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Illustration par Kim Provent pour KIP.

La situation préoccupante des jeunes handicapés en France

De prime abord, ils avaient l’air totalement normaux. Je veux dire, ils n’avaient ni béquilles, ni fauteuil roulant, ils n’avaient pas le visage déformé. Moi, comme vous l’auriez certainement fait, je les aurais confondus avec n’importe quel enfant de leur âge. À ceci près que je savais qu’il n’étaient pas « comme les autres » : j’avais devant moi des enfants en situation de handicap mental. Un handicap certes invisible, mais qui fait beaucoup de dégâts. Dans le jargon, on les classe dans la catégorie bonne et très bonne autonomie1Classification non officielle, utilisée par l’organisme pour lequel j’ai travaillé. Un enfant en très bonne autonomie sait s’occuper de lui dans les étapes de la vie quotidienne sans qu’on l’invite à le faire. La différence avec un enfant en bonne autonomie est qu’il a besoin de plus d’encadrement, notamment des rappels sur les règles d’hygiène de vie. : ils savent s’occuper d’eux dans toutes les étapes de la vie quotidienne (douche, brossage de dents…). En France, il y a près de 400 000 enfants scolarisés en situation de handicap (dont environ 7% en situation de handicap mental2Il est très difficile d’estimer la part d’enfants en situation de handicap mental parmi les enfants handicapés puisque les études statistiques ne concernent généralement que les plus de 15 ans. J’ai donc pris le chiffre des 15-64 ans ici.). Une majorité d’entre eux (80%) sont inscrits dans des établissements ordinaires, les mêmes que vous et moi avons fréquentés. Les 20% sont répartis dans des établissements spécialisés (comme les instituts médicaux-éducatifs dit IME par exemple).

Outre l’ambition (honorable) des autorités de permettre l’inclusion des enfants en situation de handicap3Depuis la loi du onze février 2005, tout enfant ou adolescent en situation de handicap doit avoir la possibilité de s’inscrire dans une école de son quartier. (via notamment les classes ULIS ou les aides de vie scolaire), il ne faut pas oublier que nombre d’entre eux nécessitent un suivi important impossible à obtenir dans une classe ordinaire, même adaptée. Dès lors, de nombreux enfants sont en attente de place dans ces établissements spécialisés, mais les dossiers traînent, les retards s’accumulent et les familles n’en peuvent plus. Alors que leur sort est aux mains des administrations, les délais se rallongent, les enfants prennent des retards conséquents et leurs chances d’obtenir une éducation adaptée à leur situation diminuent. Ainsi, cette accumulation de retard scolaire ne leur donne pas non plus la chance d’obtenir un emploi en bout de ligne, les condamnant à rester sans activité pour le reste de leur vie.

Pourquoi certains enfants en situation de handicap ne peuvent pas suivre de cursus « ordinaire »

Après trois semaines passées à leur côté au quotidien, je peux vous assurer qu’on comprend très vite pourquoi beaucoup d’enfants handicapés ne peuvent pas aller à l’école ordinaire comme tout le monde. En tant qu’animateur dans un séjour adapté4Un séjour adapté est une colonie de vacances avec un public d’enfants en situation de handicap., j’ai pu le constater dès le deuxième jour. Un jeune de 14 ans de mon groupe piqua une crise de colère pour une quelconque raison anodine. Excédé, il jeta à travers la salle plusieurs chaises dont une vint faire un trou dans le mur de la salle qui venait d’être refaite. Incapable de maîtriser sa colère, il sortit de la pièce en hurlant, et commença à se frapper la tête violemment et à se tirer les cheveux. C’est ce qu’on appelle un « débordement » : un peu désemparé, on m’avait toutefois expliqué que ce genre de situation pouvait arriver. Pour le calmer, et surtout éviter qu’il ne se blesse, oubliez toute bonne volonté qui vous pousserait à vouloir le raisonner, il ne vous écoutera pas. Rien ne sert de l’isoler non plus, tant son comportement est dangereux pour lui-même. Il n’existe qu’une seule solution : le maintenir au sol et attendre qu’il se calme. Prenez garde à vos doigts, il peut arriver qu’un enfant vous morde pour exprimer son mécontentement.

