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A quand la fin de l’irresponsabilité en politique ?

Trois mois se sont écoulés depuis le résultat du second tour du scrutin législatif. Une désillusion collective, pour l’ensemble de ce qui est appelé, non sans désuétude, le « camp républicain ». Alors oui, le recul est et fut nécessaire pour affronter cette désillusion. Trois mois sont évidemment insuffisants pour identifier les causes de cette débâcle qui a ouvert à 89 représentants d’extrême-droite les portes du Palais-Bourbon. Et pourtant, dès le soir des résultats, l’une des principales questions soulevées fut celle de la responsabilité. Qui est le responsable de cette situation un brin dystopique ? Au jeu de l’accusation, le parti présidentiel excelle, accusant ses adversaires de toutes parts, et en particulier la nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), héritée d’une union éclair des partis de gauche, expulsés du second tour de la présidentielle.

Pour autant, ces accusations mutuelles incessantes relèvent davantage de la rhétorique ; dans le fond, rien n’est fait pour que cette situation ne se reproduise pas à l’avenir. Et ce pour une raison simple : une partie des hommes et femmes qui nous gouvernent ont perdu le sens de la responsabilité. 

Brève définition contre le cri au populisme 

Un tel discours met son auteur de manière quasi-certaine dans la position du populiste, dont le but est de décrédibiliser les « élites » ou, pire, de crier à la conspiration mondiale pour conquérir le pouvoir ou le donner à ceux qu’il soutient. Dans la série Baron noir d’Eric Benzekri, la figure du populiste représentant un danger pour la démocratie maniait justement le slogan de la lutte contre les « irresponsables politiques ». Il convient donc de détailler ce qui est entendu par les termes de responsabilité et d’irresponsabilité, afin d’éviter de tomber dans de néfastes abus.

Étymologiquement, la responsabilité constitue la capacité à répondre de ses actes et, par extension, de remplir ses devoirs et engagements. Est donc irresponsable celui ou celle qui n’a pas conscience de la portée de ses actes, et des conséquences qu’ils peuvent avoir sur autrui et sur la société en général. C’est précisément le mal dont ont souffert et souffrent une grande partie de nos dirigeantes et dirigeants dans l’exercice de leur pouvoir. Non qu’ils ne soient convaincus de la portée de leurs fonctions et des décisions qu’ils prennent quotidiennement ; non qu’ils ne soient obsédés par le sens de l’État et par leur volonté de le servir. Ils sont purement et simplement aveuglés, dans leur prise de décisions, par les conséquences politiques à long terme de leurs choix. 

La thèse du « tous pourris » et des politiciens uniquement avides d’argent et de pouvoir n’est pas crédible. Les hommes et femmes politiques s’engagent sincèrement pour servir leur pays et leurs concitoyens, et souhaitent pour la plupart acquérir et conserver le pouvoir pour mettre en œuvre ce qu’ils pensent bon pour le pays et non par pure avidité. Toutefois, les décisions prises par ces femmes et ces hommes ont à de multiples reprises trahi leurs valeurs politiques et ont été appliquées plus du fait de la légitimité conférée par les  urnes que de leur caractère foncièrement profitable à la démocratie.

La question environnementale, ou l’arbre qui cache la forêt

L’on réduit très souvent l’irresponsabilité de nos gouvernants à l’inaction climatique. Le gouvernement français est d’ailleurs sous le coup de plusieurs procès à ce titre. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle Madame Sandrine Rousseau, figure de l’éco-féminisme et nouvelle députée élue en juin, a déclaré n’avoir jamais été aussi « éco-anxieuse » que depuis qu’elle est à l’Assemblée1https://www.lepoint.fr/politique/sandrine-rousseau-jamais-aussi-eco-anxieuse-que-depuis-qu-elle-est-a-l-assemblee-24-08-2022-2487260_20.php.

