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DATI | L’IMPROBABLE RÉSURRECTION

Rachida Dati n’est pas un personnage politique consensuel. Au regard des Français, des Parisiens et même de son propre parti, elle est de ceux que l’on adore ou que l’on déteste, que l’on soutient ou que l’on combat. Une seule certitude : elle ne laisse personne indifférent. S’il est bien une chose que personne, y compris ses adversaires politiques, ne peut lui nier, c’est son audace, caractéristique de celle qui fut la porte-flingue de Nicolas Sarkozy durant la majeure partie de son épopée politique.

C’est cette même audace qui l’a poussée, en mars 2019, à briguer l’investiture Les Républicains (LR) pour l’élection municipale de Paris, alors que nombreux étaient ceux qui désiraient dépasser l’ère du sarkozysme et des affrontements fratricides dont Mme Dati était l’une des éminentes représentantes. Mais aussi car beaucoup voyaient déjà Florence Berthout, maire du Ve  arrondissement et cheffe de l’opposition de droite au Conseil de Paris, pilier du conservatisme parisien, investie par le parti pour mener la bataille de la capitale. D’abord vivement contestée — malgré le soutien de Laurent Wauquiez, président des Républicains —, la candidature de Rachida Dati ne peut que s’imposer au lendemain de la débâcle des élections européennes (8,48 % des voix) et surtout avec le départ de Mme Berthout chez les macronistes.

Rachida Dati partait dans cette campagne avec relativement peu d’atouts : un parti qui rechignait à se mettre en ordre de bataille derrière elle, une concurrence accrue de la République en Marche (LREM) chez l’électorat de droite, une maire sortante qui profite de la désunion de l’opposition pour s’envoler en tête des intentions de vote, une réputation clivante qui la précède, une certaine impopularité chez les Parisiens… Les ténors des Républicains qui anticipaient la déroute étaient légion. Mais Rachida Dati parvient à créer la surprise. Et tandis que LREM se déchire entre Benjamin Griveaux et Cédric Villani, et chute dans les sondages, la liste LR opère une véritable remontada et vient chatouiller Anne Hidalgo dans les sondages, là où elle était donnée à moins de 10 % en octobre. La droite se prend à y croire, après 19 ans de domination socialiste de la capitale, qui fut autrefois le quartier général incontesté du RPR[1] chiraquien. Autrefois enfant terrible de la droite, Rachida Dati est devenue à Paris son meilleur espoir et suscite l’enthousiasme des militants.

La percée de Rachida Dati dans les sondages à Paris | Source : Sondages Ifop/Ipsos/Harris/BVA/Odoxa

L’ambitieuse Mme Dati

Tout comme sa rivale de gauche, Rachida Dati est fille d’immigrés et a grandi dans un milieu social ouvrier : son père, marocain, est maçon, et sa mère, algérienne, reste au foyer pour s’occuper de la fratrie de onze enfants. Elle habite d’abord en Bourgogne, mais après deux échecs au concours de médecine et un diplôme en deux ans d’économie de l’Université de Dijon, elle part à Paris pour poursuivre son cursus. Elle obtient une maîtrise en économie en 1992 et commence à travailler sans pour autant véritablement décrocher des études ; elle effectue un virage professionnel lorsqu’elle parvient à intégrer en 1997 l’ENM[2] sur dossier et rejoint deux ans plus tard le corps des magistrats. Partout où elle passe, elle se taille une réputation de forte tête impertinente — elle reçoit même un blâme pour avoir insulté les greffiers. Déjà, il est clair que Rachida Dati n’a que peu faire de la magistrature provinciale où elle est affectée. Elle regarde plus loin : elle pratique ainsi assidûment l’absentéisme pour pouvoir se rendre à Paris, où elle construit et entretient savamment son réseau et exerce un lobbying intense pour entrer au Conseil d’État au début des années 2000, sans succès.

