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Entretien avec Mme Manon Aubry, députée européenne “La France Insoumise”

KIP donne aujourd’hui la parole à l’une des figures de proue dans la création de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), alliances de différentes formations de gauche en vue des élections législatives dont le premier tour a eu lieu dimanche 12 juin 2022, Mme Manon Aubry. Députée européenne depuis 2019, ancienne militante associative, Mme Aubry nous livre son décryptage de l’actualité politique, et en particulier des élections législatives.

Note : Cet entretien ayant eu lieu en amont du premier tour, il peut comporter des anachronismes par rapport à l’issue du scrutin de dimanche dernier.

1- Élections législatives, élections européennes…

Vous êtes députée européenne depuis 2019. Quelle différence établissez-vous entre la fonction d’un député.e européen.ne et celle d’un député.e français.e ?

Un député européen n’a pas de circonscription (nous sommes élus sur une liste nationale) et sa fonction n’est donc pas liée à un territoire spécifique. Nous travaillons au sein de groupes réunissant des partenaires issus de tous les pays de l’Union européenne. La plus grosse différence est liée au fonctionnement du parlement où nous sommes élus à la proportionnelle. Il n’y a donc pas de groupe qui a tout seul la majorité comme en France, ce qui demande de négocier et trouver des compromis, au-delà des familles politiques.  

Pensez-vous que l’influence d’un.e député.e européen.ne est différente de celle d’un.e député.e français.e ?

L’influence du député européen dépasse les frontières nationales. Les eurodéputés sont amenés à légiférer sur l’ensemble des enjeux qui ne concernent pas uniquement leur pays d’origine et sur des questions majeures qui ont trait à notre quotidien : une grande partie des lois nationales sont issues des directives européennes. Le  cadre est donc différent mais un mandat reste ce que l’on en fait : je me suis toujours définie comme députée activiste, à la fois très active dans le travail législatif, lanceuse d’alerte, et citoyenne engagée aux côtés des mobilisations sociales et écologiques. 

Êtes-vous favorable à un scrutin législatif semblable au scrutin européen de 2019, soit composé de listes de candidats élus à la proportionnelle intégrale ?

Nous sommes de manière générale pour les scrutins à la proportionnelle, qui permettent de mieux représenter la diversité des opinions politiques des citoyens. Notre délégation a également défendu au Parlement européen une part dite “transnationale” avec des élus qui seraient élus par l’ensemble des citoyens européens et pas uniquement des citoyens de leur pays d’origine. Tout doit être fait pour renforcer l’espace politique européen, cela passe par le mode de scrutin mais aussi par une révision des traités européens afin de rendre le fonctionnement de l’UE plus transparent et plus démocratique.

2- Une union historique de la gauche française

Vous avez eu un rôle tout particulier dans les négociations puis dans la formation de la Nouvelle union populaire écologique et sociale. Quel est le sens, selon vous, d’un tel accord transpartisan ? Pensez-vous qu’il sera plus efficace que des candidatures séparées pour obtenir plus de sièges à l’Assemblée nationale ?

La création de la NUPES est un moment historique : Pour la 1ère fois dans l’histoire, il y aura un candidat commun de gauche dans chaque circonscription sur tout le territoire dès le 1er tour. J’ai participé aux négociations, jours et nuits pendant  2 semaines pour arriver à cet accord sur un programme et une stratégie communes. On nous avait dit que c’était impossible, nous l’avons fait. Y compris sur la question européenne où nous nous sommes rejoints sur une stratégie qui permet de lever les blocages européens s’opposant à l’application d’un programme écologique et sociale de rupture. Cette union inédite  soulève un espoir immense dans le pays : le peuple de gauche l’attendait et nous sommes maintenant en ordre de marche pour remporter les législatives les 12 et 19 juin prochain et porter Mélenchon à Matignon  !

Ne craignez-vous pas une dilution de vos valeurs dans le compromis nécessaire à cette union des partis de gauche ?