En effet, ce n’est pas tant que la situation climatique s’est foncièrement détériorée en juin, mais plutôt que la primo-députée a découvert la profonde irresponsabilité d’une partie des femmes et des hommes siégeant au Palais-Bourbon, notamment dans les rangs de la majorité et de la droite. En effet, ces députés, au-delà de la question climatique, ont fait montre de leur capacité à s’allier avec l’extrême droite pour contrer certains amendements proposés par les députés de la NUPES, et ce par simple volonté d’obstruction politique2https://www.lefigaro.fr/politique/assemblee-nationale-la-nupes-accuse-la-macronie-de-pactiser-avec-lr-et-le-rn-pour-l-attribution-des-postes-20220629. L’irresponsabilité n’est donc pas seulement écologique, mais bien politique et démocratique : au temps de la banalisation de l’extrême-droite et de son entrée en force dans la représentation nationale, le RN fait, trop souvent, figure d’allié d’une majorité consentante. Et l’on retrouve encore le scénario énoncé dans la série Baron noir : Lionel Chalon, le leader fictif du parti d’extrême-droite, énonce une stratégie de banalisation reprenant les paroles d’une célèbre chanson de Florent Pagny, « savoir donner, sans rien attendre en retour […] et se relever, comme on renaît de ses cendres, avec tant d’amour à revendre, qu’on tire un trait sur le passé »3Florent Pagny, Savoir aimer, 1997

Accentuer la “guéguerre” politicienne entre le bloc majoritaire et l’union des gauches contribue donc avant tout à faire le jeu de l’extrême-droite. L’incapacité de ces deux forces à travailler de concert est donc le témoin de leur profonde irresponsabilité quant au futur de notre démocratie.

Du « péché originel » macronien… 

Évidemment, les abus des politiciens du passé, les entraînant dans des affaires politico-judiciaires retentissantes, ont entraîné un climat de défiance vis-à-vis des politiques qui a un rôle incontestable à jouer dans la montée des partis populistes. Évidemment, le Parti socialiste a été décrédibilisé par des années de gestion libérale de l’État et le parti de droite, devenu les Républicains, a contribué, par sa politique de l’offre, à exacerber les inégalités. Pour autant, le coup de grâce porté à  la tradition du débat modéré est bien dû à la figure du président Macron, lors de son élection en 2017. 

Nombreux étaient ceux qui déploraient l’épuisement de la vie politique, soi-disant minée par le « clivage gauche-droite », situation de bipartisme incarnée par l’alternance LR-PS. Et pourtant, cette situation politique garantissait un débat apaisé et républicain. Malgré cela, Monsieur Macron, certes opportuniste à un moment de temps mort politique, est parvenu à réduire à quasi-néant, l’un après l’autre, les deux partis d’alternance. Aujourd’hui, en 2022, les scores des Républicains et du Parti socialiste sont tous deux inférieurs au seuil de remboursement de leur campagne, soit 5% des suffrages exprimés. 

Le problème créé par l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron et de son parti, désormais dénommé Renaissance, constitue justement la disqualification de toute forme crédible d’opposition modérée. D’où une systématisation du duel Macron-Le Pen pour l’ensemble des élections depuis l’accession au pouvoir du plus jeune président de la cinquième République. 

Oui, le « coup » politique était brillant, car Macron a été réellement l’homme d’un instant, d’une circonstance, qui a fait acquérir à son parti nouvellement créé une place prépondérante dans la vie politique française. Mais cette élection incarne avant tout le manque de responsabilité démocratique du président et de son équipe. Peut-être l’occasion était-elle trop belle, car, en détruisant, par son élection, les deux partis d’alternance, le parti Renaissance ne crée qu’une seule alternative à son maintien au pouvoir : celle d’un gouvernement extrême, très certainement d’extrême-droite. 

L’équipe de campagne de Monsieur Macron était forcément consciente des conséquences de sa réussite en 2017. C’est pourquoi l’on peut se permettre cette conclusion un brin caricaturale : Macron aurait dû se retirer de la course à la présidentielle, ou aurait dû, à l’issue de son élection, œuvrer à une reconstruction d’un parti d’alternance modéré, sans quoi il peut être légitimement accusé d’irresponsabilité sur le plan démocratique.

