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Illustration par Henri Loppinet pour KIP

Athlétisme : des Mondiaux qui auront malheureusement tenu toutes leurs promesses

Événement phare de la saison d’athlétisme, les Championnats du Monde se déroulant à Doha n’ont absolument pas levé les doutes qu’ils avaient suscités après l’annonce du pays d’accueil : le Qatar. Fortes chaleurs, tribunes vides, menace d’annulations d’épreuves, presque toutes les limites du projet qatari mises en avant par les critiques ont malheureusement tenu toutes leurs promesses. Explications.

Un fiasco sur les pistes…

41 %. C’est le taux de marathoniennes contraintes à l’abandon lors de l’épreuve reine du fond pour les femmes, soit vingt-huit athlètes parmi les soixante-huit participantes. Cette statistique lamentable illustre parfaitement le calvaire qu’ont vécu les athlètes pendant ces mondiaux. Si les épreuves dans le Khalifa Stadium ont été moins affectées par les fortes chaleurs, les épreuves au cœur de Doha ont offert des conditions dantesques mais surtout dangereuses pour les athlètes : des taux d’humidité qui ont dépassé toutes les prévisions (plus de 80 %), des températures qui ont régulièrement dépassé les 40°. Pour les spectateurs, il n’était pas possible de se balader dans les rues de Doha dans de telles conditions. Alors, difficile d’imaginer des athlètes en plein effort supporter de telles conditions… Et pourtant !

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Photo EPA / Giovanni Epis, marathonienne italienne contrainte à l’abandon.

Si les organisateurs qataris avaient promis des conditions climatiques acceptables grâce au report de la compétition au mois de septembre (traditionnellement organisés en août), celles-ci sont restées inadaptées pour des performances sportives de haut-niveau. Quelques jours avant le commencement de ces Mondiaux et avec l’évidence des conditions météorologiques, la Fédération Internationale a même évoqué l’hypothèse de l’annulation des marathons et du 50 kilomètres marche, ce qui aurait été inédit dans l’histoire de l’athlétisme. « Déjà en organisant les Championnats du monde à Doha, on savait très bien qu’il n’allait pas faire 20 degrés. On sait qu’il fait très chaud à cette période de l’année. Ce n’est pas nouveau. C’est bien de se réveiller trois jours avant. Donc c’est un peu du grand n’importe quoi ! » s’était alors insurgé le triple champion d’Europe et champion du monde du 50 kilomètres marche Yohann Diniz. Même son de cloche auprès du recordman du monde du décathlon Kevin Mayer : « on n’a pas vraiment mis les athlètes en avant en organisant les Championnats ici, on les a mis en difficulté. À nous de ne pas faire les princesses et d’y arriver mais c’est sûr que l’on n’est pas du tout dans les bonnes conditions pour faire des performances. » Peut-être aurait-il été préférable pour l’intégrité des sportifs de ne pas disputer ces compétitions tant les conditions de course étaient terribles. Mais était-il vraiment possible d’annuler un tel événement trois jours avant celui-ci, alors que les athlètes s’y préparent sans relâche depuis plusieurs années ? Sûrement pas. Comment imaginer que ce scénario n’est pas été envisagé avant ? Est-il normal que la fédération internationale d’athlétisme se retrouve bloqué devant un tel problème à quelques jours de l’échéance et soit contrainte de mettre en danger ses athlètes ? La responsabilité des organisateurs est sans appel. La volonté des Qataris de ne pas perdre la face en annulant une épreuve en est la première raison et c’est inadmissible que cela prévale sur la sécurité et la décision sportive.

… et hors de la scène sportive

Le bilan n’aura été guère plus reluisant en dehors des pistes, où les organisateurs qataris n’auront donc pas réussi à susciter quelconque engouement. Tout d’abord, le Khalifa Stadium, lieu central des Championnats du Monde, peinait à atteindre des taux de 20 % d’affluence. Lors de l’épreuve phare des mondiaux, le 100 mètres Homme, il n’y avait que 8 000 spectateurs selon les estimations. On était bien loin des 48 000 places disponibles dans le stade. Difficile de ne pas être choqué par les milliers de sièges libres facilement visibles à la télévision et par le troisième niveau du stade bâché alors que cet événement est censé attirer les regards du monde entier… Ce faible remplissage du stade a même provoqué le report d’une cérémonie des médailles (celle du Qatari Mutaz Barshim, pourtant événement national !). C’est d’autant plus grotesque que les prix des billets ont progressivement été baissés afin de toucher un public large, jusqu’à descendre à un prix de 15 € le billet ! Un prix risible aux vues de l’ampleur prétendue de l’évènement !

Photo DPA / Des tribunes aux couleurs du Qatar… grâce aux couleurs des sièges vides !

Les Qataris ont alors essayé de sauver la face. Tout d’abord, ils ont tenté de justifier cette faible fréquentation par « les horaires tardifs des épreuves imposés par la télévision », ce qui pouvait quelque peu se justifier avec des journées de compétition commençant seulement à partir de 17 h, heure locale. Mais ils n’ont pas non plus hésité à annoncer des taux de fréquentation mensongers avoisinant les 70 % dans un communiqué datant du 27 septembre. Une tentative de fuite en avant qui n’a dupé personne. Enfin, coup de grâce, alors que le comité d’organisation semblait concéder les faibles affluences du troisième jour, les tribunes du Khalifa Stadium se sont subitement remplies dès le lendemain. Un taux d’affluence qui frôla en effet les 70 % et des dizaines de groupe de jeunes aux couleurs du Qatar qui remplirent les gradins. Des amoureux de l’athlétisme ? Évidemment que non. Des étudiants, militaires, travailleurs émigrés, gentiment invités à remplir les tribunes du Khalifa Stadium. Si l’objectif était de faire face aux critiques des observateurs, cette grossière manipulation n’a fait que ridiculiser un pays organisateur dépassé.

