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Des élections ? Quelles élections ?

Si vous n’avez pas suivi le calendrier politique, je vous pardonnerais volontiers d’avoir oublié que le premier tour des présidentielles se déroule dans moins de deux semaines. Pourtant, si proche de l’échéance, si j’allume ma télévision, il est très probable que je n’entende pas parler de la campagne présidentielle.  Fait-on face à un désintéressement généralisé pour ces élections ?

Des  candidats qui refusent de faire campagne

          A l’heure où les débats (d’idées ou à défaut d’opinions1En effet, peu d’idées innovantes ont fait irruption dans les programmes de campagne. Les candidats sont bien souvent des caricatures de leur parti et des opinions qui y sont supposément associées.), les présentations et confrontations de programmes devraient faire jaser les commentaires des « experts », force est de constater que le premier tour des élections semble avoir disparu des sujets de conversation.

         Emmanuel Macron veut rester Président sans repasser par la case candidat. Quant à Marine Le Pen, donnée au second tour au moment où j’écris ces lignes, elle n’accepte de débattre qu’avec Emmanuel Macron ou Jean Castex, jugeant le niveau électoral de ses rivaux trop bas pour intéresser un échange. Valérie Pécresse, testée positive à la covid-19, suspend momentanément sa campagne. 

A un moment pourtant crucial pour le pays – la France est cette année à la tête de la présidence tournante de l’Europe – j’ai l’impression que les débats, déjà appauvris ces dernières années, sont désormais en voie d’extinction. A l’heure du dévoilement de son programme, Emmanuel Macron aurait-il oublié d’oser ? Rien d’innovant ou de bousculant dans ce programme de réélection. Beaucoup de réformes (retraites à 65 ans, conversion de Pôle Emploi en “France travail”, revalorisation du salaire des enseignants) et peu de nouveautés. Les autres candidats sont pleins de promesses mais n’expliquent jamais comment les réaliser. Une crise économique avec le retour de l’inflation, doublée d’une crise géopolitique avec la guerre en Ukraine qui pèse sur l’énergie et met à jour notre dépendance à la Russie, et pourtant aucun candidat ne semble s’attaquer à ces problèmes avec une approche réaliste. Tous préfèrent la stratégie de l’autruche en fondant la campagne sur des insultes personnelles et un rejet de véritables débats. 

Ce refus de faire campagne est très risqué pour le/la gagnant(e) des élections : la question de sa légitimité se posera et une crise sociale ne serait pas une surprise cet hiver avec l’augmentation du prix de l’énergie et l’inflation qui s’annoncent. Le/la président(e) creuse non seulement sa propre tombe, mais également celle de la démocratie en rejetant le débat.

Un débat me direz-vous, cela fait longtemps qu’on n’en a pas vu entre les candidats à la présidentielle. En effet, ils sont 12, un record depuis 2002 (16 candidats) et pourtant il n’y a jamais eu aussi peu de débat. Si trois émissions spéciales avaient été programmées avant le premier tour214/03 sur TF1, 23/03 sur BFM et 31/03 sur France 2, seule la France face à la guerre s’est tenue ; avec seulement 8 candidats – dits “principaux” – invités par TF1, laissant de côté Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan. Face au refus d’Emmanuel Macron puis de Marine Le Pen, BFMTV a annulé sa soirée électorale du 23 mars. Dès lors, comment mettre en avant les élections à venir si même les médias ne tiennent plus leur rôle d’informateur ?

Des médias tout aussi coupables

          Je suis prête à parier mon dernier paquet de pâtes que, si vous allumez la télévision ou ouvrez une application d’information, le premier sujet dont vous entendrez parler sera la guerre en Ukraine. Loin de moi l’idée de minimiser l’importance du conflit, ses retombées humaines, économiques et géopolitiques ou de vouloir passer sous silence la souffrance des victimes. Je pense seulement qu’au lieu d’actualiser à chaque minute les bilans ou de répéter à longueur d’antenne des faits – faute d’analyse – il aurait au contraire était intéressant d’évoquer les enjeux présentés par ce conflit dans une période de campagne présidentielle, plutôt que de simplement passer sous silence les élections à venir. Lors du seul débat qui s’est finalement tenu, la France face à la guerre, personne n’a créé la surprise avec de vraies propositions ; tout le monde a joué son rôle, sans saveur, sans nouveaux apports.

          Les médias doivent nous informer. Pourtant, la diversité de cette information semble s’effriter face à la recherche constante d’audience. Lors des précédents premiers tours, TF1 diffusait une soirée électorale le dimanche, en prime-time, soit l’heure de plus grande écoute. Que nenni, cette année, Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray laisseront l’antenne à Jean Reno et Christian Clavier à 21h20. Vous ne rêvez pas, la première chaîne de télévision française préfère écourter son émission sur le futur politique du pays pour diffuser les Visiteurs. Pourquoi ? Un simple calcul : Lors de son dernier passage sur la chaîne, le film a enregistré 8 millions de téléspectateurs (30/04/2020), c’est-à-dire 2 millions de plus que la dernière soirée de 1er tour de présidentielle (23/04/2017).

         C’est un cercle vicieux : nous regardons moins les émissions consacrées à la politique, donc les chaînes constatant une baisse d’audience laissent moins de place à de tels programmes que nous avons donc moins tendance à regarder… C’est donc la place de la démocratie qui diminue avec cette démarche. Nous avons la chance de vivre en cadre démocratique et nous ferions bien d’en profiter avant de revenir aux temps des visiteurs.

