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Candidats à l’élection présidentielle, faut-il miser sur les influenceurs ?

Le 8 décembre dernier, la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, conviait des candidates de téléréalité Place Beauvau pour relayer sur leurs réseaux l’importance de la lutte contre les violences faites aux femmes. Les vidéos sorties de cet échange ont fait polémique. Tout buzz, même mauvais, est-il bon à prendre ? Candidats à l’élection présidentielle, devriez-vous communiquer à travers les créateurs de contenu ?

Il y a quelques semaines, Les Echos titraient : « La présidentielle 2022 se joue aussi sur TikTok1https://www.lesechos.fr/elections/candidats/la-presidentielle-2022-se-joue-aussi-sur-tiktok-1371648 ». Coulisses de leurs tournées promotionnelles, décryptage de leurs programmes ou encore multiplication de références à la pop culture sont autant de nouveaux moyens de communication utilisés par les candidats sur cette plateforme. Loin de préparer une reconversion professionnelle, ils ont bien compris la manne que représente ce réseau social, téléchargé par plus de 15 millions de français dont plus d’un tiers a entre 18 et 24 ans. 

« Contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, on ne supporte pas que la publicité s’immisce dans des endroits qui ne sont pas ceux pas des espaces publicitaires »

Selon Maître Alain Hazan, avocat au barreau de Paris et fondateur du cabinet TAoMa Partners, jusqu’aux années 2010, « les marques elles-mêmes étaient des annonceurs. Aujourd’hui, n’importe qui peut s’inscrire gratuitement sur un réseau social, se créer sa propre communauté et devenir le relais d’une communication commerciale ». Ces publicités qui ne disent pas toujours leur nom posent la délicate question de la transparence.

Il arrive ainsi qu’un influenceur ne révèle pas le lien commercial qu’il entretient avec une marque. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes s’est emparée de la question à propos des youtubeurs qui faisaient la promotion de jeux vidéo2 https://www.challenges.fr/high-tech/ce-que-cache-le-business-des-youtubeurs-stars_16182. Ils les testaient dans leurs vidéos et en vantaient les mérites, sans dire que le jeu leur avait été offert par la marque, avec une rémunération à la clé.

Selon Maître Hazan, « cette pratique correspond à de la publicité mensongère (qu’on dénomme aujourd’hui “ pratiques commerciales trompeuses”) car on ne révèle pas qu’on porte un message qui profite à quelqu’un d’autre qui nous paye ». Elle révèle une autre pratique, la publicité clandestine qui  « est quelque chose dont le droit français a horreur car, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, on ne supporte pas que la publicité s’immisce dans des endroits qui ne sont pas ceux des espaces publicitaires ».

Cette publicité clandestine trompe le consommateur en lui faisant croire qu’il est face à un message désintéressé alors qu’en réalité la personne ne s’exprime pas du tout de façon critique, comme pourrait le faire un journaliste. Les mêmes règles de transparence s’appliquent dans les relations entre la sphère publique et les influenceurs.

Quelles règles de transparence pour les candidats ? 

Interrogé par KIP, Mohamed Mansouri, Directeur délégué de l’Autorité de Régulation professionnelle de la publicité, est formel : « Il faut indiquer si le partenariat a fait l’objet d’une rémunération quelconque. Les règles de transparence sont les mêmes et s’appliquent identiquement à toute personne privée ou pouvoir public ». Par le passé, certains créateurs ont su faire preuve de transparence en la matière mais tous ne sont pas des bons élèves pour autant. Depuis 2018, le gouvernement a pu s’appuyer sur les youtubeurs McFly et Carlito pour communiquer sur les gestes barrières ou encore sur Tiboinshape pour faire la promotion du contesté Service National Universel (SNU). Cette communication n’est pas critiquable dès lors que le spectateur est conscient que ces personnalités ont fait l’objet d’une rémunération pour de telles opérations de promotion.

Tour d’horizon des créateurs de contenus sur lesquels pourraient s’appuyer les candidats 

Dans le cas de McFly et Carlito, il n’y aurait pas eu de rémunération et cette séquence s’inscrirait dans la communication gouvernementale. Dans le second cas, en revanche, le youtubeur faisant la promotion du SNU aurait fait l’objet d’une rémunération dont les modalités demeurent inconnues. Dans le cadre de cette vidéo, un encart « inclut une communication commerciale » figure pendant les vingt premières secondes uniquement. Les vidéos en partenariat avec l’Armée de terre ne font quant à elles pas l’objet de cette mention et Tibo a répondu à la polémique. Dans une vidéo de réponse publiée sur sa chaîne Youtube, il estime que : « quand l’armée me rémunère, elle utilise son budget communication. Personne ne s’offusque de voir une affiche Armée de terre dans la rue ou une publicité à la télévision »3https://www.youtube.com/watch?v=bLkQxpOO700. Cette justification n’est pas suffisante pour le consommateur-spectateur. Si une affiche dans la rue ou à la télévision s’inscrit dans un espace publicitaire clair, il n’est pas possible d’en dire autant pour les contenus publiés sur les réseaux sociaux. Sur Youtube, Tiktok ou Twitch, la publicité est intégrée dans la vidéo en elle-même : la coupure publicitaire n’est pas toujours clairement annoncée et se trouve souvent mêlée au contenu divertissant. Il devient alors difficile de distinguer le contenu proposé de la publicité inhérente à la vidéo.

