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Entretien avec M. Tristan Péglion, coordinateur du mouvement « Jeunes Génération.s »

Dans le cadre de la série consacrée aux responsables de la jeunesse politique de notre pays, trois étudiants de KIP (Julien Vacherot, Pauline Haritinian et Maxence Delespaul) et un étudiant d’Esp’r sont partis à la rencontre de M. Tristan Péglion, coordinateur du mouvement « Jeunes Génération.s ». Ce partisan de M. Hamon défend aujourd’hui la bannière verte, rallié à la candidature de M. Jadot à la présidentielle. Union de la gauche, place de l’écologie dans la politique Française, bilan du quinquennat Macron : un point de vue complet sur le spectre politique actuel. 

Une campagne et un engagement politique 

Pauline Haritinian : Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager auprès du mouvement « Jeunes Génération.s » ? Quel est votre rôle en tant que coordinateur de ce mouvement ?

Tristan Péglion : Je me suis engagé en 2017 dans la campagne de M. Benoît Hamon, qui était, à l’époque, soutenue par le Parti socialiste et Europe Ecologie – Les Verts. Je me suis engagé au meeting de Bercy, qui avait rassemblé plus de 25 000 personnes. Je me suis engagé parce que des jeunes sont venus me voir à la fac, qui m’ont dit que, moi aussi, j’avais le droit de m’engager, de défendre mes idées, de me battre. Je me suis engagé pour des idées comme la transition écologique, le revenu universel, la rénovation de nos institutions et de notre démocratie, qui vit actuellement une crise assez importante. Concrètement, lorsque M. Hamon a fondé Génération.s en juillet 2017, à 22 ans, je me suis engagé a ses côtés. Je suis devenu coordinateur de « Jeunes Génération.s » il y a un an, en février 2021. En tant que coordinateur, je suis surtout en charge de l’aspect politique et du travail avec les partenaires extérieurs en lien avec le projet politique.

Maxence Delespaul : Alors que l’absentionnisme chez les jeunes atteint des sommets, comment pensez-vous, à votre échelle, pouvoir agir pour les ramener vers les urnes ?

T.P. : Le dernier sondage Opinionway évaluait à 45 % le taux de participation attendu des jeunes à la prochaine élection. A deux mois du premier tour, je trouve cela très grave. Nous vivons une crise démocratique assez importante. L’enjeu est majeur. Ce sondage en dit long sur le fait que toute une classe d’âges n’a jamais vu la différence entre la gauche et la droite au pouvoir. Depuis trente ou quarante ans, nous subissions des politiques qui ne changent pas la vie des Français. Cela en dit long. Il faut réussir à aller voir ses jeunes pour les persuader de ne pas se résigner, et de porter un projet majeur, en rupture de ces quarante dernières années. Notre action ? Le militantisme ne se réduit pas à l’engagement dans un parti politique. Notre rôle est de parler avec les jeunes des enjeux de l’élection présidentielle. Quel est le rôle d’un Président de la République ? Ce n’est pas une question évidente pour beaucoup de jeunes. Nos tractons sur le terrain, dans les universités, mais pas que. Nous devons aussi aller voir les lycéens. Même à 15 ans, notre avenir se joue. Lorsque notre Président parle d’une stratégie énergétique sur 90 ans, il faut que les jeunes de tous âges soient consultés, sensibilisés à ces enjeux. Il y a l’enjeu de la campagne d’inscription aux listes électorales, qui s’achève bientôt, le 4 mars. Cet enjeu est majeur : combien de jeunes ne vont-ils pas aller voter, simplement parce qu’ils ne sont pas au même endroit le jour du vote ? Fondamentalement, la plupart des jeunes poursuivent leurs études hors de leur commune de vote, et c’est un problème pour aller voter. Il n’est même pas facile de faire une procuration. Il y a donc un enjeu de sensibilisation et de facilitation de la procédure du vote. En tant que jeunes militants, nous n’avons pas toutes les cartes en main ni toutes les réponses, mais nous nous battons avec nos armes. Le sujet est avant tout politique : sans politiques qui changent véritablement la vie, pourquoi aller voter ? 

