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Le Goncourt, un prix littéraire qui vous veut du bien
Illustration de Radja Kahoul pour KIP

Le Goncourt, un prix littéraire qui vous veut du bien

Je viens de refermer le dernier Goncourt, Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu. Et j’ai adoré. Une histoire de gens simples, qui s’aiment sans savoir se le dire, qui se font du mal, vivent et meurent en silence, dans une région désindustrialisée où différentes populations se mêlent sans se comprendre ni s’entendre. Je crois bien que c’est le premier Goncourt que je lisais. Mais je ne suis pas sûre, donc je décide de vérifier. En fait, pas tout à fait, j’ai aussi lu Le Soleil des Scorta de Laurent Gaudé, un autre très bon livre. Toujours est-il que cette lecture m’a fait me poser de nombreuses questions. Peut-on toujours faire confiance aux prix littéraires ? Servent-ils vraiment à quelque chose ?

Il y a tout d’abord ce fait qu’on ne saurait nier, les chiffres ne mentent pas : les prix littéraires font vendre. En moyenne, les livres récompensés du prix Goncourt se vendent à 395 000 exemplaires. Un nombre non négligeable dans le contexte actuel de l’édition. Mais pourquoi s’arrache-t-on ainsi le dernier Goncourt, parmi les flots de romans qui viennent garnir les rayonnages des librairies à chaque rentrée littéraire ? Certains affirmeront que c’est pour frimer à la machine à café, devant les collègues, en devisant sur le dernier prix littéraire. Moi, je pense que la confiance que les Français accordent aux prix littéraires est belle. Elle est belle car lorsque l’on achète le dernier Goncourt, on fait confiance à un inconnu. On se laisse guider, on se laisse prendre par la main.

Bien sûr, ils sont nombreux à tirer à boulets rouges sur le Goncourt. Oui, en 1932 le Goncourt a été attribué à l’obscur Guy Mazeline pour son roman Les Loups. La même année, Céline publiait Voyage au Bout de la Nuit. Oui, les membres du jury sont plutôt âgés : Jules Renard écrivait d’ailleurs « L’Académie des Goncourt me paraît malade ; ça a l’air d’une maison de retraite pour vieux amis. La littérature s’en désintéressera ». Il est aussi vrai que traditionnellement le Goncourt a tendance à revenir à Grasset, Gallimard ou le Seuil, plus qu’à d’autres maisons d’édition.

On accuse également le jury du Goncourt d’être trop académique. Pourtant, en 1919, au sortir de la guerre, le jury récompense A l’Ombre des Jeunes filles en fleurs de Proust, au dépend des Croix de Bois de Roland Dorgelès. Récompenser un livre qui parle d’amour et d’aristocrates plutôt qu’un récit de la Première Guerre Mondiale, il fallait tout de même oser, en 1919. Certes, on aimerait voir plus de jeunes, plus de femmes dans le jury de ce prestigieux prix littéraire. On aimerait aussi être sûrs de l’absence de clientélisme et de collusion entre les jurés et les maisons d’édition. Mais les choses ont changé : depuis 2008 les jurés ont interdiction d’être salariés dans l’édition et ils perdent leur droit de vote à 80 ans.