Des prescripteurs d’un nouveau genre 

Il existe également des créateurs de contenu qui court-circuitent les médias traditionnels. Ils ne sont pas journalistes, n’ont pas de carte de presse et n’ont pas suivi des cours de déontologie journalistique. Pour autant, ils cumulent des centaines de milliers d’abonnés, toutes tendances politiques confondues. C’est le cas, par exemple, de GaspardG et ses 222 000 abonnés sur Youtube, ou d’ HugoDécrypte qui en totalise 347 000. Relayé par le journal Le Monde, Hugo reconnaît que  les créateurs de contenus « ont une responsabilité » et « ne doivent pas prendre à la légère leur association à des personnalités politiques »4https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/01/09/les-influenceurs-nouvel-outil-de-communication-du-gouvernement_6065730_823448.html. Selon Maître Hazan, ces nouveaux leaders d’opinion n’ont pour cadre juridique que « les limites fixées par le droit pénal, c’est-à-dire, par exemple, ne pas inciter à la haine raciale ».

D’autres créateurs ont émergé ces dernières années avec une ligne politique plus radicale. Ici encore, « ces influenceurs, qui n’ont signé aucun partenariat avec une personnalité, ne sont soumis qu’aux limites fixées par le droit pénal général et jouissent au même titre que les autres de leur liberté d’expression », selon Maître Hazan. Il arrive pourtant que ces créateurs dérapent comme Papacito, de son vrai nom Ugo Gil Jimenez, qui s’est illustré, en juin dernier, dans une vidéo mettant en scène la mise à mort d’un mannequin déguisé en « gauchiste ». Cette simulation d’exécution a été visionnée plus de 100 000 fois et le Parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête à l’encontre du vidéaste pour « provocation publique non suivie d’effet à la commission d’atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes ». 

« Je parle avec des mots simples » : le pari gagnant de Magali Berdah

Il y a enfin des ovnis de l’influence qui proposent un contenu politique, là où le public ne s’y attendait pas. C’est le cas de Magali Berdah, manageuse de stars de téléréalité et suivie par près d’un million de personnes sur Instagram. La manageuse d’influenceurs fait figure d’inclassable parmi les créateurs de contenu connus du grand public. Sa première vidéo sur Youtube vient tout juste de sortir en janvier dernier et détonne par un nouveau format. Dans une vidéo de 35 minutes, Magali Berdah suit le candidat Eric Zemmour pendant une journée. Ce premier épisode d’une série d’immersions auprès de chaque candidat totalise aujourd’hui près de 500 000 vues. Dans cette vidéo, elle interroge le directeur numérique de campagne du candidat, Samuel Lafont. Celui-ci a pour mission de faire en sorte que le candidat « soit le plus vu sur internet, que chacun puisse le connaître et se l’approprier ». Ce nouveau format proposé par Magali Berdah est un tour de force. Issue du marketing d’influence, les codes de la vidéo relèvent pourtant plus du décryptage de programme. Loin du strass et des paillettes, ces vidéos ludiques sont un excellent moyen de poser aux candidats des questions qui peuvent paraître simples mais que bon nombre de français se posent.

« Liker » un post d’un candidat ou le relayer ne signifie pas pour autant le cautionner.

Entre les créateurs de contenu qui proposent un contenu divertissant et apolitique, ceux dont la ligne de création est purement politique et ceux qui flirtent ponctuellement avec les candidats, il peut être difficile de choisir vers quel créateur se tourner. Un candidat doit choisir avec le plus grand soin l’influenceur avec lequel s’associer. Le fruit de cette collaboration est difficile à mesurer.  Tout dépend d’abord du contenu du message, qui peut aussi bien créer un buzz positif que négatif : « liker » un post ou le relayer ne signifie pas pour autant le cautionner.

 Par ailleurs, pour Idris Fassassi, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, « la campagne est à la fois le moment de l’action, mais aussi celui de la conviction, de la persuasion et, in fine, de la délibération. Il y a ainsi dans la campagne électorale elle-même une confrontation de deux logiques, et un rapport au temps court et temps long »5Boyadjian Julien, Theviot Anaïs, « Chapitre 12. La politique à l’heure des réseaux sociaux », dans : Thomas Frinault éd., Nouvelle sociologie politique de la France, Paris. En d’autres termes un contenu isolé ne saurait suffire pour emporter une adhésion du spectateur et il faudrait alors que celui-ci soit confronté à plusieurs contenus similaires du candidat pour obtenir ce graal de la « délibération ». 

Candidats à la présidentielle, vous l’aurez compris, cette campagne se jouera sur tous les fronts des réseaux sociaux. C’est à vous qu’il revient d’en comprendre les codes pour convaincre cinq nouvelles générations d’électeurs qui n’étaient pas en âge de voter en 2017. 

KIP remercie vivement Maître Alain Hazan et Monsieur Mohamed Mansouri pour leurs précieux éclairages. 

Illustré par Athénaïs Giscard d’Estaing

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Athénaïs Giscard d'Estaing

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris et en Master de Droit des Affaires à la Sorbonne (Promotion 2024). Membre de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris and in Master in Business Law at Sorbonne University (Class of 2024). Member of KIP and regular contributor.