Imaginez ce même enfant dans une école « ordinaire ». Imaginez-vous le professeur de mathématiques contraint de maintenir un élève au sol en plein milieu du cours. Certains enfants en situation de handicap n’ont pas leur place dans une école normale. On peut défendre l’inclusion, mais certainement pas la bêtise. À la fin du séjour, j’ai été complètement ébahi d’apprendre que la plupart des enfants que j’avais eu pendant le séjour n’étudiaient pas dans un établissement spécialisé, voire n’étaient même pas scolarisés (oui, en France !). Ces enfants ont pourtant besoin d’un accompagnement dès le plus jeune âge, accompagnement qui reste très marginal : 40% des adolescents handicapés de 15 ans ne sont pas scolarisés selon l’Unicef 5Rapport de l’Unicef sur le handicap en France: https://www.unicef.fr/sites/default/files/fiche_thematique_handicap.pdf.

Un manque de place dans les établissements socio-éducatifs extrêmement problématique

En juillet 2018, les membres de la CDAPH (commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées) de Seine Saint-Denis ont fait un courrier à la secrétaire d’État Sophie Cluzel pour faire état de ce manque préoccupant de place dans les établissements spécialisés dans le département. Rien qu’en Seine-Saint-Denis, près de 3400 enfants ont été orientés vers un institut socio-éducatif alors même qu’il n’existe que 1800 places dans ces établissements dans la région. Ce même constat peut être dressé pour les places en soins à domiciles bien que leur situation soit encore pire : il n’existe que 800 places pour 2400 demandes.

Cette réalité peut être élargie à la France entière6Le rapport remis à Sophie Cluzel fait cependant état d’inégalités entre les régions. Il est très difficile d’avoir des chiffres précis nationaux. Selon un article du secours populaire, près de 13 000 enfants étaient en attente de place dans des établissements spécialisés en 2015. Source : https://www.secourspopulaire.fr/le-handicap-un-facteur-dexclusion. Pourtant, il est inscrit dans la loi que l’État a l’obligation de donner une place à tous les enfants en situation de handicap. Il est même statué dans un arrêt du conseil d’État de 2009  qu’ « Une carence de l’État dans ce domaine [l’obligation scolaire des jeunes handicapés] peut constituer une faute dont les conséquences peuvent être réparées financièrement. ». Nous voilà donc rassurés ! L’État ne manque pas d’hypocrisie : ce qui apparaît comme une auto flagellation est en fait un échappatoire audacieux à ses obligations. Pour porter plainte contre l’État, il faut un avocat, minimum deux ans de procédures et il revient moins cher à l’État de payer des réclamations que d’ouvrir de nouvelles places. Le comble de l’ironie est que de nombreux enfants handicapés se retrouvent obligés de partir en Belgique7Un enfant en situation de handicap peut être envoyé en Belgique, où les infrastructures sont bien plus avancées qu’en France, à condition que les parents prouvent que leur enfant ne trouve pas de place en France.par manque de place en France : quel soulagement ce doit être pour l’État de compter sur un autre pays pour accueillir ses enfants. Si l’idée est de faire des économies, c’est plutôt réussi ! Enfin pas forcément…

Un enfant en situation de handicap déscolarisé coûte en effet cher à l’État. S’il ne va pas à l’école, au moins un des parents doit rester à la maison pour s’occuper de lui. D’après une étude réalisée par la Dress en 2016, au sein des couples ayant au moins un enfant handicapé, les deux parents travaillent dans 53% des cas, soit 17 points en dessous de la moyenne des parents en couple8https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/etudes-et-resultats/article/parents-d-enfant-handicape-davantage-de-familles-monoparentales-une-situation. Un enfant handicapé déscolarisé perd toutes ses chances d’avoir un futur emploi, et, adulte il sera totalement dépendant de l’État pour sa vie quotidienne. Par ses choix, l’État ne fait pas mieux qu’un serpent qui se mord la queue : il pense économiser son argent en évitant d’ouvrir de nouvelles places en établissements spécialisés mais le dépense pour réparer les pots cassés.

