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Réforme Blanquer : l’éducation en panne, bientôt en marche ?

Enfin l’on s’attaque à des problèmes de fond à l’Éducation nationale, et cela semble en rassurer plus d’un. Avec une palette de propositions à court et long terme, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer a annoncé en février une restructuration profonde du système éducatif français, qui devrait véritablement évoluer dès 2021. Réforme du bac, remodelage de l’orientation des lycéens, promotion de l’égalité, toutes ces questions sont abordées par la réforme.

D’abord des mesures à court terme ont été annoncées, parmi lesquelles la décision de réinstaurer le grec et le latin ainsi que les classes bilingues. Cela fait évidemment honneur à notre culture, mais également à notre compréhension des mots, du sens qu’ils portent et qui s’explique souvent par leur étymologie. Par ailleurs, loin de renforcer les inégalités entre élèves comme le suggèrent certains, la renaissance du grec et du latin vise à permettre aux élèves de banlieue de se différencier de leurs camarades des lycées cotés. Aussi, les lycées bilingues visent-ils à créer un multilinguisme chez les étudiants français, objectif qui est également important du fait de notre identité européenne.

Jean-Michel Blanquer a annoncé la poursuite d’un objectif important de campagne d’Emmanuel Macron : réduire le nombre d’élèves dans les classes de primaire [1]. Le ministre a souligné l’importance toute particulière de l’éducation des très jeunes. Aujourd’hui, les données montrent qu’à la sortie du primaire, une importante part des écoliers n’a pas confiance en elle et a un vocabulaire réduit, ces différences recoupant souvent en plus des inégalités socio-économiques [2, 3]. En étant dans une classe à plus petit effectif, il semble raisonnable d’affirmer que les élèves seront plus à l’aise et plus sollicités par leur professeur. Leur professeur sera lui aussi plus performant puisqu’il travaillera dans de meilleures conditions. C’est un cercle vertueux qui devrait apparaître : les professeurs ont plus de temps pour les élèves, apprennent à mieux les connaître, saisissent leurs particularités et, en conséquence, les aident à mieux s’intégrer, à se faire comprendre, et à maximiser leurs performances. L’objectif du gouvernement est que les enfants sortent du primaire plus confiants, plus épanouis et avec une meilleure maîtrise du Français que ce n’est le cas aujourd’hui. [4]

Le nombre de lycéens qui décrochent est assez élevé dans le système français (13 % de tous les élèves du secondaire chaque année) [5], classant le système français comme l’un des plus inégalitaires en Europe occidentale selon l’étude Pisa [6]. Souvent, les jeunes qui décrochent le font après la troisième, période à laquelle ils valident ou non leur Brevet des collèges. L’une des raisons du décrochage est le manque de confiance en soi, ajouté à une médiocre acquisition des fondamentaux du primaire et du collège. Des solutions existent pourtant comme, par exemple, augmenter le nombre d’heures d’éducation physique, une mesure qui pourrait avoir des effets très positifs sur les jeunes. Nombre d’entre eux déclarent en effet que le sport les aide à être plus efficaces dans leurs activités quotidiennes, mais aussi à travailler leur confiance en eux, notamment grâce aux échecs et aux victoires qui leur apprennent à relativiser. Il est aujourd’hui nécessaire de se demander ce qui peut être amélioré ou modifié dans le primaire et le secondaire afin que chaque élève se sente à sa place, à l’aise lorsqu’il est à l’école, que ce soit dans les zones urbaines, rurales, riches, modestes ou défavorisées.

Enfin, se pose la question de la qualité de l’enseignement en France. Avec quatre mois de vacances, la France est l’un des pays ayant le rythme de travail le plus élevé mais aussi le plus grand nombre de vacances en Europe [7]. Il serait judicieux de réduire le temps de vacances de manière à allonger le temps de travail des élèves. L’on intègre mieux ce que l’on apprend lorsqu’on l’apprend sur une plus longue période. On sait que les professeurs sont au centre de la société, car c’est sur eux que se fonde son avenir. Aujourd’hui, nombre d’entre eux se sentent méprisés par une faible reconnaissance de la part des élèves et un salaire très peu attractif [8]. En effet, un professeur du secondaire gagne en moyenne 29 000 euros net par an, là où un professeur en Allemagne obtient quasiment le double. La question de la rémunération des professeurs est d’autant plus centrale que la valorisation du métier d’enseignant, serait à revoir dans le cadre d’une amélioration de l’engagement et de la productivité des professeurs. Jean-Michel Blanquer, interpellé sur ces questions, a indiqué que le gouvernement se pencherait sur cette question [7].

La réforme de l’éducation comporte donc de nombreuses mesures à court terme. Son principal élément est néanmoins la révision du baccalauréat, dont la forme évoluera dès 2021.

Le tronc commun sur lequel chaque élève pourra greffer des spécialités en Première et en Terminale semble être une bonne idée, d’autant plus que les spécialités sont variées et proposent différents niveaux d’approfondissement pour une matière. Dans le système actuel, un étudiant ne choisit que rarement une filière parce que toutes les matières l’intéressent, il choisit malheureusement souvent par défaut. S’il aime les mathématiques, il doit aussi étudier de la physique et des sciences de la vie et de la terre, bien qu’il puisse ne pas aimer ces deux matières. La réforme portée par Jean-Michel Blanquer vise à rendre aux élèves le droit de décider pour eux-mêmes. Elle vise aussi à les responsabiliser et à leur permettre de s’épanouir dans l’étude de matières qui leur plaisent. Apprendre par passion et non plus par élimination résume plutôt bien l’idée.