M.D. : Qu’entendez-vous par des politiques « qui changent véritablement la vie » ?

T.P. : Par exemple, nous soutenons la mesure du revenu universel pour les 18-25 ans. Cela procède de l’idée que les jeunes ne doivent pas être contraints à un emprunt bancaire pour financer leurs études. La précarité dans les études ne devrait plus exister. Une telle mesure change véritablement la vie des jeunes. Il faut pouvoir faire correctement ses études, car la première raison d’échec à l’université, c’est le salariat, l’emploi étudiant. Autre mesure qui change la vie : la construction de dizaines de milliers de logements étudiants. On peut citer aussi la sortie de l’économie carbonée, qui entraîne le décès prématuré de dizaines de milliers de personnes chaque année. Voilà comment changer véritablement la vie des Français. Avec de vraies mesures et non des « mesurettes » comme nous en avons connues depuis trente ans. 

J.V. : Aujourd’hui, M. Yannick Jadot plafonne et s’effondre même pour ne représenter plus que 4,5 % des voix dans un dernier sondage. Pensez-vous encore avoir une chance dans cette élection ? 

T.P. : Les sondages sont souvent faux. En 2019, les Écologistes étaient donnés à 8 % pour les élections européennes. Ils ont fini à plus de 13 %, avec un socle électoral encore élargi aujourd’hui, car la candidature écologiste rassemble désormais plus de formation, comme Génération.s, qui avait présenté sa propre liste en 2019. Il est donc clair que l’enjeu de rassemblement est évident. Il y a un an, M. Jadot a proposé à toute la gauche de se mettre autour de la table. Tout le monde était là. Aujourd’hui, chacun a décidé de s’isoler dans son propre camp, même si la primaire écologiste était ouverte à toutes et tous. Nous avons fait le choix, avec Génération.s, de faire partie de cette primaire. Nous préférons l’union à l’isolement. Le sondage Ipsos de cette semaine nous donne à 8 %. Je préfère les « vrais » instituts de sondage. Au contraire, Cluster est tenu en grande partie par des amis de M. Mélenchon. Je préfère l’objectivité. Malgé tout, 8 % ne permettent pas de prendre le pouvoir ni de changer la vie. Le total cumulé de la gauche est faible, à moins de 30 %. La question : comment augmenter ce total qui est aujourd’hui beaucoup trop faible pour gouverner. Même si nous arrivions, par miracle, à prendre le pouvoir, nous ne pouvons pas gouverner à 25 %. Nous avons donc deux mois pour mener une bataille culturelle, pour élargir ce socle électoral. J’invite toute la gauche à faire pareil, car il est inutile de nous tacler mutuellement. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Ce n’est pas comme cela que nous pouvons gouverner. 

J.V. : Une union de la Gauche dépassant les clivages pour arriver au second tour a longtemps été fantasmée. Quelles sont les raisons de cet échec ?

T.P. : Il y a plusieurs sujets. Nous croyons à l’union depuis le début, mais il y a un éléphant dans la pièce : M. Mélenchon. Il a toujours le refusé de le faire, c’est sa stratégie. Les Socialistes, quant à eux, zigzaguent. Ils sont à 2,5 % dans les derniers sondages. Ils ne savent pas ce qu’ils vont faire. Ils devront être clairs : veulent-ils faire l’union de la gauche, et signer un accord de gouvernement avec nous ? L’enjeu est trop important pour garder les Écologistes hors du pouvoir. Il en va de même pour Mme. Taubira. J’ai beaucoup de respect pour sa personnalité, mais elle n’est pas prête. Lorsque nous nous battions contre la sélection à l’université et contre la réforme des retraites, elle n’était pas là. Nous avons un programme, nous sommes deuxièmes chez les participants à la Primaire populaire, premiers sur les sympathisants de gauche. Si elle veut une union, elle devra travailler avec nous. Nous tendons la main à la gauche toutes les semaines, mais les autres candidats ne veulent faire l’union que derrière eux. Cela va être difficile. Nous voulons nous battre. Nous avons un programme. Nous avons désormais plus de 300 parrainages. Nous sommes prêts. Nous avons des financements. Nous avons des militants sur le terrain. Maintenant, c’est à eux de décider de ce qu’ils veulent faire. Veulent-ils gagner ou non ?