 Le spectre de l’abstention inquiète

 Seuls 65 à 69 % des électeurs pourraient se déplacer pour aller voter selon une enquête Ipsos. L’abstention pourrait donc dépasser le précédent record de 28,4 % du 21 avril 20023https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-face-au-risque-d-une-abstention-record-l-impuissance-de-la-classe-politique-est-elle-irreversible_5015471.html qui avait amené Jean-Marie Le Pen au second tour.

Certes, entre la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, nous l’avons vu, la campagne peine à s’immiscer dans notre quotidien. Mais cette abstention est également un signe de protestation : nombre d’électeurs se sentent lésés, pas assez écoutés ou pris en compte. Une question régulièrement soulevée est celle d’une baisse de l’abstention en cas de reconnaissance des votes blancs. La loi du 21 février 2014 reconnaît le vote blanc aux élections, les bulletins blancs sont décomptés (en moyenne 5% des bulletins) mais, comme auparavant, ils ne sont pas pris en compte dans le nombre des suffrages exprimés. Pourtant, voter blanc, c’est bien exprimer l’opinion démocratique selon laquelle aucun des candidats ne nous a convaincu ; c’est refuser, comme beaucoup, de voter par défaut pour celui que nous jugeons le moins mauvais alors que nous devrions élire quelqu’un portant nos convictions. Face à ce rejet de prise en compte, il est compréhensible que beaucoup préfèrent simplement s’abstenir, le résultat étant le même. 

         Une autre explication de l’abstention record qui se profile peut aussi être le sentiment qu’il n’y a aucun suspens. 67% des Français pensent que la présidentielle est déjà jouée selon l’enquête électorale Ipsos/Jean Jaurès/SciencesPo. Même les opposants n’y croient plus : 62% des soutiens de Valérie Pécresse et 55% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pensent que le Président sortant l’emportera.

         Les projections de The Economist sont parlantes : il y a 97% de chances que Emmanuel Macron l’emporte. Les sondages français, le plaçant toujours loin en tête, confirment ce sentiment qu’il ne sert à rien de voter puisque l’issue est déjà connue. A chaque élection, les sondages inondent les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, et après chaque élection, on nous rappelle que les sondages peuvent se tromper et qu’il ne faut pas s’y fier4D’autant plus que des études statistiques montrent que les sondeurs cèdent au “groupthink” à l’approche des élections. C’est-à-dire que les résultats des sondeurs convergent car aucun ne veut courir le risque de ne pas suivre le courant général.. Alors, pour une fois, retenons la leçon et ne regardons plus les sondages avant les élections.

Des jeunes qui demandent plus

Au premier tour, Emmanuel Macron arrive en tête chez les 18-30 ans, avec 30% des suffrages exprimés (enquête du 8 mars), devant Marine Le Pen (27%), Jean-Luc Mélenchon (20%), Valérie Pércesse (10%), Yannick Jadot et Eric Zemmour (4% chacun)5https://www.lexpress.fr/actualite/le-changement-passe-par-les-urnes-ils-ont-entre-18-et-22-ans-et-ne-s-abstiendront-pas_2168748.html.

         Huit jeunes sur dix envisagent d’aller voter à l’élection présidentielle. Voici une bonne nouvelle qui dément l’opinion décriant le désintérêt croissant des jeunes pour la politique ; le taux d’abstention dans cette tranche d’âge est prévu plus faible que dans le reste de la population. Cependant, 57 % des jeunes estiment que leurs préoccupations ne sont pas prises en compte dans cette campagne présidentielle.

La première d’entre elles est le pouvoir d’achat. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que plus d’un jeune sur deux éprouve des difficultés à se procurer une alimentation saine et équilibrée (+ 23,4 % en dix ans) et à payer son logement (+ 25 % en dix ans)6Entre le 11 et le 20 janvier, sur plus de 2.000 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française entre 18 et 30 ans (https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/huit-jeunes-sur-dix-envisagent-d-aller-voter-a-l-election-presidentielle-selon-un-sondage_4974105.html).. Cette même étude explique que 82 % des jeunes interrogés pensent que l’État devrait faire plus pour lutter contre les inégalités, tandis que les deux tiers estiment que les responsables politiques ne se préoccupent pas assez de leur génération. 

    Je ne suis donc pas surprise de voir beaucoup de mes camarades se déclarer épuisés (60 %), anxieux (58 %) voire tristes et abattus (39 %). Seuls 37 % se disent optimistes pour leur avenir et celui de la société française. Evidemment, les jeunes ne sont ni les seuls inquiétés ni les seuls concernés par ces problématiques, mais l’idéalisme de la jeunesse demande davantage.

Ce n’est pas en faisant des vidéos tiktok ou en allant chez Baba7 L’émission “Touche pas à mon poste” de Cyril Hanouna dit “Baba” que les candidats vont intéresser la jeunesse. Nous sommes l’avenir et pourtant aucun candidat ne propose une vision de long terme qui nous concerne véritablement.

Illustré par Mathilde Guillard

Mathilde Guillard

Mathilde Guillard

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Secrétaire générale de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's secretary-general and regular contributor.