Cependant, la réforme n’est pas rose et amène plusieurs problèmes. D’abord, il semble dommage que le tronc commun ne comprenne pas les mathématiques et l’économie. Il ne faut pas s’étonner qu’une bonne partie des Français soit perdue dans le débat public lorsqu’il s’agit de débattre sur des questions d’ordre économique si le système éducatif n’enseigne l’économie qu’à 20 % de ses élèves [10]. Emmanuel Macron n’a eu cesse de souligner les enjeux actuels d’une France qui doit garder son identité propre dans un système mondialisé qui l’englobe et qui évolue constamment. Comment comprendre la place de la France dans le monde, la politique européenne et étrangère de la France sans avoir de connaissances en économie ?

Ensuite, la réforme de l’enseignement secondaire pose, à son tour, la question de la réforme de l’enseignement supérieur. Si un élève voulant intégrer une école d’ingénieur doit aujourd’hui obtenir un baccalauréat scientifique, on se demande quelles spécialités il devra étudier dans le nouveau système. Les élèves auront la possibilité de choisir leurs spécialités en fonction de leurs envies, mais à quel prix ? Des éclaircissements sur cette question devraient être apportés.

Un autre point est celui du grand oral proposé par le ministre. Cette nouvelle épreuve, qui serait l’aboutissement de deux années d’un « projet personnel », est une proposition qui reste encore vague à l’heure actuelle. Si l’on veut mettre les moyens dans ce nouveau système, pourquoi n’organiserait-on pas un oral dans plusieurs matières, en mathématiques, en géopolitique et en philosophie ? Ce type d’oral semble favoriser l’acquisition d’une aisance à l’oral, mais aussi de compétences comme la concentration, la réflexion dans le stress, la structuration des idées dans un plan concret, bref une mise à l’épreuve productive. Alors pourquoi ne pas l’intégrer au lycée ?

L’idée d’un contrôle continu en Première et en Terminale est judicieuse, dès lors qu’aujourd’hui, on ne sait pas si le résultat des élèves est lié à leur chance à l’examen ou à leurs véritables compétences. Cela mène à un décalage entre le diplôme de l’étudiant, ses connaissances et ses capacités réelles. Nul n’ignore que le baccalauréat s’est dégradé ces dernières années, et le contrôle continu, parallèlement à un renforcement du niveau au lycée, devrait aller dans le sens de sa réappréciation.

Aussi, si l’on veut redonner une profonde valeur au baccalauréat, il s’agirait de limiter les très bons résultats qu’on octroie aujourd’hui, en durcissant le barème de notation, comme c’était le cas il y a plusieurs décennies. Jean-Michel Blanquer lui-même a obtenu une Mention assez bien, alors même qu’il avait majoré en économie dans son académie. Pour rendre de la crédibilité au baccalauréat, il faut repenser une attribution plus restrictive des mentions.

Avec de telles mesures, le système éducatif français se réinvente, alliant matières innovantes et système de contrôle des étudiants approfondi. Des sondages réalisés par Ipsos montrent qu’une grande majorité des Français se réjouit de cette réforme, preuve que la nécessité de repenser le primaire et le secondaire n’est pas nouvelle. Reste à savoir si le gouvernement actuel verra ses efforts poursuivis par le prochain gouvernement qui succédera à l’équipe d’En Marche, mais aussi à savoir si le ministère de l’Éducation parviendra à opérer avec succès cette transformation du système éducatif.

Illustration : M. Blanquer, M. Réforme
Montage d’Hugo Sallé pour KIP

Sources et renvois

[1] Programme de campagne d’Emmanuel Macron, accessible ici
[2] Observatoire des inégalités en France, « Retard scolaire : le grand écart entre milieux sociaux », 19/09/2014 (données de l’INSEE)
[3] Nathalie Oubrayrie et Odette Lescarret, « Pratiques éducatives, estime de soi et compétences cognitives », Persée, 1997
[4] Le gouvernement souligne l’objectif de maîtrise du Français dans « Niveau de lecture : maîtriser le français, une exigence pour la réussite de tous », 06/12/2017
[5] Mattea Battaglia, « Décrochage scolaire : les taux de sortie du système sans diplôme en baisse », Le Monde, 08/12/2017
[6] Anna Benjamin, « Pisa 2015 : la France, 27e du classement, reste la championne des inégalités », L’Express, 06/12/2016
[7] Aurélie Collas, « La France reste le pays de l’OCDE avec le moins de jours d’école », Le Monde, 24/11/2015
[8] OCDE, Salaires moyens des professeurs dans chaque pays de l’OCDE
[9] L’Émission politique, France 2, 12/02/2018
[10] Vincent Poumier, « Le bac en chiffres : le saviez vous ? », L’Étudiant, 11/06/2010
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Bastian Kourim

Étudiant en L3 à HEC Paris. Contributeur occasionnel pour KIP.
Student in L3 at HEC Paris. Writes occasionally for KIP.