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HIDALGO | LA SURVIVANTE

2017. Au lendemain de l’accession par effraction d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, et au sein d’un paysage politique dévasté, la gauche n’est plus qu’un cratère fumant, divisée comme jamais et réduite à l’impuissance. Rares sont ceux qui restent à bord du navire Parti Socialiste (PS) là où chacun y va de son courant sécessionniste ou de son ralliement aux nouveaux points d’ancrage que sont devenus la France Insoumise (LFI) et la République en Marche (LREM). Anne Hidalgo, maire socialiste de Paris depuis 2014, est de ceux-ci ; elle fait partie du cercle restreint de ceux qui tiennent encore debout et se permet même, le jour de l’investiture du nouveau président, de multiplier les piques à son égard au cours de la cérémonie de clôture. « Paris sera libre » déclare-t-elle ainsi, bravache, face à celui qui vient d’être élu avec plus de 65% des voix et qui n’a alors que peu faire des échelons intermédiaires de la République.

Près de trois ans plus tard, c’est au tour de la locatrice de l’Hôtel de Ville de tirer profit du vide politique autour d’elle pour placer ses listes municipales en tête des intentions de vote, malgré une forte impopularité tout au long de son mandat qui avait conduit de nombreux analystes à la donner pour morte avant même que le combat n’ait commencé. En mai 2019, après des élections européennes particulièrement favorables à LREM dans la capitale, les pronostics lapidaires délivrés sur les plateaux télés et dans les éditoriaux-chocs étaient d’ailleurs unanimes : 2020 était l’année où Paris allait basculer dans l’escarcelle macroniste.

Seulement voilà. Non seulement Anne Hidalgo, première femme à occuper le poste, est plus solide qu’elle n’en a l’air, mais la République en Marche a payé le prix de ce qui avait fait son exceptionnalité en 2017 lorsqu’il s’est agi de concrétiser les votes nationaux en victoires sur le terrain – très peu d’élus locaux, centralisation très importante, pas de figures d’envergure à quelques exceptions près, guerres intestines de rivalité… Ajoutez à cela le grand retour en force de l’écologie au premier plan du débat public, qui jette une lumière nouvelle sur les mesures environnementales de long-terme qui firent l’impopularité de la maire, et vous avez les ingrédients du comeback de cette véritable revenante.

Anne Hidalgo possède un parcours pour le moins atypique : espagnole de naissance, fille d’un ouvrier électricien syndicaliste et d’un couturière, sa famille émigre en France lorsqu’elle a trois ans — elle sera naturalisée à l’âge de quatorze ans. Après avoir étudié le droit social à Lyon, elle parvient à rejoindre en 1982 le bataillon restreint des femmes reçues au concours de l’inspection du travail ; c’est là qu’elle découvre Paris et s’installe dans le XVème arrondissement. Après une dizaine d’années de travail zélé et remarqué, la haute fonctionnaire intègre le cabinet de la ministre du travail Martine Aubry au lendemain de l’ascension de Lionel Jospin au poste de Premier Ministre. Anne Hidalgo sera présente — à travers trois cabinets ministériels différents — jusqu’en 2002, année qui sonne le glas de la dernière cohabitation et le retour de la droite au pouvoir national.

Si 2002 signe la fin de son parcours de haute fonctionnaire brillante évoluant dans les hautes arcanes de l’Etat, 2001 avait marqué le début de son épopée politique au niveau local : tête de liste du PS dans le XVème arrondissement de Paris, elle perd au second tour mais est élue conseillère municipale et devient la première adjointe de Bertrand Delanoë, nouveau maire de Paris. Après 24 ans de domination de la droite, la capitale est passée au rose, et Anne Hidalgo est aux premières loges. A partir de là, elle multiplie les entreprises audacieuses : elle défie l’ancien Premier Ministre Edouard Balladur sur ses propres terres aux législatives de 2002, est élue conseillère régionale d’Île-de-France en 2004, échoue à nouveau lors des législatives de 2007. Lors des municipales de 2008, le scénario de 2001 se répète : battue par l’union de la droite dans le XVème, elle reste première adjointe de Delanoë et gagne en responsabilités.

Candidate naturelle à la succession de son mentor politique après le retrait du baron socialiste et maire-adjoint Jean-Marie Le Guen, elle est désignée à l’unanimité par les militants du PS comme tête de liste pour les élections municipales de Paris de 2014, qu’elle remporte assez largement au second tour — avec plus de 53% des voix pour les listes d’union de la gauche, qui regroupent socialistes, communistes, écologistes et radicaux.

