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Il faut sauver l’accord sur le nucléaire iranien !

Vendredi 20 octobre 2017, Donald Trump annonçait ne pas certifier l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015 par six grandes puissances avec la République Islamique d’Iran. Cette décision laisse la balle dans le camp du Congrès qui décidera ou non de renforcer les sanctions à l’encontre de l’Iran. Le président américain a annoncé qu’un accord ne pouvait être dans l’intérêt des Etats-Unis qu’à condition que les agissements de l’Iran dans sa sphère régionale soient également pris en compte. Mais cette décision, Donald Trump ne s’en cache pas, vise à détricoter tout ce que son prédécesseur, Barack Obama, a réalisé en huit ans. C’est aussi dans le but de satisfaire le cœur de son électorat que Donald Trump a choisi d’agir ainsi, alors que ceux-ci ne savent probablement même pas placer correctement l’Iran sur une carte. Il fait ainsi resurgir le spectre du chaos au Moyen-Orient, alors qu’avec Daesh et le Kurdistan, le monde a déjà bien assez de problèmes à régler dans cette région. Et non, l’ego d’un président américain dont le pouvoir de nuisance n’est plus à démontrer, ne doit pas pouvoir changer à elle seule la donne internationale.

Certes, la position de Trump n’est pas dénuée de toute logique stratégique, au-delà de ses enjeux politiciens et électoraux. En effet, pourquoi l’Iran a-t-elle accepté cet accord, alors même qu’il réduit drastiquement son programme nucléaire qu’elle semblait jusque-là vouloir mener à son terme ? N’oublions pas que l’Iran y voit un moyen d’assurer sa pérennité dans la région (comme la Corée du Nord de son côté), de faire pression sur ses concurrents régionaux et de menacer le principal allié du Grand Satan, Israël. Or le grand avantage de cet accord qui semble réduire à néant son programme de nucléaire militaire est de lui faire gagner du temps et de lui offrir une nouvelle virginité. Il pourrait tout à fait s’agir d’une manœuvre dilatoire visant à rassurer l’Occident pour pouvoir reprendre le programme dans une situation plus favorable. Le pari du régime des mollahs semble être d’améliorer la situation économique du pays par la levée des sanctions et donc l’ouverture du pays aux investissements et la relance des exportations de pétrole iranien. Tout en recouvrant sa santé économique, l’Iran pourrait accentuer sa présence dans « l’arc chiite » (Irak, Syrie, Liban, Yémen). Ainsi, au bout de quelques années, l’Iran pourrait se sentir assez fort pour relancer son programme et mettre la communauté internationale devant le fait accompli. Cette thèse est notamment défendue par Henry Kissinger dans son dernier ouvrage, World Order. S’il ne dénonce pas en bloc l’accord signé avec l’Iran, il rappelle tout de même que les modérés iraniens, au pouvoir actuellement avec le président Rohani, sont tout aussi conscients de l’enjeu de puissance autour de l’arme atomique. Ils sont simplement plus réalistes dans leur approche des relations internationales que les tenants de la ligne dure autour de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad.

Donald Trump n’a pas tort non plus, une fois n’est pas coutume, lorsqu’il souligne le fait que cet accord ne lie pas les mains au régime iranien au Moyen-Orient. Bien au contraire, l’Iran a redoublé d’efforts ces dernières années, que ce soit en Irak où il soutient le gouvernement de Bagdad, en Syrie où gardiens de la révolution et miliciens du Hezbollah combattent aux côtés de troupes de Bachar el-Assad, ou au Yémen où Téhéran finance la rébellion des houthis. Et le fait qu’un modéré occupe le poste de président iranien n’y change apparemment pas grand-chose. Le rôle des gardiens de la révolution, dénoncé lui aussi par Trump, n’est pas non plus un argument infondé puisque ces troupes d’élite confondent sans états d’âme la défense de la révolution iranienne et son exportation dans les pays voisins.

Mais malgré cela, les avantages que la communauté internationale a retirés de l’accord sur le nucléaire iranien sont bien trop importants pour être simplement sacrifiés. La prolifération nucléaire iranienne a été stoppée et cela est déjà un grand pas en avant. Pendant une quinzaine d’années, la communauté internationale a tremblé à l’idée que l’Iran puisse un jour menacer ses ennemis de destruction nucléaire ; elle a vécu au gré des interventions plus ou moins remarquées du Mossad et de ses virus informatiques (Stuxnet en 2010). Le cas très brûlant de la Corée du Nord montre bien que la communauté internationale a davantage à craindre d’une puissance qui court à rythme effréné vers l’arme atomique. Si l’argument voulant que l’Iran use du répit conféré par l’accord pour se renforcer et relancer sa recherche nucléaire en temps voulu n’est pas négligeable, n’oublions pas de constater ce que l’accord a apporté concrètement à l’Iran comme aux autres Etats en deux ans. Cet accord a considérablement renforcé le camp modéré qui gouverne avec le président Rohani depuis 2013. Grâce à cet accord, l’Iran a commencé à relancer son économie, notamment avec un doublement des exportations de pétrole, et a signé de nombreux contrats avec des entreprises étrangères en vue de la création de joint-ventures, dans le secteur automobile en particulier. Le renforcement du camp modéré est apparu clairement lors des élections législatives iraniennes de 2016 et les présidentielles de 2017, qui ont vu la victoire du pôle modéré-réformateur et la réélection dès le premier tour du président Hassan Rohani. Fort de ce large soutien, ce dernier a engagé un bras-de-fer avec les gardiens de la révolution, visant à les déposséder d’un certain nombre de leurs prérogatives et ainsi assainir l’économie. Ils détiennent en effet des pans entiers de l’économie, ce qui aggrave non seulement la corruption mais donne aux États-Unis un argument pour limiter l’afflux de capitaux étrangers. Or l’action du président a pour l’instant le soutien du guide suprême Ali Khamenei, véritable détenteur du pouvoir en Iran… ce qui n’est pas une mince affaire ! La levée d’un certain nombre de sanction ne peut que libérer l’économie nationale et ainsi renforcer le soutien de la population envers la ligne d’ouverture des modérés. Rien ne serait pire qu’un renforcement des sanctions qui mettrait à bas toutes les promesses du président et enverrait les électeurs dans les bras de populistes de l’acabit d’Ahmadinejad. Ce n’est qu’en favorisant la croissance et ainsi la création d’emplois que l’on peut espérer gagner à l’occident une population dans l’expectative.