Le Goncourt est bien sûr passé à côté de nombreux grands auteurs à travers les années : Céline, que j’ai déjà évoqué, mais aussi Colette, André Gide, Françoise Sagan, Jean-Paul Sartre ou encore Albert Camus, pour ne citer qu’eux. Mais son but n’est il pas aussi de faire connaître au grand public de jeunes auteurs aux propositions artistiques fortes ? Les prix littéraires devraient-ils toujours être conformes à l’opinion du grand public ? A titre personnel, je trouve cela plutôt sain que de nombreux auteurs ayant reçu le Goncourt n’aient pas connu une gloire immense. Car on peut écrire un excellent roman, et d’autres oubliables. Car il paraitrait étonnant qu’Éric-Emmanuel Schmitt et Virginie Despentes, deux des jurés actuels, aient les mêmes goûts littéraires et puissent toujours s’entendre. Et aussi, et surtout, parce que le jury du Goncourt fait des propositions. Le grand public est alors libre de les adorer ou de les conspuer. A mon sens, le but des prix littéraires est de tapoter l’épaule du lecteur en lui disant : « Et si tu lisais ça ? ». Bien souvent, les jurés ont bel et bien repéré les grandes œuvres de l’année, mais ils n’arrivent juste pas à se mettre d’accord. Exemple : en 1913, il y avait Le Grand Meaulnes, Du côté de chez Swann … et le jury décide de récompenser Le Peuple de la mer de Marc Elder. Et puis, le jury a couronné par deux fois Romain Gary, sous son vrai nom et sous son pseudonyme Emile Ajar. Alors, dire que le jury ne sait pas reconnaître les grands romanciers…

Quant à la suppression des prix littéraires, je n’en vois pas de raison valable. Ils poussent les Français à acheter des romans, à l’heure où, c’est bien connu, « plus personne ne lit ». Ils boostent l’industrie de l’édition qui, honnêtement, en a bien besoin. Ils récompensent le travail d’auteurs qui se sont battus pendant des années pour se faire reconnaître, comme ce fut le cas, par exemple d’Henri Troyat dont la vie a changé après le Goncourt. Ils forment des jalons dans l’Histoire de la littérature française, bien utiles pour qui aimerait découvrir une œuvre d’une époque précise sans trop savoir par quoi commencer.

Il faut reconnaître que recevoir le Goncourt n’est pas toujours une bénédiction sur le long terme. Jean Louis Bory, lauréat du prix en 1945, disait « Le grand public lit votre livre pour l’unique raison qu’il a eu le Goncourt, mais ne lit pas vos livres suivants, pour la bonne raison qu’ils ne l’auront pas. (…) Les connaisseurs ne liront pas votre livre parce qu’il a eu le Goncourt, et ne liront pas les suivants parce que le premier a eu le Goncourt ». On se souvient également du refus de Julien Gracq de recevoir le prix en 1951 pour Le rivage des Syrtes. Effectivement, il y a le Goncourt et il y a les autres romans d’un auteur, qui se vendent souvent moins bien. Reste que, recevoir ce célèbre prix jette un coup de projecteur sur l’œuvre entière d’un écrivain.

On juge souvent ce prix en oubliant qu’il fut créé en 1884 par Edmond de Goncourt, qui ne pouvait prévoir ni le développement des médias, ni le futur du marché de l’édition. A l’origine, les jurés devaient percevoir une rente de 6 000 francs or par an, et le lauréat 5 000 francs or. Aujourd’hui, l’heureux gagnant doit se contenter de la somme symbolique de 10 euros, et les jurés ont pour seul rétribution le repas mensuel au premier étage du restaurant Drouant. Le Goncourt a évolué, mais ne peut se détacher totalement de ses origines : une époque masculine, où la littérature cherchait à s’enraciner dans des institutions novatrices et indépendantes de l’Académie Française. D’où l’idée de ne pas forcément récompenser le grand auteur d’une époque…

Finalement, le Goncourt est tantôt trop académique, trop frileux, tantôt aveugle au talent… Marcel Proust, André Malraux, Simone de Beauvoir, Patrick Modiano, Marguerite Duras en sont les lauréats les plus connus. Toujours est-il que je n’aurais jamais pris la peine de lire ce roman de Nicolas Mathieu, sans ce mythique bandeau rouge qui ornait l’ouvrage au Gibert Joseph de Versailles. Si ce prix peut guider certains lecteurs qui manquent cruellement de recommandations littéraires, où est le mal ? Et si certaines discussions tournent autour du dernier Goncourt, mérité ou non, plutôt que du dernier match de l’équipe de France de football, personne n’en mourra. Le Goncourt, lisez-le, ne le lisez pas, mais laissez le tranquille. Et lisez quand même Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu.

Sara Soubigou

Sara Soubigou