         C’est ici que la nouvelle maire entame un virage audacieux. Pourtant proche de l’aile droite du PS, elle se fait l’avocate de l’écologie  au sein de celui-ci — malgré la relative faiblesse du parti écologiste au sein de l’alliance municipale — et axe la politique de la capitale sur une ligne résolument environnementaliste : objectifs de réduction drastique de la pollution automobile via des mesures restrictives et des grands chantiers d’urbanisme — piétonnisation des berges et de certaines places —, végétalisation de l’espace public et agriculture urbaine, développement du vélo, etc. Ces mesures de long-terme, coûteuses — l’endettement de la ville continue de s’envoler sous le mandat d’Anne Hidalgo — et générant de nombreux travaux d’aménagement, se révèlent difficiles à avaler pour une grande partie de la population parisienne et de banlieue, qui doivent faire face à une circulation chaotique et un manque accru d’emplacements dans une ville déjà tendue : les associations d’utilisateurs de la voiture se déchaînent contre la maire et attaquent à plusieurs reprises ses arrêtés en justice.

Sur les autres terrains (logement, culture, etc.), la politique de la maire est moins clivante et s’inscrit dans la lignée des décisions prises par son prédécesseur — avec notamment l’augmentation du nombre d’HLM —, bien qu’elle doive faire face à une flambée inédite des prix de l’immobilier et à l’invasion d’Airbnb — une thématique qui s’est imposée comme l’un des grands thèmes de la campagne de 2020.

Si les défenseurs d’Anne Hidalgo mettent en avant sa vision et son projet social-écologiste pour Paris, qui fait aujourd’hui bien plus consensus en France que lorsqu’il fut lancé, ses détracteurs pointent du doigt une gestion parfois autoritaires et entachée par les couacs : raté du lancement des nouveaux Vélib’, manque de coordination avec la préfecture dans la mise en place de la piétonnisation, brusque fin de l’aventure Autolib’, saleté des rues… Début 2018, ces derniers semblent avoir convaincu les Franciliens, qui ne sont plus que 16% à soutenir son action.

Mais en ces temps de renouveau de la prise de conscience écologique et avec l’apparition des premiers résultats après de nombreuses années de travaux, le bilan de la maire devient soudainement plus facile à assumer devant l’électorat. Et ce d’autant plus que l’opposition peine à se mettre en ordre de marche. La droite a subi une hémorragie conséquente de ses troupes et figures locales — Florence Berthout, maire du Vème et cheffe de l’opposition au Conseil de Paris, fait ses valises pour passer dans le camp macroniste en 2019 —, et LREM ne parvient pas à se mettre d’accord ni sur la manière de chasser l’irritante locataire qui lui tient tête depuis 2017, ni sur quel électorat flatter après des élections européennes gagnées grâce aux électeurs de droite — les deux courants seront finalement représentés avec la candidature dissidente du mathématicien Cédric Villani. Enfin, Anne Hidalgo est parvenue à conjurer le péril mortel que représentait la candidature en solo d’Europe-Ecologie Les Verts (EELV). Avec un bilan comme le sien, la résurgence de l’écologie depuis sa percée aux élections européennes ne pouvait déboucher que sur deux issues : la descente aux enfers (avec un déversement des voix vers le candidat écologiste David Belliard) ou l’ascension (en surfant sur cette vague nouvelle). Au vu des sondages récents, il semblerait que la seconde option soit de mise, et que M. Belliard peine à sortir de l’ombre de ce qui fut autrefois sa coalition.

Anne Hidalgo n’a jamais vraiment cru au « nouveau monde » de l’ambitieux M. Macron, et n’a eu de cesse de refuser de s’inscrire dans le nouveau clivage que celui-ci appelait de ses vœux, tout en n’hésitant pas à tenir ouvertement tête à celui-ci sur la gestion des campements de migrants et le manque de moyens pour sortir les citoyens de la rue.

Il apparaît qu’Anne Hidalgo ait décidé que le meilleur cheval sur lequel miser pour cette élection est elle-même : là où en 2014, elle était la représentante d’un parti, soutenue par le gouvernement et se présentait comme le digne successeur de son mentor, elle choisit cette fois de jouer sa partition en solo, refusant de supplier ses alliés traditionnels et de draguer les candidats chassant sur ses terres. Héritière d’un courant idéologique et d’une manière de faire de la politique qui jouent leur survie lors de cette élection, la maire se distancie de son parti — qui le lui a d’ailleurs publiquement reproché — et des jeux de pouvoir, cherchant à apparaître institutionnelle et assumant son bilan en bloc. Au-delà du résultat de l’élection à venir en lui-même, la façon dont elle a évité que celle-ci ne se transforme en référendum sur sa personne, contre toute attente, est remarquable. Il lui reste maintenant à se frayer un chemin au second tour, face aux deux autres candidates qui sont en position de lui disputer l’Hôtel de Ville.

Qui sait quel rôle sera-t-elle appelée à jouer après 2020 si elle remporte l’élection, elle qui a toujours démenti toute ambition nationale ? Une seule chose semble sûre en ce qui concerne cette maire de caractère :« Paris sera libre ».


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Martin Terrien

Martin Terrien

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Ancien président de KIP (2020-2021) et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Former president of KIP (2020-2021) and regular contributor.