Dès lors, si les Américains se désolidarisent de cet accord historique, pourquoi les suivre sur cette voie, alors que tout pointe dans la direction opposée ? Bien au contraire, l’Europe doit voler de ses propres ailes et cesser de suivre les États-Unis dans tous ses errements géopolitiques.

Il y a d’abord un enjeu économique de première importance. Nombreuses sont les entreprises françaises et européennes qui se sont lancées dans des investissements en Iran, bravant les restrictions concernant les transactions en dollars. PSA, Renault et Volkswagen ont signé des accords avec des constructeurs locaux, tandis que Total s’est lancé dans l’exploitation du gisement gazier de South Pars aux côtés de CNPC et de la NIOC (National Iranian Oil Company). Les Américains ne pourront faire croire à personne que les sanctions qu’ils imposeraient seraient dans l’intérêt de toutes les parties. Il paraît clair que la politique des Etats-Unis vis-à-vis de l’Iran est aussi liée à la crainte de voir des entreprises étrangères et notamment européennes prospérer sur des marchés auxquels ils n’ont pas accès. Une telle situation s’était déjà produite en 2000, lors de la première série de sanctions. Les Européens avaient alors fait preuve de fermeté et arraché aux Etats-Unis un accord qui avait maintenu les intérêts européens en Iran.

Les États-Unis évoquent à juste titre le renforcement de l’Iran au Moyen-Orient et la menace qui pèserait sur ses alliés dont l’Arabie Saoudite. Mais cette évolution est-elle si néfaste ? Il est permis d’en douter. L’Iran soutient incontestablement des mouvements dont le caractère terroriste n’est plus à démontrer, que ce soit le Hezbollah ou le Hamas. Mais l’Arabie Saoudite n’est-elle pas le soutien le plus fervent des mouvements salafistes et le responsable de l’ascension de l’Etat Islamique qu’elle a contribué à financer à ses débuts ? Donald Trump s’est rangé vigoureusement derrière l’Arabie Saoudite et ses alliés du Golfe, mais il a fallu pour cela un contrat de vente d’armes de plus de 380 milliards $ signé en mai dernier. Et si l’alliance américano-saoudienne est fondée sur les accords du Quincy scellés en 1945, cela fait longtemps que le principe pétrole contre défense est caduc. Dans les années 1970, l’Arabie Saoudite n’a pas hésité à nationaliser la major Aramco, pourtant aux mains d’intérêts américains. Son financement de nombreux mouvements terroristes n’a pas non plus porté chance aux Américains, comme les attentats du 11 septembre l’ont démontré aux derniers incrédules. Renverser les rapports géopolitiques n’est donc pas une mauvaise chose en soi. Les considérer avec le prisme du manichéisme serait une grave erreur… que les Américains n’ont cessé de commettre au Moyen-Orient au cours des deux dernières décennies. Rendre toute sa place à l’Iran pourrait mettre fin au clivage entre sunnites et chiites, clivage qui est au contraire accentué par l’isolement stratégique de l’Iran. Cela pourrait aussi faire sortir l’Iran du giron russe. A bon entendeur…

Les Européens ne doivent plus hésiter à se passer des Américains, même s’ils doivent pour cela s’accommoder d’une alliance de circonstance avec la Russie et la Chine, qui sont les deux autres signataires de l’accord sur le nucléaire iranien. Il est grand temps que l’UE mène une politique étrangère plus autonome, sans pour autant s’opposer frontalement aux États-Unis. Toutefois, lorsqu’il est dans l’intérêt de l’Europe de maintenir l’accord avec l’Iran, il est indispensable qu’elle fasse entendre sa voix. C’est apparemment le seul langage que Donald Trump comprenne. Même les Britanniques, malgré leur special relationship avec les États-Unis, ont adopté un discours plus musclé vis-à-vis de ceux-ci. Un signe, n’est-il pas ?

Illustration : Montage de Hugo Sallé pour KIP

Adrien Villard

Adrien Villard

Étudiant français en L3 à HEC Paris et contributeur régulier pour KIP.