé entendre. Il y a une deuxième option, que moi je trouve meilleure, c’est qu’il ressaisisse le talisman de la disruption et de la prise de risque. Je pense que ça lui ressemblerait davantage, le Macron réformateur est meilleur électoralement parlant que le Macron père de la nation.

V : Comment imaginez-vous la stratégie électorale gagnante en 2022 ?

G.G : J’aimerais bien le savoir. En tout cas si je le savais je le vendrais très cher à des clients[8], mais je crois que ce qui manque principalement aujourd’hui ce sont des idées fortes. Je suis persuadé que le candidat ou la candidate qui l’emportera, c’est celui qui sera non seulement capable de donner une vision, non seulement sera capable de bien gérer les outils de communication (les réseaux sociaux, la presse), mais qui arrivera avec une idée très forte. Je pense que dans chaque élection présidentielle il y a une idée très forte qui s’impose. Pour Nicolas Sarkozy, c’était celle du pouvoir d’achat « Travailler plus pour gagner plus ». Pour François Hollande, c’était celle d’une mise sous domination de la finance. Pour Emmanuel Macron c’était l’émancipation individuelle. Là je pense que cette idée forte manque. Elle peut être autour de l’écologie. Pour l’instant, il semblerait qu’elle sera plutôt autour de l’identité française. Je préfèrerais qu’elle soit autour de l’écologie, de l’environnement.


[1] Il a occupé cette fonction entre Avril 2014 et Mai 2017

[2] Le candidat du Front National avait alors obtenu 14,36% des voix aux élections présidentielles, terminant quatrième derrière François Mitterrand (PS), Jacques Chirac (RPR) et Raymond Barre (UDF)

[3] Le FN (puis RN) a terminé première force politique française aux deux dernières élections européennes, obtenant 24,86% des suffrages en 2014 et 23,34% en 2019.

[4] Plus précisément entre 32 et 34% des intentions de vote selon le sondage Harris Interactive publié le 3 Novembre (https://harris-interactive.fr/opinion_polls/barometre-dintentions-de-vote-pour-lelection-presidentielle-de-2022-vague-20/)

[5] https://www.valeursactuelles.com/politique/video-une-garantie-de-la-reelection-de-macron-montebourg-accuse-le-gouvernement-detre-complice-du-phenomene-zemmour/

[6] Xavier Bertrand et Valérie Pécresse avaient dans un premier temps voulu faire cavalier seul en quittant le parti LR et refusant toute forme de processus visant à désigner un candidat unique, avant de finalement y revenir et d’accepter le processus de congrès (du 1erau 4 décembre prochain).

[7] Référence à la réélection de François Mitterrand de 1988

[8] Gaspard Gantzer dirige sa propre société de communication depuis 2019.

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.

Pauline Haritinian

Pauline Haritinian

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Double diplôme avec l'ISAE Supaero. Membre de KIP, réalisatrice de vidéo et intervieweuse.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024).
Member of KIP, member of the video pole and interviewer.