KIP

Entretien avec M. Alexandre Fels, co-pilote du collectif Jeunes de la CGT

Interroger des hommes et femmes politiques, c’est bien ; s’intéresser à l’ensemble des parties prenantes de l’actualité politique du pays, c’est mieux ! La diversité est une valeur fondamentale de KIP. C’est ainsi que, dans le cadre du « Projet présidentielles », Julien Vacherot et Pauline Haritinian ont interrogé M. Alexandre Fels, jeune responsable de la CGT. Dans le syndicalisme comme dans la politique, il est question d’engagement. Le moment est donc venu de poursuivre notre série sur la jeunesse engagée du pays.  

1/ La CGT, premier syndicat de France

Pauline Haritinian : Selon vous, qu’est-ce qui différencie la CGT des autres syndicats français ? 

Alexandre Fels : Tous les syndicats ont une différence. Nous n’essayons pas de nous différencier par rapport aux autres. Notre but est de représenter et de défendre des intérêts variés, en règle générale. Nous ne cherchons pas à nous comparer aux autres. Nous essayons de créer une dynamique dans les entreprises, de nous implanter dans les entreprises dans lesquelles nous ne sommes pas, avec toujours comme aspiration de défendre les intérêts des salariés. 

Julien Vacherot : Pouvez-vous présenter brièvement le fonctionnement de la CGT. Quelles sont vos fonctions en tant que membre de la Commission exécutive confédérale de la CGT ?

A.F. : Il est difficile de présenter brièvement la CGT. La CGT concentre plusieurs fédérations en fonction des corps de métiers représentés : par exemple, la métallurgie, la construction, l’action sociale, la santé, l’énergie… La CGT rassemble aussi les fédérations par département. Plus localement, par département, nous avons des unions locales de la CGT, qui nous représentent plus concrètement, sur le terrain. La confédération enveloppe cet ensemble. Mon rôle à la CGT est de travailler sur les questions de jeunesse et sur la partie opérationnelle. A la commission, chacun a son rôle et nous faisons des réunions tous les quinze jours. Nous y discutons des sujets d’actualité et des sujets internes de la CGT. 

2/ Syndicalisme et politique 

J.V. : Quel est le rôle de la CGT dans la vie politique du pays ?

A.F. : Nous n’avons pas de vrai rôle dans la vie politique en tant que syndicat détaché de tous les partis politiques. Il y a des influences de partis politiques dans la CGT et nous avons une influence sur certains partis politiques, mais la CGT n’appelle pas à voter pour un candidat ni pour un parti en particulier. Notre seule limite : l’extrême droite, contre laquelle nous nous opposons véritablement. Il n’y a pas d’obligation ni d’interdiction à appartenir à un parti. Ensuite, nous essayons d’exercer une influence dans les questions qui intéressent les salariés : le code du travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais il n’y a pas d’influence directe sur un parti politique ou un candidat. Nous avons bien sûr des discussions et des relations avec des élus et des partis. Mais il n’y a pas de canal spécifique à cet effet.

P.H. : Plus particulièrement, pensez-vous que la CGT a un rôle important à jouer dans l’élection présidentielle à venir ?

A.F. : Nous avons un rôle à jouer pour amener les questions sociales au centre du débat républicain. Lorsque les questions d’immigration sont mises devant les questions concernant le pouvoir d’achat, nous avons un rôle à jouer. L’immigration n’est pas notre préoccupation ni celle des Français. Nous sommes en revanche attachés au pouvoir d’achat, à l’élévation des salaires. La réalité des préoccupations est plus là que sur le nombre d’immigrés qui entrent en France chaque année. Nous essayons d’amener les questions sociales dans le domaine politique, mais notre rôle n’est pas de soutenir un candidat. Nous mettons en avant nos propositions pour créer un rapport de force politique.

J.V. : M. Martinez a été le premier secrétaire général de la CGT non encarté au Parti communiste au moment de son élection. Pensez-vous que l’engagement politique est nécessaire à l’engagement syndical ?

A.F. : Cela intéresse la vie privée de M. Martinez. La seule limite que l’on fixe intéresse l’extrême droite. Lorsqu’un partisan de la CGT se réclame de l’extrême droite, nous mettons en place une procédure d’exclusion car l’extrême droite est contraire aux valeurs de la CGT. Nos valeurs sont celles de l’internationalisme, du partage et de l’union des travailleurs, et non celles de la stigmatisation et de la discrimination. Mais le fait que M. Martinez est le seul secrétaire général à ne pas être encarté ne nous regarde pas. Il n’y a pas d’obligation d’être de gauche pour être à la CGT, mais nous sommes un syndicat attaché à des valeurs humanistes. 