Si l’État a enfin compris la nécessité d’ouvrir des postes pour les personnes handicapées, la stratégie adoptée me laisse pensif. Sophie Cluzel préfère investir davantage dans les aides à l’embauche (ce qui est loin d’être une mauvaise idée), mais veut le faire au détriment du financement des établissements spécialisés, sous prétexte qu’ils marcheraient en « circuit fermé ». Laisser ces enfants chez eux et leur annihiler toute chance d’étudier me paraît être une glorieuse idée ! Peut-être faudrait-il enfin s’occuper du problème à la source : personne au gouvernement ne s’est dit que les personnes handicapées étaient moins employées parce qu’elles avaient fait moins d’études ?

Une autre vision du handicap

Avoir un enfant en situation de handicap change votre vie à tout jamais. Vous ne pouvez plus vivre normalement, votre vie familiale, professionnelle et personnelle est bouleversée. Pour rédiger cet article, j’ai pu contacter Angelo, père de Loredana, qui souffre d’une maladie rare qui empêche le développement du cerveau en plus de la rendre invalide à plus de 80%. Loredana a la chance d’être accueillie en MAS (Maison d’Accueil Spécialisée, équivalent d’un IME pour adulte), qui l’héberge 4 jours complets par semaine. La vie d’Angelo a été chamboulée par Loredana, et il lui a fallu 10 ans pour adapter son quotidien à son arrivée. Sans cet accueil en MAS, « ma vie aurait été un enfer » me confie-t-il, bien que ce soit une petite consolation face aux difficultés liées à la vie avec un enfant handicapé.

S’il existe des aides gouvernementales pour aider ces familles, elles paraissent bien dérisoires lorsque l’on connaît les dégâts psychologiques que provoquent la venue d’un enfant en situation de handicap. « C’est un combat de chaque instant » me déclare Angelo. Il faut changer de véhicule, de maison parfois pour avoir un accès handicapé. Angelo ne prépare plus ses vacances de la même façon : il vérifie dorénavant s’il existe un accès handicapé, et si l’ascenseur est assez grand pour le fauteuil de Loredana. Angelo a la chance d’avoir les moyens de s’occuper de sa fille, mais les aides ne suffisent pas toujours pour les familles très modestes qui doivent faire une croix sur l’accueil de leur enfant en IME   pour continuer à vivre de manière décente (comptez environ 600 euros par mois rien que pour l’hébergement).

La vie avec un enfant en situation de handicap est déjà très difficile, même si celui-ci est accueilli en IME. La situation est nettement pire pour ceux qui n’ont pas cette possibilité. De nombreux parents n’ont tout simplement pas la force mentale que nécessite leur situation et certains vont même jusqu’à abandonner leur enfant, me dit Angelo.

Pourtant, le handicap n’est pas une fatalité. Angelo pose maintenant un regard plus humble sur le monde et sait maintenant se réjouir de choses qui pourraient nous paraître futiles. Si j’ai volontairement pris un ton dramatique pour parler de ce sujet complexe, c’est pour faire état d’une situation souvent ignorée par nos politiques et peu connue par le public. Ouvrir des places en IME et garantir de meilleures aides financières aideront grandement des familles dévastées par leur situation. Mais ce n’est qu’une première étape. Ces familles aimeraient avant tout qu’on les écoute, que l’on sache leurs difficultés trop souvent méconnues. C’est le but de cet article. Merci d’avoir lu mon témoignage et celui d’Angelo, vous pouvez maintenant à votre tour avoir un regard plus humble sur ce qui vous entoure, car l’apprentissage le plus important du handicap, c’est d’avoir conscience de notre chance immense d’être en bonne santé.

Lire aussi (du même auteur) : A la recherche du bonheur – KIP (kipthinking.com)

Sources :

Maxence Delespaul

Maxence Delespaul

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Président de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). President of KIP and regular contributor.