Edouard Virna (ESP’R) : Lorsque la négociation a été entamée avec Mme. Taubira, cette dernière l’a réfuté devant la presse. Que s’est-il passé ?

T.P. : Il s’agissait d’une discussion sur les bases d’une potentielle union. Pour l’instant, cela n’aboutit pas, car il n’y a eu qu’une seule rencontre. Mais je suis heureux que nous ayons commencé à discuter. Je ne sais pas ce que cela donnera. Cela se décide entre états-majors. 

E.V. : Si M. Yannick Jadot était élu, à quoi ressemblerait son gouvernement ? Quels sont les noms en tête pour les postes de ministres ?

T.P. : Il s’agirait d’un gouvernement pluriel. Nous gouvernerons avec nos amis Insoumis, Communistes, Socialistes : tous ceux qui veulent une rupture avec les politiques des trente dernières années. Certains noms sont évoqués, comme Mmes. Delphine Batho et Sandrine Rousseau, comme M. Benjamin Lucas, comme Mmes. Christiane Taubira et Clémentine Autain… Je ne peux pas donner de postes. Cela dépendra de qui veut travailler dedans. Mais ce gouvernement devra être pluriel et uni autour de la transition écologique. 

Écologie et politique

E.V. : Dans les débats sur les présidentielles, on entend très peu – pour ne pas dire pas du tout – parler d’écologie. Comment expliquer le manque d’intérêt pour ces problématiques ? 

T.P. : Ce n’est pas le cas. Les sondages d’intérêt montrent que les questions primordiales pour les Français sont celles du logement, de la pauvreté, de l’environnement. Mais il y a un glissement du débat public vers l’extrême droite, alimenté par les médias et leurs tenants, en premier lieu M. Bolloré. L’intérêt est donc donné à des questions qui ne sont pas fondamentales. Cela est lié à la réalité d’une crise mémorielle, une crise de l’identité. On ne sait pas comment répondre aux enjeux du XXIe siècle donc on essaie de se renseigner avec des grandes figures tutélaires comme le Général de Gaulle ou Napoléon. Il y a une inégalité très importante dans le système médiatique. Le fait que les Français s’intéressent avant tout aux questions de pouvoir d’achat et d’écologie n’est pas incarné dans le débat. Nous devons capter ces éléments. A la présidentielle, les gens cherchent des figures rassurantes. L’élection se joue sur la figure. A gauche, il y a un problème d’incarnation, entre le manque de charisme de Mme. Hidalgo, la fougue de M. Mélenchon ou le manque de prestance de M. Jadot. Par ailleurs, nous peinons à mener une bataille culturelle sur le fond. Nous n’avons pas assez vu d’écologistes dans les médias au lendemain des annonces du plan énergétique du Président.  Seul le lobby du nucléaire est représenté. C’est dommage à moins de deux mois du premier tour. 

E.V. : Dans la stratégie de communication de M. Jadot, a-t-on pensé accentuer le côté régalien, autoritaire du candidat afin de rendre sa personnalité plus rassurante ?

T.P. : Il y a un vrai débat à ce sujet. La primaire écologiste, avec Mme. Sandrine Rousseau, a été intéressante sur ce point. Deux personnalités radicalement différentes s’opposaient. Nous sommes réformistes et non révolutionnaires, et c’est ce qui a été choisi, à la dernière minute de la campagne, par les adhérents écologistes. C’est aujourd’hui la stratégie gagnante à adopter. M. Jadot essaie de se poser en rassembleur et essaie de jouer la carte du consensus au quotidien. 

