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Illustration par Julie Omri pour KIP.

Chine – Souriez, vous êtes filmés

Avant de commencer, j’aimerais dire que j’ai beaucoup hésité à écrire cet article ; car parler publiquement de politique chinoise c’est se positionner ouvertement contre un régime oppressif aux tendances totalitaires. J’ai la chance de vivre en démocratie, et j’ai en ce sens choisi de disposer de mon droit d’expression. Je tiens tout de même à m’excuser envers tous mes amis chinois si je les froisse, eux qui m’ont souvent confié être mal à l’aise face au ton moralisateur des Occidentaux à l’égard de leur régime politique. Je souhaite ici simplement rapporter mon vécu, en prenant soin de le re-contextualiser par des chiffres et autres données concrètes, afin de sortir de la bulle subjective de ma propre expérience. Tous les récits d’apparence anecdotique sont réels, bonne lecture. 

Vivre en Chine c’est observer de l’intérieur les rouages de l’un des régimes autoritaires les plus efficaces en ce jour. Subir quotidiennement les crépitements des flashs de caméras, ou encore marcher aux côtés de militaires en formation dans une rue commerçante. 

The magic word

Fraîchement sorti d’un cours de danse – ou de boxe, football ou même maths, vous pédalez dans la nuit vers votre dortoir. Vous venez d’acheter le dernier livre de Michelle Obama et vous en parlez joyeusement au téléphone à votre mère. Or sapristi, impossible de rester connecté plus de deux minutes d’affilée. Tantôt votre téléphone raccroche tout seul, tantôt il s’éteint pour se rallumer sans prévenir. Puis viennent des grésillements qui brouillent la voix de votre interlocutrice. Enfin le son des écouteurs augmente puis diminue tout seul, sans que vos doigts pressent les boutons à cet effet. Bizarre, bizarre, votre téléphone est pourtant en parfaite santé – même pas encore en obsolescence programmée – et vous êtes actuellement en zone urbaine très bien connectée. En balayant de votre esprit la frustration du moment, vous vous rendez compte que votre téléphone ne bugue pas de façon totalement aléatoire. Plus précisément, il commence à dérailler à la prononciation d’un certain mot – un certain Obama. Vous êtes malin et renouvelez  l’expérience en suivant scrupuleusement les règles du Taboo1Jeu de devinette où la prononciation de certains mots est interdite.. Bingo, tout est redevenu normal et vous pouvez de nouveau débiter trois phrases d’affilée.

Je vous vois venir, avec vos sourcils froncés devant votre petit écran de téléphone. “Elle a dû rêver” pensez-vous sûrement. Laissez-moi donc vous conter une seconde anecdote, encore une fois, vécue en pleine conscience.

Interlocuteur fantôme

Dortoir de l’Université Fudan, un mardi soir. Alors que je suis tranquillement au téléphone avec mon amie via WeChat, un étrange soufflement se fait entendre. Une sorte de bruissement léger et rauque à la fois. Vous savez ce grondement de vent énervant quand vous êtes au téléphone dehors ? Sauf qu’à l’inverse d’un bruit continu typique du mistral normand, ce son parasite ressemble plus à un souffle régulier, oui, à une… respiration. Une véritable inspiration suivie d’une courte suspension et d’une expiration. Nul besoin d’un doctorat en biologie pour savoir que la ventilation pulmonaire possède son propre murmure, reconnaissable entre mille autres. Ni mon amie ni moi-même étions à l’origine de cette respiration, d’où le souci. Un troisième interlocuteur, non convié, était tout bonnement en train d’écouter notre conversation, tranquillement. Glaçant n’est-ce pas ? 

Big Brother is watching you

En Chine en 2020, Orwell n’a jamais autant été au goût du jour. Dans le monde magique de Xi Jinping, plus besoin de vloguer vos journées, le Gouvernement collectionne déjà précieusement vos déplacements quotidiens, achats, rencontres et discussions.

18 des villes les plus surveillées au monde se trouvent en Chine .

https://fr.theepochtimes.com/chine-a-population-plus-surveillee-monde-selon-etude-britannique-1477184.html

La Chine va installer 2,76 milliards de caméras de surveillance dotées de reconnaissance faciale d’ici 2022.

https://geeko.lesoir.be/2019/05/20/la-chine-va-installer-276-milliards-de-cameras-de-surveillance/

Ces chiffres faramineux ont de quoi faire peur, d’autant plus lorsqu’on sait que la Chine ne fait pas qu’observer – elle analyse, traite et stocke vos données. Mais vous n’êtes pas seulement surveillés de l’extérieur. Gardez en tête que chaque recherche internet que vous effectuez, chaque message que vous envoyez, est susceptible de tomber entre les mains du PCC.

Précisément, Tencent, le propriétaire de WeChat, l’application aux 1,2 milliards d’utilisateurs actifs, est sous pression du gouvernement et donc fortement incité à faire disparaître tout contenu estimé problématique, de près ou de loin.

Sur la messagerie, la censure s’exerce de deux manières distinctes : un algorithme scrute et filtre les actualités publiques et les supprime en moins de 10 secondes si elles ne répondent pas aux critères du gouvernement. Les messages individuels sont également passés au crible […] la censure s’effectue en temps réel.

Valentin Cimino, https://siecledigital.fr/2019/07/17/wechat-censure-les-conversations-privees-en-temps-reel/

Pourquoi ne pas changer de réseau social, me suggéreriez-vous ? Et bien pour la bonne raison que WeChat est l’application fourre-tout par excellence, un équivalent FacebookInstagramSnapchat-votre porte-monnaie-oui.sncfTrivago. Tout, littéralement tout, se passe via WeChat, même le dernier powerpoint de votre cours d’histoire. Les plus téméraires d’entre vous tenteraient le moteur de recherche Bing. D’expérience je vous le déconseille très fortement pour vos recherches, si vous souhaitez un point de vue un poil plus objectif que celui du Parti.

Pour continuer sur les bonnes nouvelles, l’année 2020 est celle du déploiement à l’échelle nationale du système de crédit social. Véritable outil de surveillance de masse, ce système établit un capital de points par citoyen, en fonction de son niveau de civilité. Vous êtes sages, triez vos déchets et payez vos factures à temps ? Très bien vous gagnez des points. En revanche, vous avez le malheur de traverser la route au feu rouge ? Vous perdez des points. Vous achetez de l’alcool ? Même mécanisme, diling-diling votre capital social est en chute libre. Vous tenez des propos politiquement subversifs ? Vous êtes débiteur défaillant ? N’espérez même pas obtenir le permis de travail hukou des grandes villes si vous venez de la campagne. Par ailleurs, pour punir les citoyens avec des véritables mauvaises notes, le Gouvernement a déjà établi une liste noire, avec à la clé interdiction de déplacement et pénalités financières.

L’on pourrait considérer ce système de points comme la manifestation moderne de la pensée confucéenne. Confucius, il y a quelques siècles de cela disait effectivement que stabilité et harmonie étaient les valeurs-mère du royaume. Personnellement, cela me fait plus penser à Black Mirror qu’aux Classiques de Confucius, mais encore une fois, chacun son avis.

Sources

Laura Parascandola

Laura Parascandola

Etudiante en double master Sciences Po - HEC. Membre de KIP et contributrice régulière.

Sciences Po - HEC dual master student. Member of KIP and regular contributor.