P.H. : Plus généralement, un syndicat neutre politiquement est-il envisageable ? N’en tirerait-il pas plus de crédibilité, d’influence ?

A.F. : La question est compliquée. Nous ne sommes plus partie prenante du Parti communiste, mais sommes-nous plus forts qu’avant ? Je n’en sais rien. Il y a une tendance de rejet des syndicats dans le monde du travail. Nous nous ramenons plutôt aux réalités du monde du travail et à celles des travailleurs et des travailleuses en France. 

P.H. : La CGT est souvent décrite comme un organisme résolument opposé à Emmanuel Macron, notamment depuis les grèves autour de la réforme des retraites. Pour autant, les anciens Présidents ne trouvaient souvent pas plus grâce aux yeux de votre organisation. Envisagez-vous un jour de soutenir un Président en exercice ?

A.F. : Tout peut arriver. Nous ne soutenons aucun courant et défendons avant tout l’intérêt des salariés. Le Président voulait mettre fin à la retraite par répartition au profit d’un environnement plus capitaliste. Ce n’est évidemment pas compatible avec le point de vue de la CGT. Nous ne sommes pas le seul syndicat opposé à cette réforme. Seul un grand syndicat, la CFDT, soutenait globalement l’action gouvernementale. La majorité des syndicats représentatifs du monde du travail s’opposaient à cette réforme. Nous ne nous opposons pas à M. Macron, mais nous nous opposons aux politiques libérales amenées par M. Macron. Notre mot d’ordre est de défendre la retraite par répartition. Nous voulons une retraite solidaire. 

3/ Un engagement social 

J.V. : La CGT se présente souvent comme une “organisation progressiste contre les idées d’extrême-droite” et en particulier de M. Éric Zemmour. Pensez-vous qu’il faille lutter contre les candidats de l’extrême droite ? Est-ce le rôle d’une organisation syndicale comme la vôtre ?

A.F. : C’est notre rôle et nous n’en démordons pas. Dans l’histoire, les idées d’extrême droite ont nui à la CGT et aux travailleurs. Cela fait partie de notre ADN. M. Zemmour veut réhabiliter Pétain en créant sa propre histoire : ces valeurs – si l’on peut encore appeler cela des valeurs – sont diamétralement opposées aux nôtres. Nous devons dire que le discours de M. Zemmour est largement fondé sur des mensonges. L’immigré ne nuit pas au travailleur. S’il y autant de chômage, ce n’est pas à cause des immigrés, mais du fait de graves problèmes dans le monde du travail. La vraie question est de faire en sorte que l’Etat empêche les licenciements. Les procédures d’exclusion de militants d’extrême droite sont rares et constituent un dernier recours : nous n’excluons que les personnes qui, par exemple, s’affichent sur des listes électorales d’extrême droite. Nous essayons en amont de convaincre, de mettre en place des formations pour combattre les idées d’extrême droite. Nous ne ciblons pas un candidat en particulier, mais des idées. Même Mme Pécresse parle de « grand remplacement ». L’extrême droite est donc un phénomène plus global que les candidatures isolées de M. Zemmour ou de Mme Le Pen.

J.V. : Dans un éditorial publié sur votre site internet, vous affirmez que “l’une de [vos] missions reste de faire progresser les valeurs de la gauche.” Comment comptez-vous y parvenir ? Quelles sont aujourd’hui les valeurs incarnées par la gauche ?

A.F. : C’est la question que j’allais vous poser : quelles sont les valeurs de la gauche ? Nous avons vocation à faire vivre des valeurs humanistes, comme le partage des richesses, le refus de la mise en concurrence des salariés. Avant d’être de gauche, ces valeurs sont humaines. M. Macron se réclamait de la gauche mais a contribué à détruire le code du travail. Les valeurs de gauche sont avant tout philosophiques et je ne les comprends pas bien. C’est sur l’humanisme que l’on se bat, plus que pour un vrai soutien de la gauche. Le jour où un Président de droite défendra la retraite par répartition, et qui œuvrera à une union nationale, nous le soutiendrons peut-être. Cela dépend du positionnement des partis politiques, qui se fait de plus en plus ambigu. Certains partis politiques de gauches deviennent de plus en plus libéraux, et renoncent à certaines valeurs humanistes. Nous l’avons vu avec la répression décidée contre des rassemblements variés comme les Gilets jaunes ou ceux de la CGT. La défense du droit de grève et de celui de manifester se font de plus en plus rares, même à gauche. 

Illustré par Maxence Delespaul

Pauline Haritinian

Pauline Haritinian

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Double diplôme avec l'ISAE Supaero. Membre de KIP, réalisatrice de vidéo et intervieweuse.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024).
Member of KIP, member of the video pole and interviewer.

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.