M.D. : Si M. Jadot est élu, quelle sera la première mesure à mettre en place au sujet de l’environnement selon vous, et pourquoi ? 

T.P. : M. Jadot parle souvent du fait que la première mesure serait la fin de l’élevage intensif. Mesure logique, et véritable enjeu pour le secteur de l’élevage et de l’alimentation. Cela toucherait les problèmes de la malbouffe, des problèmes de santé, de l’environnement. L’élevage intensif est un désastre écologique en puissance. Cette première mesure est capitale, mais il y a aussi l’investissement de dizaines de milliards d’euros sur la transition énergétique et la rénovation de l’habitat. Aujourd’hui, on vit une crise de l’énergie et la meilleure des énergies est celle que l’on ne produit ni ne consomme.

E.V. : On sait que M. Jadot n’aime pas employer le terme de « décroissance », épouvantail pour une partie de la population qui connaît peu ou mal le concept. Pourquoi avoir peur d’un tel mot ? 

T.P. : Lorsque M. Macron évoque son plan énergie, le premier mot qui vient est celui de « décroissance ». Cependant, le Président ne parle pas de décroissance mais de « production sobre ». Je ne sais pas exactement ce que cela signifie. Il s’agit d’éléments de langage. Il faut s’interroger sur le véritable sens de ce terme. M. René Dumont en parlait déjà dans les années 1970, ce qui effrayait beaucoup à l’époque. Devrons-nous retourner à l’âge de pierre ? Nous chauffer et nous éclairer à la bougie ? Non. Cela fait peur aux Français. Nous construisons le progrès depuis des milliers d’années : c’est le sens de l’humanité, de l’histoire. La question de la décroissance ne doit donc pas vraiment se poser. Il faut se demander : comment faire pour que le progrès technique se mute en progrès social ? Comment va-t-on, au quotidien, réussir à ne pas brûler des quantités astronomiques d’énergie pour se chauffer ? Cela ne signifie pas qu’il faut se chauffer à la bougie, mais qu’il faut faire des progrès en matière d’isolation. Cet exemple est parlant. Pourquoi a-t-on besoin de voyager à travers le monde avec des avions qui partent dans tous les sens : il y a un impensé global à ce sujet, car des dizaines de milliers d’avions effectuent des trajets à vide. Nous l’avons vu au cours de la crise sanitaire. Je pense donc que la décroissance est un terme creux : on ne doit pas se centrer sur ce concept pour construire un projet de transition. Le sujet est : comment mieux vivre et mieux produire ?

E.V. : Faut-il ou non abandonner l’idée de la toute-puissance de l’indicateur qu’est le PIB ?

T.P. : Aujourd’hui, le sujet n’est pas tant la décroissance que la déconstruction de l’idée que l’on se fait du « bien-vivre ». Depuis des décennies, nous vivons dans un modèle avec comme seul indicateur de développement le PIB. Pourtant, il existe des indicateurs beaucoup plus intéressants comme l’IDH, le taux de pauvreté… Il faut se tourner vers ces chiffres. La France n’est aujourd’hui pas très bien notée en termes d’IDH. Les pays scandinaves sont bien meilleurs. A défaut de prendre les Américains comme modèle, nous devrions nous tourner vers d’autres indicateurs de développement plus en phase avec les enjeux du XXIe siècle. 

M.D. : Comment s’incarne la sobriété dans le programme de M. Jadot ? Appliquera-t-il le Plan de Transformation de l’Économie Française (PTEF) tout juste publié par le Shift Project ?