… à la diabolisation de toute forme d’opposition modérée

Le parti présidentiel aurait pu être excusé de ce « péché originel » qui nous a conduit à la situation politique actuelle, dans laquelle les extrêmes n’ont jamais été aussi forts. C’était sans compter sur ce positionnement quasi-machiavélien adopté dans le seul but de conserver le pouvoir : diaboliser et pousser à l’extrême toute opposition crédible. Car le Rassemblement national est indubitablement un parti d’extrême-droite. Et cet extrémisme, dissimulé par les brillantes stratégies précitées, n’est en rien comparable à la soi-disant radicalité de l’union des partis de gauche issue des tractations pour les législatives de 2022, la NUPES. 

Il est vrai que les prises de position du leader de la France insoumise, devenu « tête de liste » de la Nouvelle union populaire écologique et sociale à l’occasion de la campagne pour les législatives sont connues pour leur radicalité. Monsieur Mélenchon s’est même décrit, lors des campagnes présidentielles précédentes, comme « le bruit et la fureur », ce qui ne présage en rien d’un positionnement politique modéré. En ce sens, Monsieur Mélenchon est également profondément irresponsable, car son discours, s’il est politiquement vendeur, a avant tout pour effet d’accentuer les clivages et d’empêcher toute construction en commun.

Pourtant, il semble que les cris à l’extrémisme de gauche venant de la majorité procèdent moins de la radicalité du principal mouvement constitutif de la NUPES – associé, il faut le dire, à des partis de gauche modérée comme le Parti socialiste ou Europe écologie-Les Verts – que du danger de cette union des gauches pour la majorité. Plusieurs sondages ont donné la NUPES au coude-à-coude avec la coalition présidentielle pour les législatives, ce qui matérialisait et crédibilisait la promesse de Monsieur Mélenchon, à savoir d’être nommé Premier ministre à l’issue du scrutin.

Résultat des courses : au 14 juin 2022, soit 5 jours avant le second tour des législatives, seuls 7 candidats « Ensemble » appelaient à voter pour la NUPES contre le RN au second tour. Quant aux retraits « républicains » en cas de triangulaire, ils ont quasiment été inexistants.

Évidemment, les responsables de la majorité verront assez malhonnêtement de la responsabilité dans ce choix :celui du barrage à une coalition qu’ils qualifient d’extrême. Pourtant, le fait de projeter de taxer les super-profits, de réduire les inégalités et d’assurer une planification écologique ambitieuse n’a rien de comparable avec la volonté du RN d’expulser une grande partie des immigrants sur le territoire et de stigmatiser, voire de lutter contre l’une des grandes religions de notre pays, à savoir l’Islam. Non, ces programmes ne sont pas comparables, et oui, le discours de la majorité a grandement contribué à la débâcle de ces élections, qui a ouvert la porte de l’Assemblée nationale à 89 députés d’extrême-droite.

Et évidemment, les torts sont plus que partagés, en particulier depuis l’installation du nouveau parlement. L’attitude d’une grande partie des députés du groupe La France insoumise semblent presque légitimer les invectives de la majorité. Au lieu d’un travail constructif en commun, est trop souvent choisie l’opposition systématique à la coalition présidentielle, quitte à s’allier ponctuellement avec l’extrême-droite, qui, par sa stratégie de dédiabolisation, apparaît presque comme le « bon élève » modéré de l’Assemblée.

La situation politique actuelle et sa profonde impasse est donc inévitablement liée à un déficit de responsabilité d’une partie de nos responsables politiques. Il est naturel que les partis politiques luttent et usent d’arguments plus ou moins honnêtes pour conquérir le pouvoir. Il ne faut pourtant pas oublier que chacun de nos responsables possède en premier lieu une responsabilité vis-à-vis de la démocratie, l’un des joyaux les plus luisants de notre pays. Il est donc urgent d’en finir avec les stratégies politiques égoïstes et de consacrer la primauté de la sauvegarde de la démocratie dans les projets politiques d’aujourd’hui et de demain.

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.