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Illustration d'Henri Loppinet

Good morning Myanmar

« Grandeur et décadence de Rome ». Cette formule célèbre montre bien que l’Histoire ne manque pas d’exemples de grands empires ayant connu un déclin tragique. C’est si vrai que le pays dont j’aimerais vous parler se trouve à plus de 10 000 kilomètres des terres romaines.

  Le Myanmar, ou Birmanie, est un pays d’Asie du Sud-Est. Il connaît son âge d’or sous le Royaume de Pagan entre le IXe et le XIIIe. Après une longue période de querelles intestines entre divers chefs de guerres, issus de différentes ethnies, ce royaume connaît une certaine période de stabilité et de prospérité. C’est à cette époque que se construisent d’impressionnants temples bouddhiques concentrés sur le site de Pagan (ou Bagan). Néanmoins, la puissance siamoise voisine ainsi que les Chinois finissent par s’imposer, d’autant que reprennent les inimitiés entre les différentes ethnies de la région.

  Au milieu du XIXe siècle, la présence commerciale britannique en Birmanie se transforme peu à peu en hégémonie politique. Le Myanmar est alors rattaché à l’Empire des Indes, administré par une royauté fantoche sous tutelle britannique. S’ensuit une longue période de déclin durant laquelle sont exploitées les richesses du pays, aussi bien humaines que matérielles, notamment pour ses minerais et son bois précieux, le teck. 

La Seconde Guerre mondiale et l’invasion japonaise rebattent les cartes. L’Empire des Indes finit par acquérir son indépendance et la Birmanie connaît enfin son réveil politique, pour le meilleur et pour le pire. Le père de l’indépendance, Aung San, tente de réformer le pays mais ses opposants le liquident sans merci, assassinat qui s’inscrit dans la lignée des violences caractéristiques de l’histoire politique birmane. Une junte militaire nationaliste et d’obédience communiste s’empare du pouvoir et s’installe durablement pour plus d’un demi-siècle. 

L’héritage insensé de cette dictature militaire est impossible à ignorer lorsqu’on se rend en Birmanie. Sur les bons conseils de sa prêtresse, le général Ne Win décida de changer le sens de circulation des voitures de la gauche à la droite ; pour autant, les volants n’ont pas changé de place, si bien que l’on roule aujourd’hui à droite avec le volant à droite. De même, une autre décision ubuesque consista à ne produire que des billets de banque multiples de 9, d’où des billets de 45 ou 90 Kyats au lieu de 50 et 100. Ce n’est heureusement plus le cas aujourd’hui, de sorte que les vloggeurs y voyageant peuvent à nouveau oublier leur table de 9. Si la capitale est de facto Rangoun (Yangon), le pouvoir politique a été déplacé à Naypyidaw, ville créée ex nihilo au milieu de nulle part, à l’instar de Brasilia, avec de larges avenues où ne circule presque aucune voiture. Comment justifier ces gabegies, sinon par l’égo nationaliste de quelques dirigeants souhaitant parader sur de larges boulevards ? Ou bien est-ce dans le but plus politique d’unifier le pays en plaçant cette capitale en son centre ? 

Car oui, si la Birmanie souffre bien d’une tare, ce sont les querelles entre les différentes ethnies qui la composent. La communauté Bamar est prédominante et occupe principalement la plaine centrale du pays autour de sa colonne vertébrale, le fleuve Irrawaddy. Autour se trouvent plusieurs États ethniques, notamment les Shan, les Karen, les Kachin et ceux que l’actualité a rendu tristement célèbres, les Rohingyas. Alors que la majorité du pays est de confession bouddhiste, ces derniers occupent une région voisine du Bangladesh, l’Arakan, et sont majoritairement musulmans, d’où les violences qui leur sont infligées, à juste titre qualifiées de génocide.

Certes, la situation politique s’est détendue avec un retrait progressif des anciens cadres militaires convertis à la vie civile et une démocratie émergente depuis 2013 où domine la figure d’Aung San Suu Kyi. Émigrée au Royaume-Uni, elle est retournée en Birmanie se battre pour la démocratie et l’unité du pays et a subit de nombreuses années d’assignation à résidence avant d’être finalement autorisée à rejoindre la vie politique. Pourtant, son relatif silence face à la situation des Rohingyas soulève des interrogations et rappelle une fois de plus que la Birmanie est loin d’être apaisée.

Pourtant, ce pays regorge de richesses architecturales – palais, monastères et pagodes -, naturelles – plaines désertiques, forêts tropicales, montagnes, lacs -, et surtout humaines. Comment oublier la sympathie des habitants qui nous ont accueilli chez eux et invités à leur table ? Impensable aussi de se croiser sans se dire bonjour (မဂ#လ%ပ’, mingalarbar) avec un large sourire, d’autant qu’être un étranger suscite la curiosité plutôt que la méfiance. C’est d’ailleurs de bon gré que l’on se laisse tenter par les pratiques locales : le thanaka sur les joues en guise de protection solaire et le longyi autour de la taille, cette jupe portée aussi bien par les hommes que les femmes. Ce qui frappe le plus, c’est ce flegme, cette simplicité d’une vie chiche mais tranquille menée par les Birmans, du moins dans les régions en paix. Se balader au marché, discuter dans la rue, faire la sieste dans la fraîcheur de la pagode sont autour de joies simples qui ponctuent une vie souvent rude et besogneuse, surtout dans les campagnes. 

La Birmanie est encore préservée du tourisme de masse et a su conserver son caractère face au clinquant de la Thaïlande, aux hordes de touristes visitants Angkor au Cambodge ou la baie d’Ha Long au Vietnam. Bien sûr, comme tout pays en voie de développement, la Birmanie ne peut pas être privée des quelques bienfaits de la mondialisation : c’était d’ailleurs assez amusant d’avoir un meilleur réseau 4G dans un village privé d’électricité et d’eau courante qu’à Jouy-en-Josas. Néanmoins, on ne peut que souhaiter que la Birmanie ne dévergonde pas son charme, perpétue ses traditions et continue de nous émerveiller. Voilà ce qui fait sa grandeur : son authenticité. 

PS : Merci au Smecta sans qui ce voyage n’aurait pas été possible et cheers to Myanmar Beer, que je recommande vivement au Wunder.

 Florian Diebold

Florian Diebold

Florian Diebold

Etudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2022)
Contributeur

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2022)
Contributor