T.P. : Je n’ai pas eu connaissance de ce plan. Concernant la sobriété du programme : la question est de savoir comment mieux consommer. Je préfère parler de produire ce dont on a besoin. Il ne faut pas oublier que, chaque année, des millions de gens meurent de faim, alors qu’on produit de quoi nourrir deux fois la planète. Il faut arrêter de penser les chiffres pour plutôt penser les gens. Cette idée de transition énergétique est vitale : nous devons sortir du carbone en développant notamment les services de transport en commun, comme le train. Notre pays connaît une dynamique de retour du ferroviaire malgré les difficultés de la SNCF. Les trains de nuit sont de retour, ce qui est une bonne nouvelle. Nous avons besoin d’un service public ferroviaire de qualité, pour relier les territoires sobrement. L’enjeu est aussi d’assurer un service public égal pour tous. Il faut donc repenser notre manière de voyager, et, plus généralement, de vivre au quotidien. Comment travailler plus proche de chez soi ou sans employer la voiture ? Nous avons un grand plan d’investissement de 10 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat pour la rénovation urbaine : il faut plus de voitures électriques, plus de parcs éoliens, plus de solaire. Nous ne théorisons pas comme des Amish [en réponse à une citation de M. Macron qui opposait « le modèle Amish » au développement de la 5G, ndlr] une sortie du nucléaire du jour au lendemain. Nous ne pouvons pas renoncer au plan de construction de nouveaux EPR. Nous avons un plan de sortie progressif du nucléaire, corrélé avec une diminution progressive de nos besoins énergétiques. Ces réacteurs sont vétustes : les réacteurs ont été conçus pour durer quarante ans, et M. Macron vient de prolonger leur durée de vie de dix ans. C’est un vrai sujet : il faut allier sobriété et sécurité. Le sujet de l’agriculture est également fondamental. Nous devons revoir notre modèle agricole vers l’agroécologie, modèle viable au quotidien et rentable. Nous prônons une sortie du modèle consumériste que nous connaissons jusqu’ici. Il faudra produire localement, bio, en sortant du tout-pesticide. Le quinquennat Macron fut marqué par beaucoup de renoncements : il faut mettre fin à ces renoncements. Enfin, à l’échelle européenne, nous prônons l’établissement d’un plan de transition avec nos partenaires. On peut être le bon élève de la classe, mais la France est toute petite à l’échelle du monde. Nous devons nous donner un poids avec le concours de nos partenaires. Nous avons la chance d’avoir l’Union européenne, qui est un cadre qui se prête à cette transition. On ne peut pas mener à bien notre transition sans l’Europe, sans mettre la pression aux États-Unis et à la Chine. La France doit être le leader de l’Europe et l’Europe doit être le leader du monde en matière de transition écologique. 

J.V. : En 2018, M. Emmanuel Macron a été élu « Champion de la Terre » par l’ONU. L’est-il toujours en 2022 ? A votre avis, quelles ont été les bonnes et les mauvaises mesures prises en matière d’environnement lors du quinquennat Macron ?

T.P. : C’est le quinquennat du renoncement. La Cop 26 fut à cette image : toujours pas de véritables actions après 26 réunions. Cette Cop devait être celle du retour sur la Cop 21. Qu’a fait M. Macron sur la transition écologique, en cinq ans ? Par exemple, M. Macron a forcé une ministre, qui était alors députée [Mme. Barbara Pompili, ndlr], à faire voter une loi contre l’artificialisation des sols et les néonicotinoïdes. Il a forcé cette même députée, devenue ministre, de revenir en arrière. Les discours de M. Macron à l’ONU sont pleins de cynisme, sans actions concrètes. M. Macron vient de poser une porte sur la transition écologique, au bout de cinq ans de mandat. C’est donc à nous qu’il revient, lors du prochain quinquennat, de mener cette bataille. L’exemple le plus important : les recettes de Totalénergies ont atteint 14 milliards d’euros l’année dernière [en 2021, ndlr]. Ce chiffre est historique, sur fond de crise écologique. Alors que ce groupe est le plus gros pollueur français, il se voit attribuer par M. Macron des aides publiques, dans le cadre du « quoi qu’il en coûte ». La politique d’aides de M. Macron n’intègre aucune condition écologique. Son discours est donc plein de bonnes intentions, mais le Président ne se place jamais en acteur contraignant de la transition. Il est irresponsable de penser encore que le marché va s’autoréguler.