La NUPES n’est pas un accord électoraliste de coin de table mais un rassemblement autour d’un programme commun de gouvernement qui compte 650 mesures.  La NUPES a réussi à conclure un rassemblement sur une ligne de rupture avec des marqueurs sociaux très forts : le SMIC à 1500 €, la retraite à 60 ans, le blocage des prix, l’allocation autonomie des jeunes. Et notre projet s’attaque aussi avec ambition à l’urgence climatique (un plan de bifurcation de 200 milliards, la règle verte), démocratique (RIC, proportionnelle) et féministe (1 milliard contre les violences faites aux femmes). Nous sommes prêts à gouverner et à changer la vie des gens concrètement dès le mois de juin.

Comment vous positionnez-vous face aux précédentes unions des gauches, autour de figures comme Léon Blum, François Mitterrand ou Lionel Jospin ?

Nous revendiquons la filiation avec le Front Populaire qui a permis des conquêtes sociales historiques : les congés payés, la semaine de 40h, les conventions collectives, etc. L’Union de la gauche n’a de sens que sur une ligne de changement radical, le début du mandat de Mitterrand, les 35h de Jospin, etc. C’est ce que les gens attendent de la gauche : rompre avec l’ordre établi, apporter des progrès réels.  

3- Regards sur le prochain scrutin

Un certain nombre de responsables socialistes ont clairement témoigné de leur désaccord vis-à-vis d’une alliance avec la France insoumise. Pensez-vous que cette dissidence puisse représenter un risque dans votre objectif de succès aux législatives ?

Les socialistes ont effectué une clarification nécessaire de leur ligne politique et je m’en réjouis. En validant à une large majorité l’accord avec la NUPES, le PS s’est détaché des trahisons de François Hollande sur le CICE, la loi El Khomri ou encore la déchéance de nationalité. Cette nouvelle génération de socialistes renoue avec les valeurs originelles de leur parti et valide une ligne de rupture. Que quelques éléphants s’en émeuvent, cela ne m’intéresse pas (et puis les éléphants ça se trompe énormément, non ?). Les dissidences seront peu nombreuses et elles n’auront qu’un rôle : aider Macron. Tous ceux qui veulent le changement sauront quoi faire et ils pourront voter pour les candidats de la NUPES partout sur le territoire.

Croyez-vous vraiment à l’obtention d’une majorité pour la NUPES ?

La France est aujourd’hui divisée en trois blocs et notre coalition pèse aujourd’hui environ un tiers de l’électorat et les sondages nous donnent quasiment tous en tête devant LREM. Oui, la NUPES peut gagner et gouverner en juin. C’est notre objectif, contrairement à Marine Le Pen qui souhaite témoigner dans cette élection mais refuse de gouverner. Nous pouvons accéder second tour dans la quasi-totalité des circonscriptions et emporter une majorité le 19 juin. L’enjeu c’est la mobilisation : si les jeunes, les classes populaires, le peuple de gauche vient voter, on gagne. 

Vous promettez la possibilité pour les différents partis participant à la NUPES de former des groupes distincts à l’Assemblée nationale. Cette multiplicité des groupes ne nuirait-elle pas à la stabilité et à la crédibilité d’un gouvernement Mélenchon ?

Notre but n’a jamais été d’écraser nos partenaires à gauche. Chaque groupe gardera donc son autonomie à l’Assemblée avec un intergroupe qui permettra de conserver de la cohérence. Si nous gagnons, le gouvernement de Jean-Luc Mélenchon sera à l’image de la diversité de la NUPES. Nous ne croyons pas à la monarchie présidentielle et une majorité de la NUPES sera à l’image de la 6ème République que nous appelons de nos voeux : collective, assumant le débat, laissant sa place au Parlement qui ne doit plus être une chambre d’enregistrement mais le lieu même de l’expression de la démocratie.

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.

Pauline Haritinian

Pauline Haritinian

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Double diplôme avec l'ISAE Supaero. Membre de KIP, réalisatrice de vidéo et intervieweuse.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024).
Member of KIP, member of the video pole and interviewer.