Parmi les politiques, c’est François Bayrou le premier qui la repère en 1994. Celui qui est à l’époque le Ministre de l’Éducation nationale du gouvernement d’Édouard Balladur est alors en quête d’une figure pour incarner la nouvelle mission ministérielle sur la question épineuse du port du voile à l’école. Rachida Dati est la candidate idéale, non seulement du fait de son parcours, de sa personnalité et de ses affiliations politiques, mais également de ses origines maghrébines, qui lui apportent aux yeux du gouvernement une légitimité sur le sujet. Par la suite, elle n’aura de cesse de tenter de se détacher de son milieu d’origine, refusant à tout prix d’être réduite à la figure de la prolétaire immigrée de service : Rachida Dati ne sera la caution sociale ou ethnique de personne, et elle le fait bien comprendre à tout ceux qui croisent sa route. Mais cela ne l’empêchera pas de se servir savamment de son parcours méritocratique pour se mettre en valeur et accompagner son ascension au sein de la droite française.

C’est lorsqu’elle rejoint le cabinet de l’ambitieux Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002 qu’elle entre véritablement dans le jeu politique ; fidèle lieutenante et cogneuse, elle reste à ses côtés tout au long de ses changements de portefeuille et de sa lutte à mort avec Dominique de Villepin[3] pour l’investiture de l’UMP pour l’élection présidentielle de 2007. Comme elle, son protecteur ne provient pas de l’univers de la haute fonction publique, et il affectionne sa forte personnalité. Au moment de la victoire de Nicolas Sarkozy face à Ségolène Royal, c’est l’apothéose pour celle qui fait partie du premier cercle. Le président nouvellement élu la nomme Garde des Sceaux[4] : c’est l’apogée du phénomène Dati. S’enchaînent les couvertures de magazines et les portraits romanesques de cette ministre au profil atypique, qui investit un budget inédit dans les dépenses de communication. Rachida Dati multiplie les réformes ambitieuses, et est sur tous les fronts : instauration des peines plancher, durcissement de la législation sur les poursuites pénales pour les mineurs, bouleversement inédit et recentralisation extrême de la carte des tribunaux… La Ministre est clivante et se met rapidement à dos une grande partie du corps des magistrats dont elle faisait jadis partie et qui descend dans la rue. Seule la création d’une inspection des prisons pour assurer des conditions humaines de détention fait consensus et est saluée par l’ensemble de l’échiquier politique. Néanmoins, le président tient aux réformes ambitieuses de fond, et soutient sa protégée, qui reste en retour en première ligne pour le défendre contre vents et marées.

Le temps du désenchantement

Mais les meilleures choses ont une fin : à peine deux ans après sa nomination, Rachida Dati s’est fait de nombreux ennemis — parmi lesquelles la nouvelle Première Dame Carla Bruni —, et n’est plus aussi attrayante aux yeux du président de la République. En 2008, sentant le vent tourner, elle se parachute[5] à la mairie du VII arrondissement, fief de la droite parisienne. En 2009, elle est poussée hors de son ministère pour participer aux élections européennes : la rupture avec Sarkozy est claire et nette. C’est la fin de l’aventure de l’ex-porte-flingue  dans les arcanes républicaines : désormais, c’est au sein du parti et depuis son quartier général du VIIe que se joueront ses prochaines batailles.

C’est en fait une véritable traversée du désert qui s’ouvre pour Rachida Dati, qui se retrouve candidate malheureuse face à François Fillon pour l’investiture républicaine aux élections législatives de la 2ème circonscription parisienne de 2012. C’est donc sur la mairie de Paris qu’elle reporte son choix ; las, l’ex-Premier ministre de Sarkozy lui dispute encore une fois la nomination, et Nathalie Kosciusko-Morizet en profite pour coiffer les deux rivaux au poteau en devenant la candidate de l’UMP à Paris.

Haïe par les fillonistes, méprisée par les nombreux éléphants du parti qu’elle a bousculés, détestée par les — non moins nombreux — rivaux qu’elle a écrasés sur son passage, Rachida Dati paie le prix de sa personnalité. Celle-ci, qui lui avait ouvert tant de portes sous Nicolas Sarkozy — lequel vient d’être chassé de l’Élysée par le socialiste François Hollande —, lui cause désormais bien des soucis. Et son retour en grâce tardif parmi les sarkozystes n’y fera rien. Elle se replie alors dans sa mairie, où ses combats contre les HLM ont porté ses fruits auprès des habitants et où elle est aisément réélue en 2014. Rachida Dati attend son heure. Pour le moment, ce seront les conseillers municipaux qui devront faire les frais de ses colères légendaires — « Tu veux que je t’en colle une ? » aurait-elle hurlé à l’encontre d’une conseillère qui s’obstinait à voter contre sa proposition de budget en 2011. 