P.H. : A la suite de l’annonce de M. Macron sur la construction de nouveaux EPR, le 10 février, M. Jadot l’accuse de « condamner la France à l’ébriété énergétique » et parle de « fermer progressivement les centrales au bon rythme ». Sans nucléaire, comment ne pas se retrouver dans la même situation que l’Allemagne, contrainte de produire une électricité beaucoup plus carbonée que la nôtre ?

T.P. : La construction de ces EPR m’amuse, car l’EPR de Flamanville, qui devait ouvrir en 2012 et coûter 3 milliards d’euros, n’est toujours pas ouvert et en a coûté plus de 20 milliards. La technologie EPR est un échec. La stratégie du Président me semble décalée de la réalité. Il existe, en Grande Bretagne, des parcs éoliens offshore qui produisent plus d’énergie que nos centrales. Une alternative existe, et il faut la construire. Cependant, comme je l’ai dit, je ne pense pas que nous devons sortir du nucléaire en trois jours. Le plan de sortie du nucléaire doit prendre en compte la vétusté de nos équipements. Notre équipement est bel et bien vétuste et nous sommes en danger face à certaines centrales. Il faut accompagner une sortie progressive de ces équipements inadaptés. Il faut au moins dix ans pour construire une centrale nucléaire. La transition écologique doit débuter immédiatement. Il y a déjà sept projets d’éolien offshore en France à horizon 2028. Je soutiens M. Macron lorsqu’il dit qu’il en faut cinquante. Maintenant, il doit le faire. La priorité est d’abord de sortir du carbone : du gaz et du pétrole. Pour ce faire, il faut développer les transports en commun, le train. Nous devons avoir moins recours au gaz et produire plus d’électricité. Construisons en masse de l’éolien, du solaire, de la biothermie, de l’hydroélectrique. Nous avons une piste de travail très importante : l’éolien offshore, et nous devons travailler à ce sujet. Le nucléaire n’est absolument pas viable car c’est une énergie que l’on ne maîtrise pas. Le Rassemblement national considère que l’on peut faire de la fusion nucléaire, alors que cela n’existe toujours pas. Nous en sommes loin. Nous devons partir sur ce qui fonctionne : l’éolien offshore est, à l’heure actuelle, plus performant que le nucléaire. Les énergies vertes seront le fondement de notre indépendance stratégique. 

P.H. : En dehors des enjeux écologiques dont nous avons parlé jusqu’ici, quels sont les grands enjeux du futur quinquennat ?

T.P. : La question écologique est centrale : nous avons sept ans, selon le GIEC, pour limiter la casse. Les enjeux sociaux sont aussi fondamentaux : en 2020, le Cac 40 a reversé plus de 30 milliards de dollars aux actionnaires. Ce chiffre s’est élevé à 139 milliards en 2021 ! De l’autre côté, nous avons passé la barre des 10 millions de pauvres en France au cours de la crise sanitaire. Nous avons aussi une crise démocratique évidente : seuls 45 % des jeunes vont voter en 2022. Nous devons réformer notre démocratie, séparer les lobbys de l’Etat. Nous devrons aussi délier le quinquennat présidentiel et le quinquennat législatif. Il y a une fracture sociale et démocratique inquiétante dans ce pays. Si on n’y répond pas, on se soumet au risque de crises comme celle des Gilets jaunes. Aujourd’hui, les partis politiques ne comprennent toujours pas le mouvement des Convois de la liberté. La défiance vis-à-vis du politique est généralisée. Nous allons à la catastrophe si nous n’y répondons pas. Un Président de la République à la hauteur devra répondre à ces trois enjeux : écologique, social et démocratique. 

Illustré par Maxence Delespaul

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.

Maxence Delespaul

Maxence Delespaul

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Président de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). President of KIP and regular contributor.

Pauline Haritinian

Pauline Haritinian

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Double diplôme avec l'ISAE Supaero. Membre de KIP, réalisatrice de vidéo et intervieweuse.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024).
Member of KIP, member of the video pole and interviewer.