Mais au-delà de ce faible engouement sur place, les audiences télévisuelles témoignent également d’un intérêt bien plus faible qu’à l’accoutumé pour cette compétition. Pour preuve, l’audience à l’heure du 100 mètres homme était de 2,4 millions de téléspectateurs, là où les Mondiaux de Londres en 2017 avaient une moyenne de 2,8 millions de Français ! Bien loin de cette moyenne, France Télévision a peiné avec une moyenne de 1,8 millions de téléspectateurs, et s’est placé à une décevante quatrième place au classement des audiences françaises.  Si cela peut s’expliquer par la tenue tardive de l’événement, la plaçant dans un créneau d’audience bien plus concurrencé qu’au cœur de l’été, on ne peut se contenter de cette explication. Cette décevante édition a également découragé bon nombre des amateurs de sport de s’intéresser à cette compétition.

Un échec retentissant pour le soft power qatari 

Avec ces Championnats du Monde, le Qatar entendait donner une autre dimension à son soft power en misant sur le sport. En effet, depuis les années 1990,  les Qataris ont progressivement mis le sport au cœur de leur stratégie d’influence mondiale, en organisant de plus en plus d’événements sportifs d’ampleur modeste (on peut citer l’ATP 250 de Doha depuis 1993 ou encore le Doha Diamond League, meeting internationale annuel d’athlétisme depuis 1997), puis en investissement dans des clubs professionnels tels que le Paris-Saint-Germain. Mais ce n’est que récemment que ce pays du Golfe a commencé à organiser des événements d’envergure. Si les Championnats du Monde de handball ont bien eu lieu dans le pays de l’émir Al Thani, ces Mondiaux bien plus médiatisés devaient impressionner les observateurs du monde entier.

Mais bien pire que cet échec organisationnel, ces Mondiaux laisseront des traces. Loin de présenter le Qatar comme un pays avec lequel le monde du sport doit désormais composer, ces Championnats du monde ont renforcé l’image d’un pays qui cherche à intégrer un monde de passionné à coup de projets faramineux. Ce qui ne plaît bien sûr pas à grand monde. Force est de constater qu’il m’était pénible de regarder les différentes épreuves tant j’avais l’impression de voir des athlètes pris au piège dans une compétition qu’ils ne pouvaient pas rater, mais dans une atmosphère et dans un pays qui s’éloignent en tout point de ce que représente le sport. Privilégier les retombées économiques et l’expansion du soft power sans prendre en considération la passion des sportifs et la bonne tenue des événements ne peut pas laisser place à la magie du sport. Ce n’est pas Kevin Mayer qui dira pas le contraire : « C’est triste. Il faut laisser la place à la raison et plus se concentrer sur la passion sinon j’aurais boycotté ces Championnats. »

Près de trois ans avant la Coupe du Monde de football, le Qatar se retrouve une nouvelle fois sous le feu des critiques et devra convaincre pour cet événement extrêmement attendu. Déjà fortement critiqués en raison des conditions de travail proposés par le pays pour la construction des stades, les Qatariens se retrouvent sous la pression. L’appel de Jean-François Debat et Régis Juanico, respectivement maire de Bourg-en-Bresse et député de la première circonscription de la Loire, au boycott de cette compétition est symptomatique de cette défiance qui s’accroît sur le pays du Golfe. Si le Qatar ne veut pas connaître un désastre dans trois ans à l’occasion de l’évènement sportif le plus suivi au monde après les Jeux Olympiques, il faudra tirer les leçons de cet échec retentissant. Les températures seront certes sans doute moins élevées (la Coupe du Monde se déroulera en novembre/décembre) mais il sera sans doute compliqué de résoudre le problème des tribunes vides. Il ne sera pas possible de transformer le Qatar en un pays de football, même si les clubs qataris tentent de créer une dynamique positive en attirant de grands noms, comme Xavi Hernandez, champion du monde et désormais entraîneur d’Al Sadd. Comme un symbole, le football au Qatar ne vit que par le biais des hautes sphères formées par les dirigeants, et malheureusement beaucoup moins sur le terrain et dans les tribunes. Si les Qataris veulent réussir leur Coupe du Monde, ils ne pourront pas composer sans engouement populaire, comme en ont attesté les Championnats du Monde d’athlétisme. Et aussi puissant soit-il, l’argent ne peut pas acheter la passion des supporters. C’est pourquoi j’espère être surpris dans trois ans, mais je ne me fais que peu d’illusions sur cette prochaine Coupe du Monde.

Reste à voir si cet avertissement des Championnats du Monde d’athlétisme sera pris au sérieux par les décideurs du monde du sport et les poussera à trouver une solution miracle. Mais pourvu que ne soit pas sacrifié l’essence même du sport : la passion.

Henri Loppinet

Henri Loppinet

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Vice-Président de KIP (2020-2021).

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Vice-President of KIP (2020-2021).

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