Une cogneuse à Paris

         À l’aube de la décennie, cette heure semble venue. En obtenant l’investiture de son parti, elle sait qu’elle ne doit s’attendre à rien de plus qu’un soutien du bout des lèvres de la part des ténors de LR — et encore, certains refusent même de la soutenir formellement, à l’image du maire du XVe Philippe Goujon. Mais elle n’en a que faire : Dati est habituée à faire cavalier seul et à affronter les résistances les plus fortes. Cette fois-ci ne fait pas exception : elle déjoue les pronostics, parcourt inlassablement les divers quartiers de la capitale et y ressuscite l’affrontement traditionnel gauche-droite, face à une Anne Hidalgo qui la voit comme l’adversaire idéale.

Consciente des nouvelles réalités politiques post-2017, prête à tout pour l’emporter et déterminée à débarrasser Paris d’une maire dont elle parie que l’impopularité dépasse la sienne, Rachida Dati  tourne le dos aux mantras professés par les stratèges LR qui s’inquiètent de la percée du candidat Griveaux. Elle n’hésite pas à se détourner d’un centre déjà bondé par les candidatures macronistes et écologistes  et à faire des appels du pied appuyés à la droite dure et traditionnelle parisienne, qui commençait justement à se sentir orpheline, au moyen de thématiques qui lui sont chères. Plus que des propositions fortes, le pari est fait de se concentrer sur des grands axes ; les mots d’ordre seront : sécurité, propreté, soutien aux automobilistes malmenés par l’équipe municipale actuelle. Au sein de son courant, il semblerait qu’elle ait visé juste. Les ralliements de ceux qui avaient initialement pris leurs distances avec sa candidature se multiplient, avec comme point d’orgue celui de l’ancien chef de l’État Nicolas Sarkozy. Au second tour, Rachida Dati parie sur un score insuffisant des listes LREM pour que le bulletin LR apparaisse comme le seul vote utile à qui veut chasser Anne Hidalgo de son fauteuil.

Une question demeure : est-ce véritablement Rachida Dati, du fait de son efficace campagne de terrain et de sa remontée inattendue, qui provoque tant d’enthousiasme de la part des électeurs de son bord politique ? Ou bien n’est-elle que le médium  que la droite a choisi à Paris pour rappeler à tous qu’ils sont toujours bien présents et ne comptent pas s’en aller de sitôt ?

Au fond, peu importe. Car Rachida Dati n’a jamais été de ceux qui suscitent l’enthousiasme des foules et s’appuient sur de larges mouvements populaires pour assouvir leurs ambitions. Loin des idéologues, cette femme de réseaux, intelligente et redoutable, agit en coulisses et sait se servir de toutes les occasions pour arriver au sommet. Devant elle se profile aujourd’hui une opportunité en or pour accomplir une improbable résurrection et revenir au centre du jeu politique ; et la cogneuse de toujours ne compte pas la laisser passer.


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Sources et renvois

[1] Rassemblement pour la République, parti gaulliste fondé par Jacques Chirac et successeur de l’Union des Démocrates (UDR). [2] École Nationale de la Magistrature. [3] Ministre des Affaires Étrangères  (2002-2005) puis Premier ministre (2005-2007) de Jacques Chirac, Dominique de Villepin fut le grand rival (malheureux) de Nicolas Sarkozy et le dauphin de Chirac pour la succession de celui-ci à l’Élysée. [4] Ministre de la Justice. [5] Vivant jusqu’ici dans le XVIIe arrondissement de Paris, Rachida Dati a recours à la  générosité d’une riche amie qui lui prête un appartement aux Invalides afin qu’elle puisse se présenter aux élections municipales du VIIe.
Martin Terrien

Martin Terrien

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Ancien président de KIP (2020-2021) et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Former president of KIP (2020-2021) and regular contributor.